Idées

La Banque d’Angleterre peut-elle sauver le Royaume-Uni ?

7 min

Tous les signaux sont dans le rouge au Royaume-Uni et aucun signe de reprise ne se profile à l'horizon. Pire, la restriction budgétaire, rendue inévitable par la dégradation de la dette publique, risque encore de retarder la reprise de l'économie. Pour y remédier, la Banque d'Angleterre a provoqué une détente des taux d'intérêt à long terme.

L’ombre du Fonds monétaire international (FMI) plane sur le Royaume-Uni. A l’approche des élections de mai 2010, les réminiscences de la crise de 1976, lorsque le pays, insolvable, avec à sa tête un gouvernement travailliste, avait dû faire appel au FMI, pèsent sur le débat politique. Le déficit budgétaire, estimé à 11,6 % du produit intérieur brut (PIB) en 2009, devrait atteindre 13,2 % en 2010, soit le niveau le plus élevé parmi les pays du G20. Selon les projections du FMI, la dette publique approchera 100 % du PIB en 2014, soit une dégradation de 54 points de PIB en sept ans, contre 46 points aux Etats-Unis et 30 points dans la zone euro.

A la différence des Etats-Unis, le Royaume-Uni ne dispose pas d’une monnaie de réserve internationale et ne peut donc compter sur les excédents dégagés par les pays asiatiques pour financer son déficit. Exposé à la défiance des marchés vis-à-vis de la livre sterling, il ne pourra différer le tournant de la rigueur au-delà des élections. D’ores et déjà, les coupes budgétaires envisagées par le Trésor britannique s’élèvent à 8 % du PIB sur les sept prochaines années, soit un sixième de la dépense publique totale, ou encore la totalité des dépenses publiques de santé. Début novembre, l’agence de notation Fitch annonçait que le Royaume-Uni était, parmi les quatre grandes économies bénéficiant de la note AAA (Etats-Unis, Allemagne, France et Royaume-Uni), celle qui risquait le plus de voir son crédit dégradé.

Croissance trimestrielle du PIB depuis le second trimestre 2008, en %
Indices boursiers comparés depuis juillet 2009, base 100 au 1er juillet 2009

Inéluctable, la restriction budgétaire a cependant toutes les chances de bloquer la reprise tardive et laborieuse de l’économie britannique. Tandis que la croissance repartait en France et en Allemagne dès le second trimestre 2009 et aux Etats-Unis à l’été, la récession s’est prolongée outre-Manche au troisième trimestre pour le sixième trimestre consécutif, portant le recul du PIB depuis le début de la crise à près de 6 % (voir graphique). Signe inquiétant : toutes les composantes de la demande étaient encore en baisse au troisième trimestre, à l’exception de la dépense publique. Etouffée par l’endettement record des ménages et la montée du chômage, la consommation a poursuivi son recul. Parallèlement, l’ampleur des capacités de production inutilisées continue de dissuader les firmes d’investir. Si la dépréciation passée de la livre (- 25 % par rapport au dollar entre l’automne 2008 et mars 2009) agit positivement sur la compétitivité du secteur productif, la contribution nette des échanges extérieurs à la croissance procède davantage de la contraction des importations que de la reprise des exportations.

Détente quantitative positive

La politique monétaire semble seule en mesure d’atténuer les effets négatifs pour l’activité de l’austérité budgétaire annoncée. Elle est certes tenue de respecter un objectif d’inflation de 2 %, mais celui-ci est défini sur un horizon de deux ans et ne constitue pas un butoir immédiat pour la Banque centrale, même si un dérapage des prix est prévu au début de 2010, sous l’effet notamment du relèvement programmé du taux de la TVA.

De fait, alors que dans la plupart des autres pays du G20, le débat est engagé sur le timing optimal d’un resserrement monétaire, la Banque d’Angleterre (BOE) a surpris les marchés au mois d’août en décidant d’augmenter de 50 milliards de livres (3,5 % du PIB) son programme de détente quantitative*. Elle a récidivé début novembre, portant le montant global consacré à ce programme de 175 à 200 milliards de livres sterling (14 % du PIB au total). Entrée en vigueur en mars 2009, après que le taux d’intérêt a été ramené en moins de six mois de 5 % à 0,5 %, cette politique permet à la Banque centrale d’intervenir sur le marché obligataire de façon à faire baisser les taux d’intérêt à long terme. Elle facilite ainsi le financement des agents privés sevrés de crédit par un système bancaire mal remis du séisme financier de l’automne 2008.

Financées par la création monétaire, ces opérations ont consisté essentiellement, dans le cas du Royaume-Uni, à racheter des titres de la dette publique. Elles ont permis, selon les études de la BOE, d’abaisser d’un demi-point environ les taux sur la dette publique à dix ans par rapport à ce qu’ils auraient été à politique monétaire inchangée. L’abondance de liquidités ainsi déversées sur le marché financier est créditée de la baisse rapide des spreads** sur les obligations privées, qui a permis aux grandes entreprises de contourner les banques dans leurs quêtes de financement et de rembourser ainsi leurs dettes vis-à-vis de leurs fournisseurs, allégeant les contraintes de trésorerie pesant sur les PME. Elle expliquerait aussi la flambée de la Bourse britannique, qui progresse plus rapidement que les Bourses continentales et américaine depuis le milieu de l’été 2009, en dépit d’une conjoncture économique moins favorable (voir graphique). Enfin, elle a sans doute contribué à contenir les pressions déflationnistes à l’oeuvre dans l’économie : à la différence des Etats-Unis, de la zone euro et du Japon, l’inflation britannique n’est pas tombée en dessous de zéro en 2009.

Répondre à la pénurie de crédit

Pour autant, les effets de la détente quantitative ne semblent guère s’étendre au-delà de la sphère financière. La baisse continue des encours de crédits bancaires aux entreprises et aux ménages depuis le début de 2009 montre qu’en dépit de l’intervention massive de l’Etat dans le capital des banques, la pénurie de crédit continue de sévir et de freiner la dépense privée. Selon les calculs du FMI, le Royaume-Uni est de tous les grands pays développés celui où l’écart entre les besoins de financement de l’économie et les ressources financières disponibles est a priori le plus important : il atteindrait 15 % du PIB en 2009-2010, à comparer aux 3 % dans la zone euro et aux 2,4 % aux Etats-Unis. Mesuré ex ante, cet écart compare les besoins de financement du secteur privé (qui dépendent du taux de croissance de l’économie) et de l’Etat (déficit prévu des finances publiques) aux capacités de prêt du secteur financier, qui dépendent elles-mêmes du mode de financement de l’économie (rôles respectifs du crédit bancaire et des marchés financiers) et de l’état des bilans bancaires.

A posteriori, l’égalité comptable entre l’offre et la demande de fonds prêtables suppose un ajustement de la demande de financement aux ressources disponibles. Celui-ci peut provenir d’une hausse des taux d’intérêt, d’un rationnement quantitatif du crédit (déjà à l’oeuvre), d’entrées nettes de capitaux ou encore d’un financement direct de l’économie par la Banque centrale, autrement dit par la détente quantitative. Le risque majeur pour l’économie est celui d’une remontée des taux d’intérêt à long terme, qui étoufferait la reprise et aggraverait les problèmes de financement du déficit public.

Si des entrées nettes de capitaux sont loin d’être exclues, compte tenu de l’attractivité des actifs anglais (des entreprises aux appartements en passant par les clubs de football) au taux de change actuel, il est peu probable qu’elles puissent combler le gouffre qui sépare l’offre et la demande de fonds prêtables. Reste la détente quantitative, qui finance déjà la majeure partie du déficit budgétaire et a réussi jusqu’à présent à freiner la montée des taux longs.

En laissant planer le doute sur la valeur future de la monnaie, cette détente contribue aussi à entretenir la faiblesse relative de la livre, et donc la compétitivité du secteur exportateur, seul moteur possible de l’activité dans un horizon prévisible. Un jeu toutefois dangereux car, prolongé trop longtemps, il risquerait de provoquer une crise de défiance vis-à-vis de la monnaie nationale, une envolée des taux longs, et l’intervention tant redoutée du FMI.

* Détente quantitative

Intervention de la Banque centrale sur le marché des titres obligataires privés ou publics visant à provoquer une détente des taux d'intérêt à long terme.

** Spread

Terme désignant le supplément de taux d'intérêt imposé à un emprunteur considéré comme risqué, par rapport à un emprunteur jugé sans risque - l'Etat en général.

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