Que faire ?

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Face à la montée du chômage, le gouvernement peine à prendre les mesures nécessaires. Surtout parce qu'elles contrediraient les promesses de campagne du candidat Sarkozy.

Que faire ? C’est la question à un million d’euros. 3,8 millions de personnes sont actuellement inscrites à Pôle emploi (catégories A, B et C, voir encadré page 10). La France a déjà eu davantage de chômeurs qu’aujourd’hui. D’avril 1996 à janvier 2000, leur nombre avait été plus élevé jusqu’à ce que les 35 heures et les emplois-jeunes permettent de le faire baisser fortement. De juin 2004 à septembre 2005, une nouvelle poussée avait plus brièvement dépassé les chiffres actuels. Mais jamais depuis la Seconde Guerre mondiale, la société française n’a été confrontée à une montée aussi brutale du chômage. Et cela alors que l’idée avait commencé à s’installer que, grâce au papy-boom, l’ère du chômage de masse tirait à sa fin.

Or, cette marée inattendue n’a manifestement aucune chance de refluer d’elle-même à court terme. Dans un tel contexte, le chômage risque d’avoir, au-delà des difficultés qu’il impose à ceux qui le subissent directement, un effet particulièrement délétère sur une société française fragilisée et dont la cohésion sociale partait déjà en lambeaux. Il pourrait bien aussi tuer la reprise économique elle-même.

Dans un premier temps, l’économie française avait en effet plutôt mieux résisté que d’autres face à la crise 1. Mais la montée du chômage peut avoir raison de la consommation des ménages, qui avait bien tenu jusqu’ici et avait soutenu l’activité. Bref, tout indique qu’il y a urgence à décréter une mobilisation générale. Après le volontarisme de nos dirigeants face à la crise bancaire, on ne peut qu’être surpris par leur timidité sur le front du chômage. Il faut dire que nombre des mesures à prendre impliqueraient de revenir sur les promesses de campagne du candidat Sarkozy...

Le piège de l’effet d’aubaine

Le gouvernement fait déjà beaucoup de choses en la matière, a cependant tenu à rappeler Laurent Wauquiez, secrétaire d’Etat chargé de l’Emploi, lors d’une conférence de presse en décembre dernier (voir " Pour en savoir plus "). En effet, différentes mesures ont déjà été prises. La première a consisté à permettre aux entreprises de moins de dix salariés de recruter des personnes au niveau du Smic en ne payant pas de cotisations sociales. 740 000 emplois en ont bénéficié depuis début 2009, selon le gouvernement. Ce chiffre élevé semble indiquer à première vue un grand succès, mais en fait le problème de base avec ce genre de mesures est ce qu’on appelle l’" effet d’aubaine ".

Des millions d’embauches se font chaque année, même pendant la crise, surtout dans ces toutes petites entreprises où le turn-over est très élevé. Combien de ces emplois n’auraient pas été créés sans ces exonérations ? On ne peut le dire précisément, mais sans doute très peu. Or, ce type de mesure coûte très cher aux finances publiques (en l’occurrence à une protection sociale déjà mal en point), Sans compter que ce n’est pas vraiment spécifiquement de toutes petites entreprises dont l’économie française a besoin : elle en a déjà trop. Le même genre de remarques vaut pour le " plan jeunes ", également lancé par le gouvernement, qui consiste à inciter à embaucher des jeunes en alternance en supprimant les cotisations sociales. Avec cependant un succès quantitatif pour l’instant très limité.

Devenez auto-entrepreneur !

La seconde grande politique menée par le gouvernement consiste à pousser les chômeurs à créer leur propre entreprise à l’aide du dispositif appelé Nacre (Nouvel accompagnement à la création d’entreprise). 19 500 projets étaient soutenus en décembre. Tant qu’il ne s’agit pas de pousser des chômeurs à risquer inutilement le peu de patrimoine qu’ils ont, pourquoi pas ? Mais dans le contexte actuel des marchés, ce type de mesures crée surtout des emplois dans les structures de conseil censées les aider...

Dans le même ordre d’idée, le gouvernement vante régulièrement le succès quantitatif (indéniable) du nouveau statut d’auto-entrepreneur, créé en janvier 2009. S’il s’agit de légaliser un peu de travail au noir, cela peut être utile, encore que ce statut pose des problèmes de concurrence déloyale vis-à-vis des artisans compte tenu (une fois de plus) du faible niveau de cotisations sociales qu’il implique. Mais si les 3,8 millions de chômeurs inscrits à Pôle emploi devaient vraiment cesser de l’être en devenant auto-entrepreneurs, la France aurait fait un grand pas pour rapprocher son économie de celle des pays qu’on appelait naguère du tiers monde...

Reclassement amélioré

Plus sérieusement, le gouvernement et les partenaires sociaux ont beaucoup élargi et amélioré les conditions de recours, la durée et l’indemnisation du chômage partiel. C’est en effet un outil essentiel pour garder au sein des entreprises les salariés lors d’un creux d’activité. 320 000 personnes en ont bénéficié au second trimestre 2009 et encore 140 000 au troisième. Mais, même étendu, ce type de dispositif ne peut valoir que pour une période transitoire. On ne pourra donc guère continuer à compter autant sur lui en 2010.

Autre outil indispensable : les mesures de reclassement et de formation des salariés licenciés ou en passe de l’être. Les salariés des plus grandes entreprises (plus de 1 000 salariés) sont relativement bien pris en charge par les dispositifs obligatoires de convention de reclassement. Ce n’était cependant pas le cas des autres jusque récemment. Deux outils existent désormais en parallèle (ce qui ne simplifie pas forcément les choses, même si ces deux dispositifs ont été notablement rapprochés en avril dernier) : la convention de reclassement personnalisée (CRP), qui s’applique partout, et le contrat de transition professionnelle (CTP), réservé à 25 bassins d’emploi (qui devraient passer à 40 prochainement). Le CTP prévoyant des conditions un peu plus favorables pour les bénéficiaires. 126 000 personnes sont entrées en CRP en 2009 (contre 50 000 en 2008) et 15 000 en CTP. Ces personnes ne figurent plus dans les statistiques du chômage. Ces dispositifs sont nécessaires mais, malheureusement, ils ne créent en eux-mêmes guère d’emplois en dehors des structures d’accompagnement...

Il manque des contrats aidés

Plus significatifs : les emplois aidés. Tout le monde a conscience que ce n’est pas l’idéal, mais ils sont utiles à différents titres : pour limiter l’impact désocialisant du chômage sur les personnes ; pour aider à modifier les " files d’attente " des chômeurs en donnant une chance de revenir dans l’emploi à celles et ceux qui en ont a priori très peu ; enfin, pour permettre à certaines activités d’exister dans le secteur non lucratif, que sinon on ne parviendrait pas à financer. Le gouvernement avait fortement réduit ces contrats en 2007 et 2008. Il est (enfin) revenu en arrière en 2009. Laurent Wauquiez fait état de 440 000 contrats aidés conclus l’an dernier. Mais il y a aussi ceux qui se terminent... L’Insee estime qu’après avoir baissé de 63 000 en 2008, le nombre total des contrats aidés n’est remonté que de... 48 000 en 2009. Et qu’il ne devrait pas s’accroître au premier semestre 2010. On reste donc en réalité très loin du compte.

Il existe d’autres actions, potentiellement efficaces, auxquelles pour l’instant le gouvernement n’a toujours pas voulu avoir recours, pour des raisons essentiellement idéologiques. Tout d’abord, le partage du travail : ce n’est pas une panacée, mais en temps de pénurie, il peut aider à limiter le nombre de chômeurs. Il ne s’agit pas ici de prôner les 32 heures, mais simplement de demander au gouvernement de cesser enfin d’encourager, à grand renfort d’argent public, les heures supplémentaires, comme c’est le cas depuis le " paquet fiscal " de 2007. Dans l’état actuel des finances de l’Etat et du marché du travail, il est quand même totalement absurde de dépenser de l’ordre de 4 milliards d’euros par an dans ce but. Un emploi coûte en moyenne, en France, 40 000 euros par an, charges comprises. 4 milliards d’euros permettraient donc de financer entièrement 100 000 emplois supplémentaires. Et malgré la crise, ces exonérations pour les heures sup’ fonctionnent toujours à plein : au troisième trimestre 2009, 167 millions d’heures supplémentaires ont été déclarées à ce titre, soit l’équivalent de 420 000 emplois à temps plein...

Recruter des fonctionnaires

Dans le même ordre d’idée, il est également parfaitement absurde, dans le contexte actuel, de continuer à s’accrocher au dogme du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant en retraite. Cette politique vient d’ailleurs d’être sévèrement critiquée par la Cour des comptes, présidée par Philippe Séguin, pourtant du même bord politique que Nicolas Sarkozy. Avec 30 000 suppressions d’emplois programmées en 2010 dans la fonction publique, dont 16 000 dans la seule Education nationale, le gouvernement n’a rien trouvé de mieux que d’organiser lui-même le plus grand plan social du pays. Des mesures qui affectent particulièrement les jeunes sortants du système scolaire, privés du débouché des concours administratifs, alors même que l’accès au secteur privé est bloqué.

Enfin, plus délicat, la question des salariés âgés. Un des éléments les plus frappants dans l’évolution récente du marché du travail, c’est la poursuite, malgré la crise, de la hausse du taux d’emploi des salariés de plus de 55 ans. Avec, en parallèle, la chute brutale de celui des moins de 25 ans (voir graphique). Ce mouvement résulte des multiples mesures adoptées depuis une dizaine d’années afin d’amener les salariés à partir en retraite plus tard, si possible même au-delà de 60 ans. Les problèmes de financement de la protection sociale sont réels, mais, au vu de l’évolution du marché du travail et de l’absence de perspectives d’amélioration à court terme, il convient sans doute de revenir, en partie et provisoirement, sur cette politique.

  • 1. Voir " Le modèle français à l’épreuve de la crise ", Alternatives Economiques n° 282, juillet-août 2009. Disponible dans nos archives en ligne.

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