Idées

Gouvernance : les banquiers centraux en retard d’une guerre

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Au lieu de se focaliser sur l'inflation, les banques centrales devraient surveiller de près la croissance du crédit.

De quelle manière les évolutions se produisant dans le domaine de la monnaie influencent-elles la croissance de l’économie réelle ? Trois positions prévalent chez les économistes.

Monnaie ou crédits

La première, issue des travaux de Milton Friedman, insiste sur les liens entre croissance monétaire et inflation : plus la quantité de monnaie en circulation s’accroît, plus les prix augmentent, plus le pouvoir d’achat diminue, ce qui réduit la demande et la croissance. La politique monétaire doit donc se donner comme objectif prioritaire de lutter contre l’inflation des biens et des services en contrôlant la quantité de monnaie. Cette vision du monde s’est imposée à partir des années 1970 et guide encore en partie le comportement des banques centrales, en particulier dans la zone euro.

Une deuxième vue présente la monnaie et la finance comme un voile. Les décisions prises par les acteurs économiques sont totalement indépendantes de la façon dont le système financier est organisé. Les travaux fondés sur ce présupposé ont fini par affirmer que les crises économiques étaient devenues impossibles...

Le découplage entre monnaie et crédits

Un troisième point de vue insiste à l’inverse sur l’importance des cycles de crédits : une distribution excessive de prêts bancaires par rapport à ce qui assurerait un bon fonctionnement de l’économie nourrit des bulles sur les marchés d’actifs (immobilier, Bourses, etc.). Lorsqu’elles éclatent, les banques mises en difficulté réduisent alors fortement leurs crédits et cassent la croissance. Dans ce cas, l’objectif prioritaire des banques centrales doit être de surveiller la progression du crédit pour éviter les bulles sur le prix des actifs plutôt que de garder les yeux rivés sur la quantité de monnaie et l’inflation.

Primauté au crédit

Voulant en avoir le coeur net, Moritz Schularick et Alan M. Taylor, deux économistes historiens, ont étudié les évolutions de la finance dans douze grands pays industrialisés, de 1870 à 2008 1. Ils suggèrent que depuis la Seconde Guerre mondiale, nous sommes dans un monde où la troisième vue prévaut. De 1870 à 1945, la croissance de la masse monétaire, des crédits et de l’actif total des banques ont été volatiles, mais restaient étroitement liées. Par la suite, l’écart entre la croissance de la masse monétaire et celle des crédits et des actifs s’est accru, notamment à partir des années 1990. Les banques ont eu de plus en plus recours à l’endettement de court terme (marché interbancaire) et de moyen long terme (marché obligataire) pour trouver les ressources nécessaires à une distribution de crédits bien plus importante que ne le nécessitait la croissance de l’activité. Au cours de cette période, elles ont également acheté de moins en moins de bons du Trésor émis par les Etats et de plus en plus de titres, plus risqués et donc plus rémunérateurs, émis par les entreprises.

La crise des subprime qui réunit toutes ces caractéristiques (endettement des banques, distribution excessive de crédits, achat d’actifs risqués) s’inscrit finalement dans une évolution structurelle du comportement des banques depuis plus de cinquante ans. Les banques centrales devraient en prendre acte. Le travail des deux économistes montre qu’une croissance trop débridée du crédit est le meilleur indicateur avancé de crises financières. Ils confirment en cela les intuitions de l’économiste américain Hyman Minsky, popularisées par Charles Kindlerberger... il y a plus de trente ans.

  • 1. " Credit Booms Gone Bust : Monetary Policy, Leverage Cycles and Financial Crisis, 1870-2008 ", CEPR Discussion Paper n° 7570, novembre 2009.

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