A quoi servent les actionnaires ?

par Jean-Philippe Touffut (dir.) Coll. Centre Cournot pour la recherche en économie, éd. Albin Michel, 280 p., 2009, 24 euros.

A quoi servent les actionnaires ? Certains seront sans doute tentés de répondre " à rien " ou " à plumer la volaille des salariés ". Ce n’est évidemment pas la réponse qu’apporte ce livre collectif issu d’un colloque consacré à cette question. Parmi les auteurs qui ont présenté des communications, on trouve l’ancien PDG de Saint-Gobain, Jean-Louis Beffa, tandis que Robert Solow, " prix Nobel " d’économie, animait la table ronde finale. Toutefois, ce qui ressort du livre est que l’entreprise n’appartient pas uniquement à ses actionnaires, comme le stipule le droit des sociétés, mais à l’ensemble des parties prenantes qui la font vivre, et il serait donc légitime que la direction de l’entreprise prenne en compte cette pluralité, au lieu d’avoir les yeux fixés, comme trop souvent - et comme le proclament la plupart des théoriciens de la firme - sur la valeur actionnariale.

Une primauté injustifiée

Cette position critique est développée notamment dans les interventions de Christophe Clerc, qui ouvre la danse et qui dénonce, dans un texte remarquable, le traitement accordé à l’actionnaire dans le droit des sociétés : alors que sa responsabilité est limitée à son apport, il peut espérer des profits illimités. Il n’est pas légitime de donner la primauté à un irresponsable, soutient l’auteur, non sans logique, et cette situation revient à ce que " les décideurs ne sont pas les payeurs ". Car, si la société disparaît ou se trouve en difficulté, les autres parties prenantes (salariés, prêteurs, Etat, collectivités territoriales et fournisseurs), à commencer par les salariés, perdent bien davantage que les actionnaires.

Certes, les partisans de la " théorie suprématiste " (le pouvoir appartient aux actionnaires) avancent qu’il en est ainsi parce que les actionnaires assument le risque et se payent sur ce qui reste, s’il reste quelque chose, une fois tous les coûts de production déduits. Mais cette justification n’en est pas une, puisque l’ensemble des parties prenantes sont concernées par le risque, tandis que seuls les actionnaires décident de l’affectation du surplus s’il existe.

Margaret Blair, une économiste universitaire américaine qui travaille sur ce sujet, rebondit (au sein de la table ronde), avançant qu’elle a trouvé " sept raisons qui montrent que la primauté de l’actionnaire et/ou le contrôle qu’il exerce ne sont pas susceptibles de favoriser la maximisation du bien-être social ". On résume l’essentiel : l’actionnaire est le plus souvent incompétent, ignorant tout de l’entreprise ; il est trop souvent opportuniste, guettant la plus-value bien plus que la réussite de l’entreprise ; il risque plutôt moins que les autres apporteurs de compétences ou d’inputs ; la valeur actionnariale peut très bien cacher une destruction de valeur sociale, etc. On imagine la tête de Colette Neuville, l’apôtre des petits actionnaires...

Etablir un contrat social

Certes, mais alors que faire ? C’est là qu’intervient Lorenzo Sacconi, professeur d’économie italien. Dans un texte brillant (mais pas facile à lire), il propose la construction d’un contrat social entre toutes les parties prenantes, par négociation et élaboration d’un compromis. Il s’agit de transformer la lutte entre des acteurs aux intérêts différents, voire divergents, en coopération. La direction de l’entreprise (dont l’auteur suggère qu’elle soit " déléguée à la partie prenante qui est la plus efficace dans les fonctions de gouvernance ") a alors pour mission d’en tirer une " fonction objectif " qu’elle doit maximiser, le partage du surplus s’opérant entre parties prenantes conformément au contrat social.

Bref, on l’aura compris, ce livre sort du commun. On y trouve aussi d’autres thèmes (la diversité des actionnaires, le lien entre efficacité de l’entreprise et pouvoir des actionnaires...), mais la partie innovante se trouve dans ce débat, pour l’instant académique mais qui pourrait très bien arriver au premier plan, à la faveur de la crise - qui est aussi une crise de légitimité du capitalisme classique.

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