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Il n’y a pas de fatalité démographique

11 min

Sur le plan démographique, la France est mieux placée que ses voisins. L'avenir des retraites dépend surtout du dynamisme économique du pays.

C’est reparti pour un tour pour la réforme des retraites. Un chantier qui devrait se clore en septembre prochain avec une nouvelle loi. A chaque fois qu’il est discuté, ce sujet donne lieu à un débat très vif car, autour des retraites et de leur avenir, se joue l’ensemble du contrat social : les rapports entre les actifs et les retraités, bien sûr, mais aussi entre les différentes catégories sociales et les différents niveaux de revenu, sans oublier la place de la solidarité collective et de la responsabilité individuelle. Et cela en obligeant tous les acteurs à se projeter dans un futur lointain par nature très incertain.

Pour justifier les réformes, les gouvernants bâtissent en effet des scénarios à quarante ou cinquante ans censés démontrer l’inéluctabilité des mesures (impopulaires) proposées. Mais les hypothèses qui les fondent se révèlent généralement extrêmement fragiles. Cette année, l’exercice est encore compliqué par l’irruption - massive - des conséquences de la crise intervenue en 2008-2009. L’envolée du chômage creuse en effet le déficit des régimes de retraite et bouscule tous les schémas antérieurs.

Les réformes de 2003 et 2008 avaient été bâties sur l’hypothèse d’un reflux rapide du chômage, voire la crainte d’une pénurie de main-d’Oeuvre du fait du papy-boom, avec le départ en retraite en l’espace de quelques années des générations nombreuses du baby-boom (1945-1970). Or, ce n’est manifestement plus dans ce contexte que le problème se pose : le regain massif de chômage depuis deux ans n’a guère de chance de refluer à court terme. Faut-il pour autant - au nom de la fatalité démographique - continuer dans la voie engagée depuis 1993, en allongeant encore les durées de cotisations exigées pour une retraite à taux plein, voire en reculant l’âge minimal de départ en retraite ? On peut en douter.

Zoom Le feuilleton de la réforme des retraites

Cela fait déjà quasiment un quart de siècle que tous les trois ou cinq ans, on procède à une " réforme des retraites ", qui vise invariablement à rendre le système moins généreux pour en limiter le coût malgré le vieillissement de la population.

En 1987, le coup d’envoi avait été donné avec la décision de ne plus indexer l’évolution des pensions versées aux retraités sur celle des salaires des actifs, mais sur les prix. Entraînant ainsi progressivement, au cours de la retraite, une perte sensible du pouvoir d’achat relatif des retraités vis-à-vis des autres salariés.

En 1993, intervient la réforme dite " Balladur ", du nom du Premier ministre de l’époque. Le niveau de la retraite de base des salariés du secteur privé, reposant jusque-là sur le salaire des dix meilleures années, est désormais calculé sur les vingt-cinq meilleures années. Ce qui a pour conséquence d’en diminuer notablement le montant. Parallèlement, pour avoir droit à une retraite à taux plein, il faut désormais avoir cotisé quarante ans, au lieu de 37,5 jusqu’alors.

En 1996, ce sont les régimes de retraites complémentaires (voir encadré page 53) qui réduisent le nombre des points accordés chaque année à leurs cotisants, limitant par là même la retraite qu’ils leur verseront plus tard.

En 2003, la règle des quarante ans de cotisation, qui ne s’appliquait qu’au secteur privé, est étendue à la fonction publique.

En 2008, même chose pour les régimes spéciaux de retraite des grandes entreprises publiques. La durée de cotisation nécessaire pour une retraite à taux plein est également portée à quarante et un ans à partir de 2012.

En 2010, nouvelle saison du feuilleton... 5

Nous vivons plus longtemps

Revenons au point de départ. L’augmentation du nombre de personnes âgées trouve son origine dans une bonne nouvelle : nous vivons de plus en plus longtemps. En 1960, l’espérance de vie d’un Français était en moyenne de 70,2 ans. En 2007, elle atteignait 81 ans. Nous avons donc gagné près de onze ans de vie en un demi-siècle. Il s’agit cependant de l’espérance de vie à la naissance, dont les progrès tiennent pour une part à la chute de la mortalité infantile. Or, celle-ci n’influe pas sur le ratio entre le nombre de personnes âgées et le nombre de personnes d’âge actif. Le chiffre réellement significatif concerne l’espérance de vie à 60 ans, qui a tout de même gagné sept ans en l’espace d’un demi-siècle. A 65 ans, une femme avait ainsi encore 22,7 ans à vivre en moyenne en 2006 et un homme 18,2 ans, selon Eurostat.

Ceci dit, l’espérance de vie en bonne santé, c’est-à-dire la durée pendant laquelle on peut réellement profiter de sa retraite sans avoir à subir d’incapacité majeure, reste, elle, très inférieure : en 2006, elle n’était, toujours à 65 ans, que de 9,5 ans pour une femme et de 8,6 ans pour un homme. Et elle progresse nettement moins vite : un an de plus seulement depuis 1995, contre près de deux pour l’espérance de vie. De plus, les disparités entre catégories sociales restent considérables, tant en termes d’espérance de vie que d’espérance de vie en bonne santé (voir page 57).

Zoom Retraites : comment ça marche ?

La retraite des salariés du secteur privé se compose d’un régime de base, géré par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav). Elle assure une retraite à un taux maximal théorique de 50 % du salaire des vingt-cinq meilleures années, et cela jusqu’au plafond de la Sécurité sociale (2 885 euros par mois actuellement). La liquidation des droits ne peut intervenir avant 60 ans, sauf pour les personnes ayant commencé à travailler très jeune et sous certaines conditions. Le droit à une retraite à taux plein supposera dès 2012 d’avoir cotisé quarante et un ans. En deçà, la pension subit une décote importante.

A la pension de base s’ajoute un complément de retraite versé par les régimes complémentaires obligatoires. Pour tous jusqu’au plafond de la sécurité sociale (Arrco) et au-delà de ce plafond pour les cadres (Agirc). La retraite n’intervient officiellement qu’à 65 ans pour les régimes complémentaires, mais un accord provisoire (qui dure depuis près de trente ans) permet de faire quand même valoir ses droits à 60 ans. Les droits ouverts par les régimes complémentaires sont fondés sur l’accumulation de points, fonction des cotisations perçues. Le prix d’achat des points et leur valeur liquidative ont été modifiés à plusieurs reprises, diminuant d’autant le rendement de ces régimes. Enfin, certaines entreprises assurent des retraites dites surcomplémentaires à leurs cadres dirigeants qui peuvent atteindre des montants très importants : ce sont les fameuses " retraites chapeaux ".

Les fonctionnaires et les salariés des entreprises publiques dépendent de régimes différents. Leurs règles ont été cependant fortement rapprochées de celles du secteur privé, en termes de durée de cotisation et d’âge de liquidation des droits. En revanche, leur mode de calcul des retraites demeure différent.

Qu’en sera-t-il à l’avenir ? Les scénarios qui servent de base aux réformes des retraites parient toujours sur la poursuite de ce mouvement pour justifier la nécessité d’un allongement concomitant de la vie active. Cet allongement de l’espérance de vie a certes été relativement régulier ces dernières années, mais il reste à vérifier qu’il se poursuivra au même rythme, malgré les effets probablement de plus en plus sensibles des pollutions chimiques, de la malbouffe, de l’intensification du travail ou encore de la maîtrise des dépenses de santé. Ce n’est cependant pas l’incertitude la plus difficile à gérer : on peut conditionner les évolutions prévues dans le système de retraites à celles qui seront effectivement constatées en la matière.

Evolution de la part des plus de 65 ans dans la population totale entre 1960 et 2008, en %
Evolution du nombre d’enfants par femme entre 1960 et 2006
Evolution du flux annuel d’immigrants entre 1984 et 2007, en % de la population totale

Les jeunes générations moins nombreuses

La dégradation du rapport entre le nombre de personnes d’âge actif et celui des personnes âgées inactives a une autre cause : le départ à la retraite des générations nombreuses du baby-boom et leur remplacement par de jeunes générations moins nombreuses. En 1960, les femmes avaient eu en moyenne 2,7 enfants. Une moyenne qui était même montée à 2,9 en 1963, avant de tomber à 1,7 au début des années 1990, pour remonter à 2 en 2009. Il s’agit cependant de ce qu’on appelle l’" indicateur conjoncturel de fécondité " en jargon de démographe, c’est-à-dire du nombre moyen d’enfants qu’ont eu l’ensemble des femmes à un moment donné. Si on s’intéresse au nombre d’enfants qu’a effectivement chaque femme avant la ménopause, cette moyenne est supérieure pour les générations qui sont arrivées à ce terme : elle atteint 2,1 enfants par femme, niveau qui permet le renouvellement des générations.

Pourquoi cet écart ? Parce que les femmes ont des enfants de plus en plus tard. Cette baisse des naissances, combinée à l’allongement de la vie, a bien sûr des effets importants sur la structure de la population : les moins de 15 ans pesaient 26,7 % de la population française en 1960, plus du quart. Ils n’en forment plus aujourd’hui que 18,5 %, moins d’un cinquième. A contrario, les plus de 65 ans, qui ne représentaient que 11,5 % de la population en 1960, pèsent aujourd’hui 18,5 % du total.

Cela étant, la France se trouve sur ce plan dans une situation très différente de la plupart des autres pays développés : au Japon, la fécondité est tombée à 1,32 enfant par femme ; elle se situe à 1,33 en Allemagne, 1,35 en Italie, 1,38 en Espagne... Et, dans ces pays (à l’exception de l’Espagne, mais nous y reviendrons), les plus de 65 ans représentent déjà plus d’une personne sur cinq, tandis que les jeunes en pèsent moins d’une sur sept. Depuis 1998 la population allemande d’âge actif (de 15 à 64 ans) a reculé de 2,2 millions de personnes, alors que dans le même temps elle augmentait de 2,9 millions dans l’Hexagone. Bref, la France est bien sûr concernée elle aussi par le vieillissement, mais elle l’est dans des proportions qui sont et resteront dans l’avenir prévisible nettement moins importantes que la plupart de ses voisins. Il est donc légitime qu’une question comme l’âge de départ en retraite, qui devrait être portée à 67 ans en Allemagne en 2029 et peut-être également en Espagne prochainement, se pose de façon sensiblement différente dans notre pays.

Sous réserve bien sûr d’une catastrophe sanitaire, d’une guerre ou d’une inflexion de la tendance à l’allongement de l’espérance de vie, la connaissance du nombre des naissances passées permet de prévoir l’évolution de la population future. A ceci près toutefois que les migrations peuvent modifier la donne assez rapidement. L’Espagne des dernières années illustre de façon éclatante cette fragilité. Avec un taux de fécondité qui a constamment été inférieur à 1,5 enfant par femme depuis un quart de siècle, le choc démographique devrait a priori déjà être presqu’aussi violent en Espagne qu’en Allemagne. De fait, la proportion des plus de 65 ans a plus que doublé entre 1960 et 2001, passant de 8,1 % à 16,9 %.

Mais depuis le début des années 2000, cette proportion est reparti à la baisse. Pourquoi ? Grâce à un afflux d’immigrés d’âge actif qui a représenté jusqu’à 900 000 personnes, soit 2 % de la population du pays en 2007, contre 0,2 % en France cette année-là. Un apport qui s’est bien sûr nourri de la forte croissance qu’a connue l’économie espagnole avant la crise, mais qui l’a aussi nourri. Au-delà des difficultés présentes de l’économie espagnole, ce retournement spectaculaire montre à quel point le recours à l’immigration peut modifier profondément et rapidement la donne démographique.

Un ratio déterminant

Mais la grande fragilité des scénarios à l’horizon 2050 tient surtout au fait que le financement des retraites est très loin de dépendre des seules variables purement démographiques. Ce qui compte en effet pour l’équilibre économique des systèmes de retraite, ce n’est pas tant la part des plus de 65 ans dans la population que le rapport entre leur nombre et celui des personnes qui occupent un emploi. Or, sur ce terrain, les incertitudes à 40 ans sont encore infiniment plus grandes que celles, déjà fortes, concernant la démographie.

Zoom La déroute des fonds de pension

S’il en est besoin, la crise financière de 2008-2009 (après celle de 2001) montre que les systèmes de retraite par capitalisation ne peuvent en aucun cas constituer une alternative satisfaisante aux systèmes de retraite fonctionnant sur le principe de la répartition (comme en France). Les crises financières menacent en effet souvent la capacité même de ces systèmes à servir des retraites, notamment quand il s’agit de systèmes d’entreprises et que ces entreprises sont en difficulté. A tout le moins, elles menacent d’amputer de façon sensible le niveau des retraites servies. De plus, les déséquilibres des systèmes de retraites par capitalisation aggravent la crise elle-même, car ils ont des effets " procycliques ", comme disent les économistes.

Historiquement, les fonds de pension étaient surtout au départ des systèmes dits à " prestations définies " : comme des systèmes par répartition, ils garantissent aux ayants droit un revenu prédéterminé, fonction de leurs revenus d’activité. Seulement, ils le font grâce aux revenus du capital (ou aux plus-values) qui résultent des placements réalisés avec les cotisations versées chaque mois par les salariés et l’entreprise. Avec la crise, les actifs détenus par ces fonds ont cependant fondu de manière spectaculaire du fait de la baisse des titres financiers : un tiers en moyenne en Irlande au cours de la seule année 2008, un quart aux Etats-Unis, 18 % au Royaume-Uni... Et en moyenne plus de 20 % dans l’ensemble des pays de l’OCDE, le club des pays riches. L’amélioration intervenue depuis sur les marchés financiers est encore loin d’avoir compensé ces pertes.

Dans tous les pays, les autorités surveillent ces fonds pour s’assurer qu’ils disposent de suffisamment de moyens pour faire face à leurs engagements futurs. Or, avec la crise, ce n’était très souvent plus le cas. Les autorités de surveillance ont donc partout demandé aux entreprises (ou aux gouvernements pour les fonds de pension publics) de renflouer d’urgence les fonds pour compenser les pertes constatées sur les marchés. Mais, du coup, ce renflouement a sensiblement aggravé les difficultés financières des entreprises et des Etats, et donc la crise elle-même.

On trouve aussi, et de plus en plus, des systèmes de retraite par capitalisation dits à " cotisations définies " : les salariés mettent chaque mois de l’argent de côté à titre individuel, moyennant souvent un abondement par leur employeur et des exemptions fiscales et/ou sociales. Ces systèmes se sont beaucoup développés ces dernières années parce que, contrairement aux systèmes à " prestations définies ", ils dégagent entreprises et gouvernements de toute responsabilité vis-à-vis du niveau des retraites futures : celui-ci dépend uniquement de la stratégie de placement des individus et de l’état des marchés financiers. De ce fait, avec la crise, nombre de papy-boomers qui se trouvaient au seuil de la retraite ont vu fondre comme neige au soleil le patrimoine qu’ils avaient patiemment accumulé pour financer leur retraite. Les poussant à épargner beaucoup plus, tout en se maintenant en emploi (s’ils le peuvent). Ce qui, là aussi, aggrave la crise en amputant la consommation et en accroissant le chômage des jeunes.

Résultat : en Argentine, le gouvernement a nationalisé les fonds de pension ; en Slovaquie, en Hongrie et en Croatie, les gouvernements ont autorisé ceux qui avaient fait le choix de la capitalisation, incités en cela par une fiscalité avantageuse (et par la propagande des organisations internationales), à revenir dans le système public par répartition. Et, partout, les Etats cherchent des expédients pour éviter que les réformes imprudemment engagées ces dernières années ne virent au drame social.

C’est en effet en prélevant une part de la richesse que produisent les personnes actives occupées qu’on finance les retraites. Et cela quel que soit le système de retraite, qu’il fonctionne par répartition*, où ce prélèvement s’opère via les cotisations sociales et/ou l’impôt, ou par capitalisation**, où il intervient via les revenus du capital (intérêts, dividendes et plus values) placé en vue de la retraite. En France, on comptait en 2008 39 adultes de 15 à 65 ans pour 10 personnes de plus de 65 ans, mais seulement 24 d’entre eux occupaient un emploi (en équivalent temps plein). En Allemagne, on se situe même déjà en dessous de 2 pour 1. Deux actifs en emploi pour un retraité, cela signifie qu’il faudrait en gros prélever le tiers de la richesse produite par chaque actif si on veut offrir au retraité un revenu équivalent au leur.

L’évolution de ce ratio personnes en emploi/retraités dépend cependant étroitement du dynamisme de l’activité économique. On s’en rend bien compte sur le graphique ci-contre : l’impact massif de la croissance est particulièrement net dans le cas de l’Espagne sur les dix dernières années. Mais en France aussi, dès que la croissance économique a frémi comme à la fin des années 1980 ou entre 1998 et 2001, ce ratio s’est amélioré rapidement. On compte actuellement dans l’Hexagone 24 actifs en emploi pour dix personnes de plus de 65 ans, mais ils n’étaient déjà que 25 pour dix en 1995. Alors que le ratio entre l’ensemble des 15-64 ans et celui des plus de 65 ans est tombé dans le même laps de temps de 44 pour 10 à 39 pour 10. Autrement dit, grâce au développement important de l’emploi intervenu entre-temps, la part des richesses prélevées pour financer les retraites a pu rester quasiment stable malgré un vieillissement déjà significatif de la population. Et il y aurait de la marge pour poursuivre un tel mouvement à l’avenir : le taux d’emploi des 25-49 ans n’est encore que de 77 % en équivalent temps plein en France. Il n’est en particulier toujours que de 69 % pour les femmes.

Evolution du nombre d’actifs occupés par personne de plus de 65 ans entre 1960 et 2008, en équivalent temps plein
Dépenses des systèmes collectifs de retraite, en % du PIB en 1980, 1985, 1990, 1995, 2000 et 2005
Age moyen* auquel les hommes ont quitté le marché du travail entre 1960 et 2007

La crise oblige à repenser les options

La crise survenue depuis deux ans a cependant dégradé significativement ce ratio emplois/retraités, creusant un trou de l’ordre de 5 % dans le financement des retraites. Se contenter d’allonger les durées de cotisation pour obliger les gens à partir plus tard (ou à toucher des pensions plus faibles s’ils ne veulent pas retarder leur départ), voire repousser l’âge légal de départ comme cela est envisagé aujourd’hui, sans être en mesure de doper la croissance économique, améliorerait certes la situation comptable des régimes de retraite. Mais dans la mesure où la plupart des personnes sont déjà hors l’emploi lorsqu’elles font valoir leurs droits à la retraite, cela reviendrait surtout à les maintenir plus longtemps dans une situation précaire (voir notre entretien avec Thomas Piketty page 59).

Quant à ceux qui resteront plus tardivement en emploi, ils risquent surtout de réduire les places disponibles pour les jeunes. Une tendance déjà à l’Oeuvre du fait des réformes antérieures et du durcissement des conditions permettant aux salariés ayant commencé à travailler très tôt d’accéder à la retraite avant 60 ans : malgré la crise, le taux d’emploi*** des 55-64 ans a augmenté de presque un point entre fin 2007 et fin 2009, alors que, parallèlement, celui des jeunes de moins de 25 ans baissait d’un point et demi. Un retraité coûte certes plus cher à la collectivité qu’un chômeur, surtout s’il est jeune puisqu’il n’a même pas droit au RSA socle (ex-RMI) avant 25 ans. Mais en termes d’investissement d’avenir, ce choix est très discutable.

Zoom La baisse des pensions est déjà programmée

Pour équilibrer les finances des régimes de retraite sans augmenter les cotisations malgré la hausse du nombre des retraités, et le fait qu’ils vivent plus longtemps, une des options consiste à réduire le niveau des retraites versées dans le futur. C’est cependant une hypothèse que le président de la République a exclue a priori pour les discussions engagées cette année. Il y a de bonnes raisons à cela. Selon une étude réalisée par la Commission européenne et rendue publique en juillet dernier (voir " Pour en savoir plus "), la France est en effet déjà, du fait des réformes actées précédemment (voir encadré page 52), un des pays d’Europe qui a prévu de réduire le plus ce qu’on appelle le " taux de remplacement " des retraites, c’est-à-dire le rapport entre la pension nette que touche un retraité et son salaire net au moment où il part en retraite. En fonction des réformes actées en 2006, la Commission a estimé ce taux en 2006 et en 2046 dans les 27 pays de l’Union pour un homme ayant travaillé à temps plein et cotisé quarante ans au moment de son départ en retraite. En France, ce taux devrait ainsi passer de 79 % en 2006 à 63 % en 2046, soit une chute 16,5 points. La quatrième baisse la plus importante parmi les Vingt-Sept et la seconde au sein de l’ex-Europe des Quinze. Du coup, en 2046, le taux de remplacement français se situerait parmi les plus bas d’Europe. Difficile donc d’aller plus loin dans ce sens : il y aurait même plutôt urgence à revenir en arrière.

Taux de remplacement net, cas de base et écart 2006-2046

* Homme ayant travaillé à temps plein et cotisé quarante ans au moment de son départ en retraite.

Taux de remplacement net, cas de base et écart 2006-2046

* Homme ayant travaillé à temps plein et cotisé quarante ans au moment de son départ en retraite.

Bref, il ne fait pas de doute que le vieillissement de la population fait peser des contraintes supplémentaires sur les systèmes de retraites, mais la France est a priori dans une bien meilleure position pour y faire face sur le plan démographique que la plupart de ses voisins. Les incertitudes sont cependant très fortes sur l’évolution à moyen terme de l’emploi et de l’activité économique, déterminante pour le financement des retraites. Toutes les options envisagées actuellement - allongement des durées de cotisation, baisse des retraites, recul de l’âge de départ en retraite, hausses des cotisations - présentent des avantages et des inconvénients qu’il faut peser d’abord en termes éthiques et sociaux, sans pouvoir compter sur l’objectivité de la science pour régler à notre place ces choix difficiles. Mais avec la remontée durable du chômage, un pas supplémentaire dans l’allongement de la vie active ne paraît guère cependant pouvoir être un choix optimal dans l’immédiat.

* Retraites par répartition

Système de retraite fondé sur la solidarité entre générations ; les pensions des retraités sont financées par des cotisations prélevées sur les revenus des actifs du moment.

** Retraite par capitalisation

Système de retraite où les pensions sont financées par les revenus - ou la revente - d'actifs financiers accumulés par chaque retraité durant sa période d'activité.

*** Taux d'emploi

Rapport entre les personnes ayant un emploi et la population totale d'une tranche d'âge donnée.

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