Opinion

Retraite à 60 ans : sortir de l’idéologie

3 min
Pierre Concialdi chercheur à l'Institut de recherches économiques et sociales (Ires)

A propos de la réforme de 1983 qui avançait à 60 ans l’âge minimal de départ à la retraite, certains experts n’hésitent pas à parler de " drame " 1. Ce n’est certainement pas le point de vue des ouvriers, dont on peut estimer que la durée de retraite a été multipliée par deux (passant de cinq à dix ans) avec cette réforme.

La retraite à 60 ans aurait-elle engendré une catastrophe économique 2 ? Depuis 1983, la part des dépenses de retraite dans le produit intérieur brut (PIB) a augmenté de moins de 2 points. Elle est restée à peu près stable dans les dix premières années qui ont suivi cette réforme et a ensuite très légèrement augmenté. La hausse avait été de 4 points entre 1973 et 1983. Dans les vingt-cinq années qui ont suivi la réforme, la progression des dépenses a considérablement ralenti. Il y a deux raisons à cela. D’abord, le taux d’activité des plus de 60 ans avait déjà fortement baissé dans les années 1970. La réforme de 1983 n’a fait qu’ajuster notre système de retraite à cette réalité, ce qui a permis de fortement dégonfler les effectifs de préretraités et les dépenses liées. Ensuite, cette réforme a surtout bénéficié aux ouvriers (c’est-à-dire aux plus faibles salaires), qui vivent moins longtemps à la retraite que les cadres et qui, de ce fait, " coûtent " moins aux régimes de retraite.

Ce n’est pas en reculant l’âge de la retraite que les salariés resteront plus longtemps dans l’emploi. On ne ferait qu’allonger la période qui sépare la sortie de l’emploi de l’âge légal de la retraite. Dans la plupart des pays européens où la loi fixe un âge de 65 ans, cet écart est de trois à quatre ans. Il est d’environ un an en France.

Reculer l’âge légal de la retraite au motif que l’âge moyen de liquidation de la pension est de 61,5 ans est tout aussi absurde. Dans le régime général, plus de 80 % des salariés partent à la retraite à 60 ou à 65 ans parce qu’ils peuvent bénéficier du taux plein à ces âges : dès 60 ans s’ils ont une carrière complète ou à 65 ans sans condition de durée d’assurance (mais avec une pension réduite). Les dernières projections du Conseil d’orientation des retraites (COR) tablent sur une hausse de cet âge moyen de liquidation : moins de salariés partiront à 60 ans et davantage devront attendre 65 ans, en raison de durées d’assurance insuffisantes.

Avant la retraite à 60 ans, les salariés pouvaient déjà liquider leur pension à cet âge, mais à taux réduit, avec une demi-pension. Reculer l’âge de la retraite n’est qu’une façon déguisée de revenir à cette situation et de plonger de plus en plus de salariés dans la précarité.

  • 1. Christian Stoffaës, dans l’émission Opinions, sur France 24 le 12 avril 2010.
  • 2. Voir aussi la chronique de Jean-Marie Harribey, page 18.

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