Opinion

Chine : quel taux de change ?

3 min
Patrick Artus Directeur de la recherche et des études de Natixis

Américains et Européens réclament à la Chine une réévaluation de sa monnaie afin de rendre le travail chinois plus cher, donc moins compétitif, et ainsi diminuer l’excédent commercial du pays. De fait, les salaires en Chine sont douze fois plus faibles qu’en Europe et qu’aux Etats-Unis. Si l’on compare les coûts unitaires de production [les coûts de production par unité produite], l’écart est moindre puisqu’ils sont deux fois plus faibles en Chine que dans les grands pays de l’OCDE. Ce qui signifie tout de même que pour égaliser les coûts de production, il faudrait une appréciation de 100 % de la monnaie chinoise !

Pourquoi Pékin accepterait une réévaluation forte et rapide ? Pour lutter contre l’inflation en diminuant le prix des produits importés ? Contrairement à ce qui est souvent avancé, la Chine ne connaît pas de pressions inflationnistes : si on exclut les prix de l’alimentation, qui augmentent rapidement avec les difficultés de l’agriculture (sécheresse, érosion des sols), l’inflation est légèrement négative. Et en dépit d’un vaste plan de relance, il n’y a pas de surchauffe en Chine : le niveau très élevé de l’investissement et la présence de capacités de production excédentaires conduisent plutôt à une baisse des prix.

Ensuite, le problème politique central en Chine reste d’éviter le chômage, particulièrement dans la perspective de la poursuite des migrations des campagnes vers les villes avec la modernisation de l’agriculture. Il faut donc continuer à créer entre 12 et 14 millions d’emplois peu qualifiés supplémentaires par an pour les migrants. La crainte, souvent répétée, du gouvernement chinois est qu’une réévaluation de sa monnaie conduise à une délocalisation des industries de main-d’oeuvre vers des pays d’Asie à salaires encore plus faibles : Vietnam, Indonésie, Inde...

Enfin, la situation de la Chine évolue. L’affaiblissement des économies des pays de l’OCDE réduit le rôle des exportations comme moteur de la croissance et le soutien de la demande intérieure a conduit à une forte progression des importations : l’excédent commercial de la Chine a disparu au 1er trimestre 2010, ce qui enlève un argument aux défenseurs de l’appréciation du yuan.

Dans ce contexte, que devraient demander les Européens à la Chine ? Si celle-ci laisse filer le dollar, celui-ci se dépréciera, y compris face à l’euro, ce qui est très défavorable à l’Europe, dont le commerce extérieur dépend surtout de la parité dollar-euro. L’Europe devrait donc réclamer à la Chine de passer à un régime de change où elle lierait sa devise à un panier de monnaies (dollar, euro, yen et autres monnaies d’Asie). Il faudrait ensuite que la Chine accepte de réévaluer progressivement contre toutes les monnaies du panier dont l’euro. Et s’il en était ainsi ? Cela conduirait surtout à une hausse des prix des produits importés de Chine, alors même que les délocalisations vers ce pays sont largement irréversibles. L’Europe n’y gagnerait pas grand-chose.

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