Société

Des accidents qui gâchent la vie

8 min

11 millions de victimes, 4,5 millions de blessés, 18 500 morts : le bilan est lourd pour les accidents de la vie courante en France, qui ne sont toujours pas une préoccupation majeure de santé publique.

Un garçon de 4 ans a été victime de la chute d’un téléviseur sur sa tête, au domicile de ses parents à Essert (...). La mère de l’enfant était occupée dans la cuisine " (Libération, le 23 décembre 2009). " Un skieur est décédé, hier après-midi, à Saint-François-Longchamp (...). Gilbert, 32 ans, (...) est sorti de la piste en ratant un virage " (Le Dauphiné libéré, le 20 février 2009). Les rubriques " Société " ou " Faits divers " des quotidiens relatent très régulièrement ce type d’accidents de la vie courante. L’Institut national de veille sanitaire (InVS) les définit comme des traumatismes non intentionnels qui ne sont ni des accidents de la circulation ni des accidents du travail, et estime que 50 % d’entre eux ont lieu dans ou autour de la maison.

Ces accidents de la vie courante sont les plus... courants des accidents. On en recense 11 millions chaque année, responsables de 4,5 millions de blessés et de plus de 18 500 morts, soit quatre fois plus que les accidents de la route, heureusement en forte diminution depuis dix ans ! Principales causes : les chutes (60 %), les suffocations (15 %), les noyades (5 %) et les intoxications (5 %). Ces accidents concernent tous les âges, les plus touchés étant les enfants de moins de 15 ans. En revanche, ils sont surtout fatals pour les personnes âgées : selon l’Institut de veille sanitaire, les deux tiers des décès par accident de la vie courante sont survenus chez les plus de 75 ans en 2006.

Moins de décès

Les décès liés à ce type d’accidents sont cependant en diminution : le taux de mortalité a baissé de 11 % entre la période 2000-2002 et 2004-2006, une baisse qui profite d’abord aux plus jeunes. " On le vérifie notamment pour les décès par électrocution, par accidents de vélo et par noyade", précise Bertrand Thélot, épidémiologiste et responsable de l’unité traumatismes à l’Institut de veille sanitaire. Un progrès dû à l’évolution des normes, et notamment à l’obligation d’installer des prises de courant avec cache, qui empêchent le contact avec l’électricité, dans les nouvelles installations. De même, les normes de sécurité pour les piscines privées ont été renforcées, notamment sous l’impulsion d’associations telles que Sauve qui veut, qui rassemble des parents d’enfants victimes. Mais la réduction du nombre de décès s’explique aussi par une baisse des comportements à risque suite aux campagnes d’information.

Conséquences médicales des accidents de la vie courante, en %

Pourtant, nombre d’accidents pourraient encore être évités. C’est un enjeu évidemment majeur au vu du drame qu’ils constituent pour les victimes et leurs proches, mais aussi en raison des coûts entraînés. Selon l’Institut de veille sanitaire, les hospitalisations résultant d’un accident de la vie courante représenteraient 10 % des dépenses de l’assurance maladie. Ces accidents coûtent cependant surtout aux ménages : au-delà des dépenses de santé prises en charge par l’assurance maladie, ils signifient bien souvent des pertes de revenus ou la nécessité d’engager d’importantes dépenses pour réaménager le logement en cas de handicap, faire appel à une aide à domicile, etc.

Un nouveau marché pour les assureurs

Ces conséquences n’ont pas échappé aux assureurs. En mal de nouveaux produits sur un marché de l’assurance saturé, ils développent donc depuis 2000 des contrats " Garantie accident de la vie " (GAV), qui permettent aux assurés et à leur famille de recevoir une indemnisation pour les préjudices corporels résultant d’un accident domestique. Vous perdez un bras lors d’un accident de vélo, vous toucherez une rente annuelle et bénéficierez, selon votre contrat, d’une assistance psychologique, d’une aide à la réinsertion professionnelle, etc. Ces assurances s’ajoutent le plus souvent aux garanties offertes par les contrats multirisque habitation qui couvrent la responsabilité civile de la famille et les biens en cas de dommages, mais pas les personnes.

Nombre d’accidents de la vie courante en 2006 en France métropolitaine, selon l’âge et le sexe, et taux de mortalité consécutif (pour 100 000 personnes)

Les principaux offreurs sont les grands bancassureurs comme le Crédit agricole-LCL, BNP Paribas et le Crédit mutuel ; ils proposent ces contrats en accompagnement de leurs prêts immobiliers. Un business plutôt rentable compte tenu du faible nombre de sinistres déclarés et de leur coût.

Les mutuelles sans intermédiaire, comme la Macif et la Maif, jouent également un rôle important sur ce marché. La Macif, en fait, a longtemps inclus ces garanties dans les contrats autos souscrits par ses sociétaires. Côté Maif, une offre globale est désormais proposée en extension de la multirisque habitation

Quel est le coût d’une telle assurance ? En moyenne, le prix de la formule individuelle, pour un contrat qui vous prend en charge pour une incapacité permanente partielle* supérieure à 30 %, varie de 8 à 12 euros par mois. "Mais il faut se méfier des contrats premiers prix, car ils ne couvrent pas grand-chose", affirme Patrick Potelet, rédacteur en chef adjoint du magazine Que Choisir. Aujourd’hui, ce sont surtout les ménages les plus aisés qui souscrivent ces garanties complémentaires, alors qu’ils ne sont évidemment pas plus touchés que les autres par ces accidents ! Il est vrai que ces primes d’assurance viennent s’ajouter, pour les plus modestes, à d’autres dépenses en hausse, notamment les complémentaires santé, dont le coût s’accroît avec la baisse des taux de remboursement de l’assurance maladie 1.

Prévenir plutôt que guérir

Au-delà, il faut évidemment prévenir plutôt que guérir. Le travail de prévention n’est cependant pas aisé du fait de l’hétérogénéité des causes. Quel rapport entre un enfant noyé dans une piscine privée, une personne âgée étouffée par l’ingestion d’un aliment et un bricoleur du dimanche tombé de son échelle ? Il faut donc apprendre à l’ensemble de la population à minimiser les comportements à risque, sans arrêter de vivre pour autant ! A cette fin, la Commission de la sécurité des consommateurs (un organisme public qui a notamment pour mission de recenser les accidents de la vie courante), l’Institut national de la consommation (INC) et Macif Prévention ont joint leurs efforts depuis 2007 pour agir en ce sens. "Notre objectif est d’améliorer la connaissance du public sur les risques. Pour cela, il faut lancer une campagne de grande échelle. Nous demandons donc que les accidents de la vie courante soient "grande cause nationale" en 2011, au même titre que la sécurité routière en 2000 ", explique Claude Rouy, directeur de Macif Prévention, qui poursuit : "La prévention passe aussi par la règlementation et la normalisation. "

Cette prévention ne peut s’envisager sans impliquer les acteurs économiques pour qu’ils se mettent d’accord sur des normes susceptibles d’être ou non rendues obligatoires selon le cas. Ainsi, dans le domaine du sport de loisirs, les normes sont appliquées à 100 % par les fabricants, selon la Fédération française des industries du sport et des loisirs (Fifas). En revanche, dans le domaine du jouet, la conformité des produits aux normes de sécurité européennes reste mal assurée. La directive européenne sur les jouets, révisée en juin 2009, a certes renforcé les exigences vis-à-vis des fabricants et des importateurs, la conformité étant garantie au consommateur par le marquage " CE ". Mais avec un bémol : ce marquage peut être apposé au choix du fabricant, soit sur simple déclaration de sa part, soit après évaluation par un organisme spécialisé. La première possibilité est largement utilisée par les producteurs (notamment chinois) et les importateurs, au risque de voir des produits non conformes mis sur le marché. C’est ainsi que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), en France, retire régulièrement de la vente des produits après contrôle.

Manque de moyens et baisse des effectifs

Autre problème : la DGCCRF manque de moyens : " les services des douanes et de la répression des fraudes surveillent le marché, mais la mondialisation des échanges appelle une intensification de ces actions", souligne le magazine Que choisir dans une enquête sur les accidents de la vie courante publiée en décembre 2009. Or, la réorganisation de la DGCCRF, mise en place en janvier 2010 2, n’est pas pour rassurer : " Nous constatons une baisse de notre activité. Entre le 1er janvier et le 28 février 2010, 31 931 entreprises ont été visitées, contre 34 820 sur la même période en 2009 et 37 060 en 2008 ", dénonce Patrice Rio, secrétaire général de la CFDT à la CCRF.

Zoom Assurance scolaire : attention au doublon

Au début de chaque année scolaire, les parents d’élèves doivent fournir à l’école une attestation d’assurance scolaire afin de prouver que leur enfant est assuré pour la responsabilité civile (dommages causés à des tiers) et pour ses propres dommages corporels. Au même moment, les associations de parents d’élèves proposent des contrats, en partenariat avec des assureurs, qui vont de 10 euros, pour une assurance couvrant simplement le temps scolaire, à 30 euros, pour les formules plus complètes, englobant les vacances, par exemple. " L’assurance scolaire n’est pas chère ; du coup, les parents y souscrivent pour se rassurer, mais en réalité, elle ne sert souvent pas à grand-chose ", affirme Patrick Potelet, rédacteur en chef adjoint de Que choisir. Bien souvent, les enfants sont en effet déjà couverts par l’assurance multirisque habitation de leurs parents. " Avant de souscrire une assurance supplémentaire, il faut bien lire les contrats de celles dont on dispose déjà. Car il y a souvent des doublons ", conseille Patrick Potelet.

Les syndicats et les associations de consommateurs craignent aussi que les alertes sur des produits données par la Direction générale soient répercutées plus lentement dans les départements, du fait du passage désormais obligé par le préfet. "De plus, la réforme va accélérer la réduction des effectifs déjà en marche ", explique Patrice Rio.

Un autre moyen de faire pression sur les producteurs de biens et de services serait la possibilité d’exercer des " actions de groupe " (class action, en anglais). Cette procédure de dépôt de plainte collective par des consommateurs demandant réparation au producteur existe notamment aux Etats-Unis, en Belgique et en Italie. Certes, elle est essentiellement utilisée pour des préjudices économiques, mais au Québec, par exemple, il existe des actions de groupe pour dommages corporels. En France, les associations de consommateurs, dont l’UFC-Que choisir et la CLCV, plaident depuis plusieurs années pour l’instauration d’actions de groupe, mais le projet est constamment reporté par le gouvernement. Quant au patronat, il crie au danger, craignant une " juridicisation " de la société qui pourrait lui coûter très cher.

  • 1. Voir " Mutuelles : la solidarité menacée ", Alternatives Economiques n° 286, décembre 2009.
  • 2. Dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), les directions départementales de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DDCCRF) ont été intégrées dans des directions plus larges, sous l’autorité du préfet.
* Taux d'incapacité permanente partielle (IPP)

Mesure la perte d'intégrité physique suite à un accident, lorsque l'état de la personne est stabilisé. Les assureurs se basent sur ces taux pour fixer les montants de leurs indemnisations (plus le taux est élevé, plus l'indemnisation sera importante).

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !
Sur le même sujet
Foo Dossier 2/3
Société

Les assureurs, champions de la sélection des risques

Sabine Germain