L’équitable attise les convoitises

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La grande distribution investit le marché des produits équitables. En réponse, les acteurs historiques du secteur diversifient leur offre et valorisent leur démarche solidaire.

Monoprix, un samedi après-midi, devant le rayon café, le consommateur est perplexe : il a devant lui un pur arabica de la marque Malongo, bio et labellisé Max Havelaar*, à 13,56 euros/kg, et un café Monoprix, également arabica, bio et labellisé équitable à 11,12 euros/kg. S’il se rend chez Leader Price, il trouvera un arabica également labellisé (mais non bio) à 8 euros/kg. Enfin, s’il choisit de pousser la porte de la boutique Artisans du monde la plus proche, il pourra acheter un café bio du Mexique à 14 euros/kg tout en prenant le temps de s’informer sur les mécanismes du commerce équitable**.

Zoom Le commerce équitable connaît peu la crise

L’expansion du commerce équitable n’a pas été arrêtée par la crise. D’après le groupe d’études Xerfi 1, la croissance des ventes de produits labellisés Max Havelaar (le principal label du commerce équitable) demeure soutenue : après avoir augmenté de 21,9 % en 2008, elle a progressé de 15 % en 2009, avec un chiffre d’affaires cumulé de 287 millions d’euros, un montant qui demeure toutefois négligeable rapporté à l’ensemble de la consommation des ménages. La croissance de l’équitable en 2009 s’explique cependant en grande partie par l’extension des gammes de produits offerts, au premier chef les produits textiles à base de coton équitable.

  • 1. " Le marché du commerce équitable en France à l’horizon 2015. Mutation des rapports concurrentiels, segments porteurs et relais de croissance ", Xerfi, janvier 2010.

Les canaux de distribution des produits du commerce équitable se sont multipliés ces dernières années, en même temps que l’offre se diversifiait. Au départ uniquement présents dans des boutiques spécialisées, notamment celles du réseau militant Artisans du monde, les produits certifiés " équitable " ont ensuite fait leur apparition dans les rayons de la grande distribution à la fin des années 1990, où l’on a pu trouver des marques nationales (Malongo, Ethiquable, Alter Eco, etc.). Aujourd’hui, 70 % des ventes de produits labellisés Max Havelaar (63 % pour l’ensemble des produits du commerce équitable) se font en grandes et moyennes surfaces. Depuis le milieu de la décennie 2000, la grande distribution s’est elle-même lancée sur le marché en créant ses propres produits labellisés Max Havelaar sous marques de distributeurs (MDD).

La montée des marques de distributeurs

"Notre volonté était de démocratiser ces produits en les proposant à des prix accessibles", explique Sandrine Mercier, directrice développement durable de Carrefour France. Question d’image également, à l’heure où tous les grands groupes font de leur souci de responsabilité sociale et environnementale un élément de leur communication. Fin 2009, Carrefour proposait 22 produits à sa marque labellisés Max Havelaar, en moyenne 20 % moins chers que les marques spécialisées. Aujourd’hui, on trouve des produits équivalents dans les rayons de toutes les grandes enseignes : Auchan, Leclerc, Intermarché, Casino et Monoprix. Même les discounters s’y sont mis. On peut désormais acheter des produits distributeurs labellisés Max Havelaar chez Lidl, Leader Price et Franprix. Et ça marche : la croissance continue du marché en 2009 a profité pour l’essentiel aux marques de distributeurs. Ethiquable, leader sur le marché, a ainsi vu son chiffre d’affaires stagner tandis que celui des MDD progressait de 30 %. Désormais, un tiers du café, 7 % du thé et 23 % du chocolat labellisé Max Havelaar passés à la caisse des grandes et moyennes surfaces sont vendus sous marques de distributeurs.

Les réseaux spécialisés souffrent

Comment la grande distribution peut-elle proposer des produits équitables à un prix final moins élevé ? "Comme pour les autres produits, c’est une question de volume. Plus ils sont importants, plus on peut proposer des produits à faibles prix. C’est aussi une question de volonté de la part de Carrefour", explique Sandrine Mercier. Quant aux discounters, en plus de jouer sur les volumes, ils serrent leurs marges et proposent des produits moins haut de gamme.

" L’arrivée des MDD sur le marché a permis de conquérir de nouveaux consommateurs que le prix rebutait, constate Rémi Roux, gérant de la coopérative Ethiquable. En revanche, si la grande distribution phagocyte le marché, il n’y aura plus de place pour nous, et donc plus de nouveaux produits, car les MDD ne proposent que les produits de base. En outre, elles ne contribuent pas à diffuser l’information sur les enjeux du commerce équitable. "

Quid des réseaux spécifiques, tels les boutiques Artisans du monde ? "Dans les années 2004-2006, le développement des ventes en grandes surfaces s’est révélé bénéfique aux boutiques spécialisées, qui ont profité de la visibilité et de la notoriété ainsi acquises par le commerce équitable. Aujourd’hui, elles souffrent davantage de la crise que de la grande distribution", analyse Julie Stoll, coordonnatrice de la Plate-forme pour le commerce équitable. Mais leurs difficultés traduisent aussi l’évolution de leur offre. Fortement concurrencées sur les produits alimentaires équitables, qu’on achète au passage en remplissant son chariot, elles se sont recentrées sur des achats pour lesquels leurs boutiques sont mieux positionnées - produits de l’artisanat, textile -, des produits moins indispensables, dont la demande a chuté avec la crise. " Nos résultats sont inférieurs aux prévisions. Néanmoins, nous n’avons pas fermé de boutiques ", insiste Claude Chosson, responsable du développement commercial d’Artisans du monde.

Une concurrence par le bas

Les militants auraient-ils achevé leur rôle historique en obtenant des grands groupes de distribution qu’ils se convertissent à un commerce plus juste ? D’une part, l’objectif des grands distributeurs - ne pas être absents d’une niche qui profite à leur image - et celui des entreprises spécialisées - développer des filières qui assurent un revenu décent à un nombre croissant de producteurs du Sud - demeurent profondément différents. D’autre part, l’exigence de gros volumes entre en contradiction avec le souci affirmé par les entreprises spécialisées d’offrir des débouchés à des petits producteurs, souvent moins bien organisés et moins accessibles. Les grands distributeurs, qui traitent directement avec des exportateurs, ne se préoccupent pas d’aider les coopératives de producteurs à s’organiser, à se développer ou à monter en gamme, par exemple en se convertissant au bio. Contrairement à Artisans du monde et aux marques spécialisées.

Zoom La Quinzaine du commerce équitable fête ses dix ans

La Quinzaine du commerce équitable, qui aura lieu du 8 au 23 mai, fête sa 10e édition. Elle sera inaugurée par le 5e Forum national du commerce équitable, coorganisé par la Plate-forme du commerce équitable, Max Havelaar et le Groupe SOS. Installé du 8 au 10 mai à Lille Grand Palais, ce forum réunira les principaux acteurs du secteur. Au programme : une centaine d’exposants, des animations (conférences, ateliers, dégustations, etc.) et des espaces dédiés aux acteurs locaux, aux porteurs de projets... La Quinzaine du commerce équitable est également l’occasion de nombreuses manifestations dans toute la France (voir le programme en ligne et dans notre " Agenda ", page 95).

Autre risque : comme le font certaines multinationales de l’agroalimentaire, les distributeurs peuvent être tentés de faire appel à des labels moins exigeants, comme l’américain Rainforest Alliance. Ce qui introduit une concurrence par le bas entre organismes de labellisation. La tentation est forte d’assouplir les critères pour rallier de nouveaux distributeurs, voire quelques grandes marques, tout cela au nom de la progression des volumes. Les entreprises spécialisées défendent, au contraire, le maintien d’un haut niveau d’exigence en termes de rémunération et d’accompagnement des producteurs. " Nous devons convaincre les consommateurs d’aller vers les produits qui offrent les meilleures garanties, et notamment ceux des entreprises spécialisées qui assurent une vraie traçabilité des filières, explique Rémi Roux. La concurrence des normes doit profiter aux plus exigeantes, c’est ainsi qu’on contraindra les MDD à travailler directement avec despetits producteurs."

* Max Havelaar

C'est le principal label de commerce équitable. En 2009, on comptait 3 015 produits labellisés et commercialisés en France. Depuis début 2010, un nouveau label, issu du bio, a été introduit : Ecocert équitable.

** Commerce équitable

Ce commerce a pour but d'offrir une juste rémunération à de petits producteurs de pays du Sud par l'application d'un prix minimum dans le cadre d'une relation commerciale durable, tout en proposant aux consommateurs des produits de qualité.

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