Idées

Toyota, un modèle à bout de souffle

3 min

Emplois précaires, conditions de travail et relations sociales dégradées..., le toyotisme montre ses limites.

Il fut un temps où Toyota semblait le modèle de l’entreprise à la fois sociale et performante. L’emploi y était assuré à vie. Ses responsables avaient mis au point un mode d’organisation - le toyotisme ou ohnisme, du nom de l’ingénieur Taiichi Ohno qui l’avait conçu - qui assurait à la fois performance et qualité, grâce au " juste-à-temps ", aux cercles de qualité, à la constitution de petites équipes de travailleurs intéressés aux résultats, etc. Le mariage réussi entre économie et social, affirmait-on. Image d’Epinal, plutôt, estime Tommaso Pardi 1 qui a regardé les choses en détail.

L’envers du décor

En réalité, Toyota a organisé sa structure hiérarchique de façon très fine, en quatorze niveaux (contre quatre chez Renault), chaque travailleur ayant la possibilité de passer à l’échelon supérieur en fonction des résultats atteints. Ceux qui n’y parviennent pas ne grimpent donc pas dans la hiérarchie technique et salariale. Mais comme la rémunération de chaque équipe dépend de l’efficacité de l’ensemble de ses membres, la pression se fait forte, entre collègues, pour " éliminer " le travailleur qui n’atteint pas les objectifs, ce qui se règle soit par la démission du travailleur moins efficace, soit par son départ " volontaire " chez un des sous-traitants. La progression dans la hiérarchie est donc en réalité une suite de barrages grâce auxquels sont sélectionnés les travailleurs bénéficiaires de l’emploi à vie. Enfin, une forte diminution des salaires à partir de 55 ans permet de compléter le dispositif, en incitant les plus âgés à aller voir ailleurs.

Quant à l’efficacité économique - des taux d’utilisation des capacités de production systématiquement supérieurs à 100 % -, elle résulte du travail " volontaire " les jours fériés et les fins de semaine.

Course à la survie.

L’exportation de ce " modèle " n’est donc pas allée sans problème, comme le constate l’auteur à propos de la filiale française de Toyota, dont l’usine est installée à Onnaing, près de Valenciennes. Pas d’emploi à vie, mais une course à la survie, résume- t-il. Les recrutements se font sous forme de contrats précaires, les intérimaires étant mis en concurrence pour accéder aux postes permanents. Les salaires sont bas, le turn-over (rotation du personnel) et les licenciements très élevés, puisque c’est ainsi que sont éliminés les éléments jugés les moins performants. Les 35 heures et le droit du travail empêchent le recours à l’allongement de la durée du travail, aussi la pression s’effectue par une réduction des temps alloués à chaque tâche, ce qui se traduit par une explosion des accidents du travail (quatre fois plus fréquents que chez Renault). Enfin, alors qu’au Japon, il existe un syndicalisme d’entreprise plus facile à manoeuvrer, en France, la CGT est assez vite devenue le syndicat majoritaire, ce qui a poussé les dirigeants de l’entreprise à une sorte de harcèlement syndical (la cour d’appel ayant à plusieurs reprises condamné la direction pour discrimination syndicale et licenciements abusifs). Bref, le climat social est tendu.

Il ne s’agit bien sûr que d’une entreprise : difficile à partir de ce seul cas de généraliser et de jeter l’opprobre sur l’ensemble du système japonais de relations sociales. Mais les difficultés actuelles de Toyota résultent sans doute en partie de l’essoufflement de ce système. Le toyotisme vivrait-il son chant du cygne ?

  • 1. " Travailler chez Toyota : de l’emploi à vie à la course à la survie ", par Tommaso Pardi, Revue de l’Ires n° 62, 2009/3.

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !