L’iPad, nouvelle vache à lait d’Apple ?
Apple fait peu de
Piétiné sur un trottoir, détruit à coups de batte, brûlé avec de l’essence ou bien encore passé au mixer : depuis le lancement de l’iPad aux Etats-Unis début avril, les internautes rivalisent d’imagination dans des vidéos postées sur YouTube pour mettre en scène la destruction de la précieuse tablette numérique d’Apple. Onéreux passe-temps, mais désosser - proprement - un iPad, tout comme l’iPod et l’iPhone, permet de mieux comprendre à la fois le modèle économique d’Apple et le fonctionnement concret de la mondialisation dans le secteur de la high-tech.
Un écran tactile à 80 dollars, une mémoire flash à 59 dollars, des composants électromécaniques à 35 dollars ou encore un processeur à 29 dollars. Tels sont les pièces les plus chères que contient l’iPad, selon le cabinet de conseil iSuppli, qui s’est fait une spécialité d’évaluer le coût de production des produits de la high-tech. Le modèle de milieu de gamme de l’iPad contiendrait au total pour 276 dollars de composants et coûterait environ 11 dollars à assembler. Soit un prix de revient pour Apple de 287 dollars... quand le consommateur américain doit débourser 729 dollars pour se le procurer ! Certes, ce n’est encore qu’une estimation, réalisée avant même la sortie de l’iPad, mais il n’en faut pas plus à ceux qui dénoncent régulièrement les marges abusives de la firme à la pomme pour crier au vol. Un anathème lancé (un peu) trop rapidement.
D’abord, parce la différence entre le coût de l’iPad et son prix public ne vient pas grossir dans sa totalité les poches d’Apple. Une partie importante sert tout à la fois à payer les coûts d’acheminement de l’iPad depuis son lieu d’assemblage (probablement en Chine) jusqu’au consommateur, sa distribution (la marge du grossiste) ainsi que sa vente au détail (la marge du commerçant). Seul le solde constitue la marge d’Apple.
255 dollars de marge par iPad
Combien lui reste-t-il après que ces intermédiaires ont été rémunérés ? Difficile à dire tant le secret est la règle dans les affaires d’Apple avec ses partenaires. On peut cependant s’en faire une idée plus précise à l’aide d’un autre produit phare de la marque à la pomme, l’iPod. Dans une étude publiée en 2009 (voir " Pour en savoir plus "), une équipe de chercheurs californiens a calculé qu’aux 144 dollars que coûtait à produire l’iPod vidéo de cinquième génération vendu 299 dollars, il fallait ajouter 75 dollars pour le transport, la distribution et la vente au détail, soit 25 % de son prix de vente au consommateur. Ce qui laissait 80 dollars de marge à Apple, un gros quart de son prix de vente. Si l’on considère que les frais intermédiaires varient peu d’un produit à un autre, la marge d’Apple serait donc de l’ordre de 255 dollars pour un iPad à 729 dollars. Un petit calcul de coin de table qui permet de conclure que les 700 000 ventes d’iPad réalisées le premier jour de sa commercialisation auront laissé 180 millions de dollars dans les caisses d’Apple. Si les prévisions optimistes d’iSuppli de 7 millions d’iPads vendus en 2010 se réalisent, ce seront alors 1,8 milliard de dollars qui resteront dans ses caisses, une fois ses fournisseurs payés.
" Hype " et simplicité
Un pactole ? Oui. Mais de tels niveaux de marge ne sont pas rares dans le secteur des produits high-tech. L’innovation apportée par ces bijoux technologiques ne réside en effet que rarement dans tel ou tel de leurs composants, comme on pourrait le croire. Et c’est le cas en particulier chez Apple : ses produits sont le plus souvent constitués de " briques technologiques " déjà éprouvées et accessibles également à ses concurrents. Apple a ainsi acheté une licence à Creative Technology pour le menu de navigation dans les listes de lecture de l’iPod. Et le fameux accéléromètre de l’iPhone, qui permet de faire basculer les images, est une technologie développée par STMicroelectronics. Elle était utilisée à l’origine dans les ordinateurs portables pour détecter une chute et arrêter le disque dur.
La force d’Apple est de savoir combiner ces différents composants dans un objet dont l’ergonomie et le design le distinguent de ses concurrents. Et d’y adosser un écosystème de services - iTunes pour l’iPod, l’App Store pour l’iPhone et l’iPad - qui fonctionne à son seul profit. Ce qui lui vaut d’ailleurs actuellement des ennuis avec les autorités anti-trust américaines (voir page 22). Bref un savant cocktail de hype et de simplicité d’utilisation qui a permis à l’iPod d’être le baladeur numérique le plus vendu au monde, avec 249 millions d’exemplaires écoulés depuis 2001. Et de dominer encore aujourd’hui ce marché malgré une concurrence féroce. Puis à Apple de conquérir, en l’espace de quelques années seulement, une position de force sur le créneau pourtant déjà très encombré des téléphones portables.
La R&D, seulement 3 % du chiffre d’affaires
Cette stratégie a évidemment un coût : celui des investissements en recherche et développement (R&D), de l’utilisation des nombreux brevets protégeant tel composant ou tel logiciel incorporé dans le produit, mais aussi du développement des logiciels permettant leur fonctionnement et l’interface avec l’utilisateur. Sans oublier, bien sûr, les dépenses de marketing, même si le grand succès médiatique des lancements de produits Apple, permet de limiter fortement les dépenses de publicité. Si l’on rapporte ces coûts au nombre de produits écoulés en 2009 (en excluant les logiciels), Apple a consacré en moyenne 15 dollars de R&D et 48 dollars de frais généraux et commerciaux par ordinateur de bureau, ordinateur portable, iPhone ou iPod vendus.
Il n’empêche, Apple réussit aussi l’exploit d’être un champion de l’innovation tout en dépensant moins en R&D que les autres poids lourds du secteur : celle-ci ne représente que 3 % de son chiffre d’affaires, quand Sony y consacre 6,5 % et Microsoft jusqu’à 15 % ! De plus, les dépenses opérationnelles d’Apple ont eu tendance à décroître ces dernières années en proportion de son chiffre d’affaires, tandis que la marge brute* n’a, à l’inverse, cessé de progresser, passant de 29 % en 2005 à 40 % en 2009. Pas étonnant dans ces conditions, que son bénéfice net ait doublé en proportion de son chiffre d’affaires depuis 2005, pour en représenter presque un cinquième aujourd’hui !
Cette augmentation s’explique par la polarisation croissante des ventes vers des produits dégageants des marges plus importantes que les ordinateurs, le métier d’origine d’Apple. Les iPod et les iPhone sont donc devenus une véritable vache à lait pour l’entreprise dirigée par Steve Jobs. Le modèle économique de l’iPad a été bâti avec le même objectif. Reste à voir si la magie fonctionnera cette fois encore.
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