Développement

Aide au Sud : le compte n’y est pas

7 min

Les pays riches sont très loin de tenir les promesses prises en 2005 en matière d'aide au développement. Cette année, il manque plus de 20 milliards de dollars.

"L’aide va se situer cette année considérablement en dessous de ce qui a été promis. Il est essentiel que les engagements soient respectés." Eckhard Deutscher, le président du CAD, le Comité d’aide au développement de l’OCDE, tire la sonnette d’alarme : les derniers chiffres de l’aide publique au développement (APD) sont décevants 1. Elle a certes progressé de 35 % entre 2004 et 2010, mais le compte n’y est pas : cette hausse ne représente en effet que 27 des 48 milliards de dollars d’aide additionnelle promise pour cette année lors du Sommet du G8 de Gleneagles en 2005. Malgré la crise qui frappe les pays développés, un effort financier supplémentaire est donc indispensable. Même si cet argent ne règlera pas à lui seul tous les problèmes.

Paroles, paroles...

Petit retour en arrière : en 2000, l’Assemblée générale des Nations unies, adoptait solennellement les " Objectifs du millénaire pour le développement " (OMD). Ils prévoyaient notamment de diviser par deux d’ici à 2015 la proportion de personnes dont le revenu est inférieur à un dollar par jour et de celles souffrant de la faim. En clair : sortir en quinze ans 600 millions de personnes de l’extrême pauvreté. Mais comme d’habitude, l’intendance n’a pas suivi. En 2002, la conférence de Monterrey sur le financement de ces Objectifs n’avait pas débouché sur des engagements précis de la part des pays riches.

Constatant ce retard croissant, les Nations unies ont chargé l’économiste Jeffrey Sachs d’établir un plan de financement des OMD. Présenté en 2005, celui-ci estimait qu’il faudrait que les pays riches aident les pays du Sud à hauteur de 121 milliards de dollars dès 2006 et de 185 milliards en 2015 (soit 0,54 % du PIB des pays développés). Alors qu’en 2004, on n’en était encore qu’à 80 milliards (0,25 % de leur PIB).

Subissant les pressions des organisations non gouvernementales (ONG) mobilisées dans le cadre d’une grande campagne internationale, les pays développés prirent alors enfin des engagements formels. Les Etats de l’Union européenne promirent de porter leur aide de 0,35 % de leur PIB à 0,51 % en 2010, et les Etats-Unis, nettement moins généreux, de 0,17 % à 0,20 %. Mises bout à bout, les promesses des uns et des autres représentaient un effort additionnel de 48 milliards de dollars, dont la moitié devait aller à l’Afrique subsaharienne. Certes, cela restait encore très en deçà des recommandations du rapport Sachs, mais au moins des chiffres avaient-ils été mis sur la table.

Ces belles promesses n’ont pas résisté à la crise. Le recul de l’activité par rapport aux hypothèses retenues en 2005 a mécaniquement amputé l’aide annoncée de 4 milliards de dollars, puisque les sommes avancées étaient exprimées en % du PIB. Mais, surtout, la crise a poussé certains Etats à ne pas tenir parole, d’où un trou supplémentaire de 17 milliards. Dans la tourmente, les pays donateurs n’ont cependant pas tous cédé aux sirènes de " la Corrèze avant le Zambèze ". La plupart ont peu ou prou tenu leurs engagements de 2005, Etats-Unis compris. Mais certains les ont largement révisés à la baisse, notamment la France, l’Allemagne et l’Italie. Dans ces conditions, les Objectifs du millénaire n’ont aucune chance d’être atteints, et le Sommet des Nations unies prévu le 20 septembre prochain devra examiner un maigre bilan d’étape aux deux tiers du parcours.

Aide publique nette des membres du Comité d’aide au développement de l’OCDE depuis 1970, en % du PIB
Aide publique nette prévue en 2005 pour 2010 par les membres du Comité d’aide au développement et réalité en 2010, en % du PIB

Gonflement statistique

D’autant qu’il y a loin entre les chiffres officiels de l’aide et ce que les pays riches dépensent effectivement sur le terrain. Comme le rappelle Serge Michailof (voir notre entretien), ces montants incorporent des charges sans rapport avec des transferts concrets du Nord vers le Sud. Les annulations de dette avaient représenté 25 % de l’aide publique mondiale au développement en 2005 et comptent aujourd’hui encore pour environ 9 %. Des dettes qui, comme les achats d’armes par l’Irak, n’avaient pas vraiment oeuvré au développement. Et dont la remise est purement comptable : considérées depuis longtemps déjà comme perdues, elles ne représentent pas un réel effort budgétaire supplémentaire de la part des pays concernés.

Il ne faut pas réduire l’aide au caritatif

On met aussi au crédit de l’aide d’autres dépenses, comme l’accueil d’étudiants étrangers (dont beaucoup ne reviennent jamais dans leur pays d’origine) ou l’assistance technique fournie par du personnel expatrié. Celle-ci est certes souvent utile, mais les sommes ainsi dépensées retournent surtout au final dans les circuits économiques du pays qui fournit l’aide. Or, l’assistance technique représente aujourd’hui 14 % de l’aide publique totale. Quant à l’aide alimentaire et humanitaire d’urgence (9 % du total), elle est certes indispensable, mais ne s’inscrit pas dans une perspective de développement de long terme.

Il faudrait également nettoyer les statistiques de l’aide accordée aux pays du Sud à condition qu’elle prenne la forme d’achats de matériel et de services auprès d’entreprises du pays donateur, dite " aide liée ". Certes, depuis leur Déclaration de Paris en 2005, la plupart des Etats ont progressivement " délié " l’intégralité de leur aide. Cependant, aux Etats-Unis, 25 % de l’aide fonctionne encore suivant ce principe. En Europe, quelques pays continuent de la lier partiellement, comme la France, l’Italie et l’Autriche. Mais même quand l’aide est officiellement déliée, ce sont le plus souvent des sociétés étrangères - désormais fréquemment chinoises - qui emportent les appels d’offres auxquels les entreprises locales sont rarement en mesure de répondre.

Au final, estime Serge Michailof, l’aide de la communauté internationale aux pays du Sud n’est pas de l’ordre de 100 milliards de dollars annuels, mais plutôt de 40 milliards, si on s’en tient à une définition stricte de l’aide publique au développement. Et pour ne rien arranger, elle est répartie selon des critères dictés en priorité par des logiques géostratégiques. Ainsi, l’Irak et l’Afghanistan reçoivent à eux seuls 20 % de l’aide américaine et 10 % de celle des pays riches dans leur ensemble. En Afghanistan, les zones où l’insécurité est la plus élevée sont aussi celles où les flux de l’aide au développement sont les plus importants (à l’intérieur d’une enveloppe au total très insuffisante par rapport aux besoins de reconstruction et marginale à côté des dépenses militaires). Les populations locales ne sont pas longues à tirer les conclusions qui s’imposent.

Incohérences

Débarassé de ses faux-semblants, l’effort véritable de la communauté internationale reste donc limité. Mais la nécessaire augmentation et la meilleure répartition de cette aide ne suffiraient pas non plus à elles seules à sortir les pays du Sud d’affaire. Au Nord, les pays riches continuent à mener des politiques incohérentes. Les Etats-Unis subventionnent toujours leurs producteurs de coton au détriment des agriculteurs sahéliens. Et délivrent une aide alimentaire d’urgence " made in USA " au lieu de favoriser les achats locaux dans les zones céréalières excédentaires des pays pauvres, comme le font les Européens. Ces derniers se sont quant à eux réfugiés derrière les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour amener leurs anciennes colonies à signer des accords de partenariat économique qui instituent des zones de libre-échange entre des acteurs fondamentalement inégaux 2.

Dans les pays les plus pauvres eux-mêmes, la consolidation des appareils d’Etat reste la priorité. Au-delà des graves problèmes de corruption, c’est la condition pour qu’ils puissent mettre en place des politiques favorisant une croissance durable et équilibrée. Sans cela, l’efficacité de l’aide délivrée par les acteurs publics et privés étrangers, rarement coordonnés, continuera d’être très limitée, faute d’être véritablement appropriée par les Etats bénéficiaires. Or, l’attention portée au compte à rebours des Objectifs du millénaire pousse les pays du Nord à privilégier la recherche de résultats rapides aisément mesurables (accès à l’éducation, à l’eau potable, aux médicaments...). Ce qui les amène souvent, par souci d’efficacité, à contourner les appareils publics locaux. Et donc à les affaiblir. Un cercle vicieux.

  • 1. " Coopération pour le développement ", rapport 2010, CAD-OCDE, avril 2010.
  • 2. Voir " L’Afrique tient tête à Bruxelles ", Alternatives Economiques n° 267, décembre 2007, disponible dans nos archives en ligne.

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