Histoire

Les assignats, la dette publique et l’inflation

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[Les folies financières françaises] De Jacques Cœur à Natixis, la France compte son lot d’horreurs, de forfaitures, de scandales et d’aventures financières pour le moins audacieuses. Nous poursuivons cette série d’été avec les assignats, une monnaie mise en place à la Révolution.

Assignat de 10 livres série 61me, 1791. PHOTO : D.R.
Série 5/11

A la fin de l'Ancien Régime, l'Etat était constamment au bord de la banqueroute. C'était le cas en particulier depuis le règne de Louis XIV, marqué à la fois par les dépenses colossales engendrées par la construction du château de Versailles et les fastes de la cour du Roi-Soleil, et par de multiples guerres extérieures. Même après sa mort en 1715, il a été impossible de rétablir la situation, malgré de nombreuses tentatives et une valse continue des ministres des Finances.

A cela principalement une raison...

A la fin de l’Ancien Régime, l’Etat était constamment au bord de la banqueroute. C’était le cas en particulier depuis le règne de Louis XIV, marqué à la fois par les dépenses colossales engendrées par la construction du château de Versailles et les fastes de la cour du Roi-Soleil, et par de multiples guerres extérieures. Même après sa mort en 1715, il a été impossible de rétablir la situation, malgré de nombreuses tentatives et une valse continue des ministres des Finances.

A cela principalement une raison : bien que la royauté soit théoriquement absolue, elle ne l’était pas en matière fiscale. Pour qu’un nouvel impôt puisse être levé, il fallait l’accord des parlements, des assemblées de notables siégeant dans les principales villes du royaume. Les impôts pesant déjà très lourdement sur le peuple, le rétablissement des équilibres budgétaires impliquait nécessairement de taxer davantage les plus riches, ainsi que la noblesse et le clergé, quasiment exemptés jusque-là. Or, les parlements étaient tenus par ces privilégiés. Ils s’opposèrent donc constamment aux réformes. D’où la convocation par le roi, en 1789, des états généraux pour tenter de surmonter ce blocage. Dès leur ouverture le 5 mai 1789, Louis XVI ne masque pas la gravité de la situation :

« La dette de l’Etat, déjà immense à mon avènement au trône, s’est encore accrue sous mon règne », explique-t-il aux députés. « Une guerre dispendieuse, mais honorable, en a été la cause ; l’augmentation des impôts en a été la suite nécessaire, et a rendu plus sensible leur inégale répartition. (...) J’ai ordonné dans les dépenses des retranchements considérables ; vous me présenterez encore à cet égard des idées que je recevrai avec empressement ; mais malgré la ressource que peut offrir l’économie la plus sévère, je crains, Messieurs, de ne pouvoir pas soulager mes sujets aussi promptement que je le désirais. Je ferai mettre sous vos yeux la situation exacte des finances ; et quand vous l’aurez examinée, je suis assuré d’avance que vous me proposerez les moyens les plus efficaces pour y établir un ordre permanent et affermir le crédit public. »

Comme on le sait, ce scénario ne fut pas respecté et la maîtrise des opérations échappa très vite au roi… Mais les décisions prises par les représentants du peuple n’allèrent pas du tout dans le sens d’un rétablissement des finances publiques : ils renoncèrent de facto à percevoir les anciens impôts compte tenu de leur injustice (flagrante) dans l’attente d’un nouveau système fiscal (un travail législatif qui ne démarra cependant véritablement qu’en août 1790).

Dans le même temps, l’Assemblée décida de ne pas répudier la dette considérable de l’Etat. Il faut dire qu’à cette époque, celle-ci n’était plus détenue seulement par quelques grands financiers, mais aussi par beaucoup de bourgeois qui fournissaient ses députés au tiers état.

La planche à billets

Comment assurer dans ces conditions le financement des dépenses ? Par la création monétaire, la planche à billets. Les biens du clergé, nationalisés dès le 10 octobre 1789, étaient censés garantir la valeur de cette émission monétaire qui prendra la forme de sortes de billets de banque appelés « assignats ».

Or, le pays avait été traumatisé en 1719 par la faillite de John Law, le premier à avoir introduit en France le papier-monnaie. Du coup, cette innovation souleva immédiatement un profond scepticisme et suscita des débats enflammés. Le député, et ami de Turgot, Dupont de Nemours rédigea ainsi en 1790 une brochure pour dénoncer par avance les effets inflationnistes de cette politique.

« On veut mettre autant d’assignats qu’il y a déjà d’argent dans le royaume, insistait-il, c’est comme si on doublait la quantité d’argent. Mais s’il y avait le double d’argent, il faudrait acheter les marchandises le double plus cher (...) Pendant tout ce temps-là, toutes les marchandises à l’usage du peuple, et surtout le pain qui est la marchandise la plus générale et la plus utile, se vendront le double et il se fera de bons coups aux dépens des citoyens. »

Quelques années plus tard, Jacques Necker, qui était ministre des Finances au moment des états généraux, décrira cette politique ainsi :

« Le gouvernement fut encore plus dispensé de presser les contribuables et d’exiger d’eux des sacrifices, alors la considération et la force du pouvoir exécutif ne furent plus appelés à aucune épreuve difficile ; et c’est ainsi que l’instauration d’une monnaie fictive... permit aux législateurs de s’abandonner avec plus de confiance à leurs abstractions. »

Cette politique fiscale irresponsable produisit en effet l’inflation redoutée. Et celle-ci, conjuguée aux difficultés persistantes de l’approvisionnement en blé, joua un rôle décisif dans la radicalisation du processus révolutionnaire qui conduisit à la Terreur.

Ceci dit, l’expérience de la crise de 1929 et de ses suites a montré depuis que des politiques budgétaires trop restrictives pouvaient elles aussi avoir des conséquences politiques et sociales catastrophiques. En ces matières, tout est affaire de mesure.

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