Economie

Distinction : un "Nobel" sans audace

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Le prix d'économie en mémoire d'Alfred Nobel 2010 couronne trois théoriciens néoclassiques du marché du travail.

En 2009, les jurés du " prix de sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel " de la Banque de Suède avaient fait preuve d’audace en couronnant Elinor Ostrom et Oliver Williamson 1. Ils sont rentrés dans le rang cette année en choisissant trois lauréats assez représentatifs du courant dominant actuellement en économie : deux Américains (Peter Diamond et Dale Mortensen) et un Anglo-Chypriote, Christopher Pissarides.

Rigidité des prix

Tous trois se sont en effet illustrés essentiellement avec l’idée que certains prix sont relativement rigides : contrairement à ce que défendent les tenants de l’analyse néoclassique habituelle, un écart entre l’offre et la demande (sur le marché des logements pour Peter Diamond, sur celui du travail pour Mortensen et Pissarides) n’engendre pas, le plus souvent, un mouvement de prix correctif.

Keynes avait déjà soutenu cette thèse à propos des salaires, mais il s’appuyait pour cela sur ce qu’on a appelé depuis " l’illusion monétaire " : les salariés résistent à toute baisse de leur salaire nominal, mais ils ne perçoivent pas que la hausse des prix aboutit au même résultat.

Mortensen et Pissarides recourent à une explication très différente. Ils constatent qu’il existe presque toujours, pour une qualification donnée, à la fois des travailleurs au chômage et des postes qui sont vacants. Dans ces conditions, un mouvement de prix serait inopérant, puisque la demande et l’offre sont globalement proches.

Problème d’appariement

Mais comment expliquer alors cette double vacance, d’emploi et de travail ? Par un problème d’appariement 2, répondent-ils. Le travailleur au chômage a des exigences initiales, en termes de niveau de salaire, de qualification, de conditions ou de lieu de travail. Il se peut très bien que les emplois correspondant à sa qualification ne lui conviennent pas, pour l’une ou l’autre de ces exigences. Il va donc continuer à chercher, en espérant trouver mieux. Mais au bout d’un certain temps, il réduira certaines de ses prétentions, surtout si l’indemnisation de son chômage diminue ou disparaît. Il en est de même pour l’employeur dont le poste reste vacant.

L’appariement entre offre et demande prend donc du temps, surtout si le chômage est indemnisé. Mais, contrairement aux contempteurs libéraux de l’assurance chômage, Mortensen et Pissarides estiment que la qualité de l’appariement est un investissement utile, tant pour l’employeur que pour le salarié. Il n’est donc pas souhaitable de trop réduire cette période de temps. Les mêmes auteurs ont défendu l’idée que la volonté d’améliorer l’appariement expliquait largement la grande quantité de mouvements sur le marché du travail et que ces mouvements étaient facteurs de gains de productivité, chaque moitié d’orange cherchant celle qui lui correspond jusqu’à la trouver. Rendre le contrat de travail plus protecteur est donc pour eux contre-productif : chassé par la porte de la rigidité, le raisonnement néoclassique revient donc, chez nos lauréats, par la fenêtre de la productivité. La parenthèse de l’hétérodoxie a été bien courte à la Banque de Suède.

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