Dossier

Menaces sur la protection sociale

12 min

Mise à mal par le chômage de masse et une croissance en berne, la protection sociale est en outre rognée par les réformes récentes et en cours.

Depuis déjà plus de trente ans, le ralentissement de la croissance économique et le chômage de masse ont ébranlé le système de protection sociale. Les dépenses ont fortement augmenté, tandis que de nouveaux besoins de protection sont apparus en matière de lutte contre la pauvreté, d’insertion et d’indemnisation du chômage. Le vieillissement démographique a lui aussi un impact important sur les dépenses (retraites, santé) et fait apparaître des besoins croissants de prise en charge des personnes âgées dépendantes.

Au total, depuis 1980, les dépenses de protection sociale ont crû de 2 % à 4 % par an en volume. Du coup, des voix s’élèvent pour dénoncer le poids financier du système et ses répercussions sur la compétitivité des entreprises. Si son coût est élevé, il n’est pourtant pas insoutenable (voir page 64). A condition toutefois d’être prudent et de faire évoluer notre modèle de protection sociale, de manière à en augmenter l’efficacité et à répondre aux nouveaux besoins.

Malheureusement, depuis le début des années 2000, la volonté de limiter l’accroissement des dépenses se traduit surtout par un durcissement des conditions d’accès des plus fragiles à la protection sociale, et par une tendance à déverser une partie de la prise en charge du risque sur les assurances privées. Tour d’horizon des réformes engagées ces dernières années.

Les retraites

2010 est l’année d’une nouvelle réforme des retraites. L’âge minimum légal de liquidation des droits devrait passer ainsi de 60 à 62 ans et l’âge auquel les travailleurs peuvent bénéficier d’une retraite sans décote, quelle que soit leur durée de cotisation, de 65 à 67 ans. La pénibilité du travail, quant à elle, n’est que très partiellement prise en compte : seuls seront autorisés à partir à 60 ans les travailleurs reconnus, à ce moment-là, comme invalides à au moins 10 %. Ce qui laisse de côté tous ceux qui ont été exposés à des risques susceptibles de réduire leur durée de vie, mais qui n’ont pas encore de handicap déclaré.

Cette réforme poursuit celle de 2003, mais la contredit aussi partiellement. François Fillon, alors ministre des Affaires sociales, avait aligné la durée de cotisation des fonctionnaires sur celle des salariés du privé. Il avait aussi allongé la durée de cotisation nécessaire pour bénéficier d’une retraite à taux plein (elle sera de 41 ans en 2012) et incité au développement de plans d’épargne retraite individuels. Mais la loi de 2003 ouvrait également des possibilités d’arbitrage individuel entre âge de départ et montant de la pension : on pouvait choisir de cotiser plus ou moins que le minimum d’annuités exigé, à condition d’en accepter les conséquences sur le montant de la pension. C’est ainsi qu’avaient été institués le dispositif de surcote/décote, la possibilité de racheter des années de cotisation au titre des années d’études et la possibilité de partir entre 56 et 59 ans pour les " carrières longues ".

En reculant les bornes d’âge, la réforme de 2010 en fait donc à nouveau un critère prépondérant de départ en retraite. Cela revient à vider en grande partie de sa substance le dispositif de surcote de 2003, même s’il n’est pas officiellement supprimé. En outre, alors que le taux d’emploi des 55-64 ans n’atteint pas 39 % en France - l’un des plus bas d’Europe -, la réforme de 2010 fragilise encore plus les seniors les plus en difficulté sur le marché du travail (au chômage, en préretraite ou usés par des conditions de travail difficiles), lesquels ne pourront pas forcément " tenir " jusqu’à 67 ans pour avoir une retraite à taux plein. Ces seniors seront les plus exposés au douloureux mécanisme des décotes. Ils verront ainsi leurs pensions entamées d’autant, alors même que le gouvernement s’était engagé à ne pas diminuer celles-ci. En somme, la réforme aurait dû être accompagnée de mécanismes pour accompagner les seniors les plus fragiles 1.Or, il n’en est quasiment pas question.

L’assurance maladie

Depuis 1996, l’évolution des dépenses d’assurance maladie est encadrée par le vote annuel d’une loi de financement de la Sécurité sociale. Le " trou " de la branche maladie de la Sécu s’est néanmoins creusé de manière significative : le déficit devrait atteindre 11,4 milliards d’euros en 2010 (voir graphique).

Répartition des dépenses de protection sociale par risque en 2008, en milliards d’euros
Résultat des régimes de base de la Sécurité sociale, en milliards d’euros

Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2011 prévoit plusieurs mesures pour réduire ce déficit : diminution du niveau de prise en charge de certains médicaments, restrictions d’accès au statut d’affections de longue durée (ALD, qui permettent une prise en charge à 100 % pour les malades chroniques, mais représentent 60 % des dépenses d’assurance maladie), baisse des tarifs des radiologues et des biologistes. Les tarifs des généralistes, quant à eux, doivent cependant augmenter au 1er janvier prochain.

Les pouvoirs publics ont trois possibilités pour équilibrer l’assurance maladie : augmenter les prélèvements, maîtriser les dépenses (par les prix ou les volumes) ou diminuer les remboursements. La hausse des prélèvements a été largement utilisée jusqu’en 2008 : augmentation de la contribution sociale généralisée (CSG), transferts de taxe, reports de dettes, etc. 2 ; mais cela va à l’encontre des orientations du gouvernement actuel, qui souhaite plutôt diminuer le niveau des impôts et des cotisations. Le PLFSS 2011 prévoit néanmoins d’affecter au financement de la Sécu 7,2 milliards d’euros de recettes nouvelles, liées à la réduction de niches fiscales et sociales.

En matière de maîtrise des dépenses de santé, des mesures ont été prises dans les années 2000, notamment pour développer les médicaments génériques et inciter les médecins à réduire leur volume de prescriptions. Mais ces mesures n’ont pas toujours eu les effets attendus en matière de baisse des coûts.

Reste la dernière piste : la diminution des remboursements. Ces dernières années, le gouvernement ne s’est pas privé d’y recourir : introduction du forfait d’un euro non remboursable sur les consultations (2004), d’une franchise de 50 centimes sur les boîtes de médicaments (2008), hausse progressive du forfait hospitalier, etc. Ces mesures ont conduit à une diminution progressive de la part des dépenses prises en charge par la Sécurité sociale. Et par ricochet à une augmentation des remboursements par les couvertures complémentaires ; selon une étude récente 3, ceux-ci ont augmenté de 27 % entre 2001 et 2008. Quant aux cotisations demandées par ces mêmes complémentaires, elles ont augmenté de... 44 % dans le même temps ! Le montant moyen de cotisation était de 551 euros par personne couverte en 2008 : des sommes importantes, que tout le monde ne peut pas acquitter. Si bien que beaucoup de ménages modestes renoncent à certains soins, parce qu’ils n’ont pas de complémentaire ou parce qu’ils ont choisi une couverture de médiocre qualité afin de réduire les frais.

L’assurance chômage

En matière d’indemnisation du chômage aussi, la tendance a été à la restriction. En 2001, le Plan d’aide au retour à l’emploi (Pare) avait amélioré les conditions d’éligibilité à l’assurance chômage et la générosité des prestations, supprimé la dégressivité des allocations, et augmenté les prestations d’accompagnement. Mais c’était sans compter sur la dégradation de la conjoncture économique, qui a conduit à une nouvelle réduction des durées d’indemnisation dès 2004.

Car les partenaires sociaux ont tendance à gérer l’assurance-chômage de façon " procyclique " : pour limiter les déficits de cet organisme, ils restreignent les conditions d’indemnisation du chômage dans les périodes de ralentissement économique... précisément au moment où les chômeurs auraient besoin d’être davantage soutenus 4.

La dernière convention d’assurance chômage, entrée en vigueur le 1er avril 2009, corrigeait un peu cette tendance : elle prévoit la possibilité d’être indemnisé dès lors qu’on a cotisé quatre mois sur les vingt-huit derniers mois, au lieu de six mois sur les vingt-deux derniers mois auparavant. Ce qui avantage les précaires. Mais elle institue aussi le principe de " un jour cotisé égale un jour indemnisé ", ce qui a pénalisé certains chômeurs : ainsi une personne ayant cotisé seize mois peut aujourd’hui toucher jusqu’à seize mois d’indemnisation... contre vingt-trois précédemment.

De nouvelles négociations doivent bientôt s’ouvrir, l’actuel accord ne courant que jusqu’au 31 mars 2011. Pour l’instant, aucune piste n’a été véritablement lancée, mais on peut d’ores et déjà se demander comment, dans un contexte de fortes tensions sociales liées à la réforme des retraites, trouver un nouvel accord capable de réunir la signature de plusieurs syndicats. Sachant que la réforme des retraites risque en outre d’avoir des répercussions importantes sur les comptes de l’assurance chômage, car beaucoup de chômeurs âgés de 60 à 62 ans devront désormais être pris en charge par celle-ci.

Au-delà de la question de l’indemnisation, il faudra aussi que les partenaires sociaux et les pouvoirs publics définissent enfin ce qu’est une " offre raisonnable d’emploi " (les demandeurs d’emploi pouvant toujours théoriquement être pénalisés s’ils en refusent deux), mais aussi qu’ils débattent de la qualité de l’accompagnement proposé aux chômeurs, qui a eu tendance à se dégrader ces deux dernières années avec la forte augmentation du chômage et les difficultés d’organisation liées à la fusion de l’ANPE et du réseau des Assedic pour créer Pôle emploi.

Les minima sociaux

La création du revenu de solidarité active (RSA) en juin 2009 a profondément transformé le paysage des minima sociaux. Il s’agissait d’inciter les allocataires à reprendre un emploi en rendant le travail plus " payant " que le non-travail. Le RSA consiste en fait en deux dispositifs : d’une part, le RSA " socle ", qui remplace le revenu minimum d’insertion et l’allocation de parent isolé, et fonctionne exactement de la même manière, et d’autre part, le RSA " activité ", qui propose un complément de ressources aux travailleurs ayant de faibles revenus.

Mais la création de ce dispositif, en pleine crise de l’emploi, est plutôt mal tombée : les chômeurs n’ont pas besoin qu’on les incite financièrement à travailler, mais qu’on leur trouve des emplois... En outre, deux défauts majeurs du dispositif sont à souligner : la complexité des démarches administratives et la stigmatisation des bénéficiaires. Tous ces facteurs expliquent sans doute la montée en charge très lente du RSA activité. Tandis que le RSA socle, lui, a explosé avec la hausse du chômage.

Notons enfin que, contrairement au RMI, le RSA est, depuis le 1er septembre 2010, ouvert aux moins de 25 ans, même sans charge de famille. Mais les conditions d’accès sont tellement restrictives que la plupart des jeunes concernés ne pourront pas en bénéficier.

La dépendance

Jusqu’ici, la principale avancée en matière de prise en charge des personnes âgées dépendantes avait été la création de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) en 2002. Elle permet de financer des aides et des services divers aux personnes âgées de plus de 60 ans et reconnues dépendantes par des équipes médico-sociales. Elle est attribuée de manière universelle, mais son montant varie en fonction des revenus du bénéficiaire 5.

L’APA a immédiatement rencontré un grand succès : elle comptait 1,13 million d’allocataires au 30 septembre 2009. Toutefois, son montant reste modeste : 409 euros par mois en moyenne pour les personnes prises en charge à domicile, 321 euros pour celles prises en charge en établissement. Déduction faite de l’APA, le " reste à charge " d’un séjour en maison de retraite se chiffre en moyenne à 1 600 euros par mois. Une somme largement supérieure au montant moyen des retraites (1 300 euros).

Devant ce constat, Nicolas Sarkozy a annoncé une grande réforme de la dépendance. Une fois achevée la réforme des retraites, il s’agira d’effectuer un choix crucial : faire prendre en charge le risque dépendance par la solidarité nationale ou en reporter la charge sur des assurances privées. Pour l’instant, le chef de l’Etat semble plutôt s’orienter vers la deuxième option. Au risque d’aggraver les inégalités d’accès à la couverture dépendance, les ménages les plus modestes n’ayant pas forcément les moyens de souscrire une assurance privée, ou du moins une assurance de bonne qualité.

Le handicap

Une loi de février 2005 a réformé l’ensemble des prestations sociales liées au handicap : création des Maisons départementales des personnes handicapées ; revalorisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), minimum social versé aux personnes handicapées les plus démunies ; création de la prestation de compensation du handicap (PCH) destinée à couvrir les besoins en aides humaines, techniques ou animales, ainsi qu’en aménagement du domicile ou du véhicule. De grands progrès, a priori.

Les associations de personnes handicapées dénoncent néanmoins la lenteur de la mise en oeuvre de ces mesures. Elles regrettent également le fait que, malgré la revalorisation prévue de l’AAH de 25 %, cette allocation ne dépassera pas 776 euros en 2012, tandis que le seuil de pauvreté se situe aujourd’hui autour de 950 euros par mois pour une personne seule ! Alors même que des dépenses supplémentaires se sont imposées aux personnes handicapées, liées notamment au déremboursement de médicaments, à la hausse du forfait hospitalier et aux franchises médicales.

La famille

Pour limiter ses dépenses, la branche famille de la Sécurité sociale a développé les prestations sous conditions de ressources, au détriment des prestations universelles. Parallèlement, l’essor du travail féminin, l’augmentation des divorces et des familles monoparentales l’ont incitée à orienter les dispositifs vers la conciliation vie familiale-vie professionnelle. C’est ainsi qu’a été créé un congé de paternité de onze jours en 2002 ou la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje) en 2004. Celle-ci prévoit deux dispositifs sous conditions de ressources (prime à la naissance et allocation mensuelle jusqu’aux 3 ans de l’enfant) et deux mesures universelles : l’une visant à solvabiliser les familles ayant recours à une assistante maternelle ou à une garde à domicile, et l’autre offrant la possibilité de congés parentaux rémunérés (le plus souvent pris par les femmes).

Un tel dispositif incite donc les mères à se retirer du marché du travail ou à réduire leur temps de travail, alors même que, parallèlement, les pouvoirs publics s’efforcent de développer les capacités d’accueil en modes de garde collectifs. En réalité, la politique familiale française n’a jusqu’ici jamais réussi à résoudre cette ambiguïté, qui relève pourtant de choix politiques importants.

  • 1. Voir " Travailler plus longtemps ? ", dossier consacré aux retraites dans Alternatives Economiques n° 290, avril 2010, disponible dans nos archives en ligne.
  • 2. Voir notre article sur la dette sociale page 51.
  • 3. " Le coût de la couverture santé des ménages ", UFC Que choisir, septembre 2010.
  • 4. Voir " Assurance chômage : une gestion à contretemps ", Alternatives Economiques n° 278, mars 2009, disponible dans nos archives en ligne.
  • 5. Voir " Dépendance : l’autre réforme ", Alternatives Economiques n° 295, octobre 2010, disponible dans nos archives en ligne.

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