Idées

Eric Woerth, ou le retour de la classe dirigeante

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L'affaire Woerth-Bettencourt a mis en lumière la connivence des élites économiques et politiques. Et pose, en filigrane, la question de l'existence d'une classe dirigeante. Une notion âprement discutée par les sociologues.

Quand bien même le ministre du Travail n’aurait commis aucune illégalité, son comportement révèle au grand jour une réalité sociale discrètement entretenue et le plus souvent inavouée : l’existence d’une extrême connivence entre élites politiques et économiques. Nous nous en doutions, bien sûr, mais avec les révélations de l’affaire Woerth, le doute prend soudain la tournure d’une évidence.

Divergence

ous voici ramenés, en somme, à l’époque déjà ancienne - les années 1960 et 1970 - où les sociologues s’empoignaient à propos de l’existence ou non d’une classe dirigeante. D’un côté, ceux qu’on appelait alors les " pluralistes " : l’Américain Robert Dahl, le Français Raymond Aron. Pour eux, " classe dirigeante " n’était qu’un mot trompeur. Dans nos démocraties, expliquaient-ils, aucune catégorie d’élite ne parvient jamais à cumuler toutes les ressources et chacune tend à poursuivre des objectifs spécifiques. Divergences d’intérêts et conflits sont donc inévitables entre les groupes socialement dominants (en particulier, entre les entrepreneurs capitalistes et les agents de l’Etat). Loin de démontrer la belle unité d’une classe monolithique, le pouvoir est foncièrement pluriel.

Convergence

Objection de peu de poids pour les penseurs marxistes contre lesquels bataillaient les " pluralistes ". L’un des plus fameux d’entre eux à l’époque, Nicos Poulantzas, n’avait en effet pas de mal à admettre que la " classe dirigeante " n’était pas homogène mais composée plutôt de deux fractions distinctes, qu’il appelait respectivement la fraction " hégémonique ", assimilable aux milieux d’affaires, et la fraction " régnante ", celle des dirigeants politiques et des hauts fonctionnaires.

Seulement voilà : pour Poulantzas, l’Etat n’en est pas moins subordonné au monde des affaires, à son service. Pour une raison simple, selon lui : l’intérêt propre de la fraction régnante est de favoriser le développement des entreprises nationales les plus compétitives sur le marché mondial, d’encourager les investissements et, par conséquent, d’augmenter les profits du capital. L’alliance entre capitalisme et Etat a donc une nature objective : ce que Poulantzas résumait à travers l’expression de " capitalisme monopolistique d’Etat ".

Unification

Vers la fin des années 1970, le politiste Pierre Birnbaum déplace les termes du problème : ne préjugeons ni de la divergence d’intérêts (à la manière des pluralistes) ni de la convergence d’intérêts (à la manière des marxistes), conseille-t-il. Observons plutôt les mécanismes sociaux qui tantôt favorisent un processus d’unification des groupes en une classe dirigeante (comme ce fut le cas, nous dit Birnbaum, sous la présidence de Giscard d’Estaing), tantôt accentuent les divergences et les oppositions entre ces groupes (comme sous la présidence de De Gaulle, durant laquelle l’appareil politico-administratif eut tendance à s’autonomiser vis-à-vis des milieux d’affaires).

Qui suit cette démarche et l’affaire Woerth-Bettencourt en déduira sans doute que la présidence de Nicolas Sarkozy a beaucoup plus à voir avec le giscardisme qu’avec le gaullisme. Et qu’on assiste actuellement en France au retour en force d’une classe dirigeante unifiée.

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