Solidarité

par Charles Gide. Texte annoté par Patrice Devillers. L'Harmattan, 2010, 272 p., 27 euros.

Il n’est jamais inutile de jeter un coup d’oeil en arrière. Surtout lorsqu’il s’agit de la période où se sont déroulés les débats précurseurs de ce qui est devenu notre système de protection sociale. C’était à la fin du XIXe siècle, sous l’influence des " solidaristes ", comme on les désignait alors. Serge Audier a rassemblé dans son livre des extraits conséquents de la plupart de ceux qui, à un titre ou à un autre, se sont inscrits dans ce mouvement.

Échos contemporains

Il nous présente aussi, dans une préface détaillée (elle occupe un tiers du livre), les caractéristiques et les composantes de ce courant plus divers qu’on ne le dit souvent, ainsi que les rapprochements que l’on peut opérer avec les analyses contemporaines, celles de Robert Castel, de Bruno Palier ou de Gøsta Esping-Andersen notamment. Curiosité d’érudit ? Pas du tout, car on comprend mieux la diversité de ce courant en analysant ses racines, les unes issues du protestantisme, les autres de la sociologie d’Emile Durkheim, et les troisièmes, sans doute prépondérantes, d’une gauche modérée, radicale et franc-maçonne : ce sont les sources mêmes de la social-démocratie. On regrettera juste que cette préface passe presque complètement sous silence les débats actuels autour de l’approche de John Rawls.

Le lecteur peut avoir le tournis tant Serge Audier multiplie citations et références, parfois au risque de s’éloigner de son sujet. Mais les échos contemporains de ces débats sont importants, et pas seulement parce que Pierre Laroque, le principal artisan de la création de la Sécurité sociale en France, a fortement été inspiré par les solidaristes. Ainsi, Léon Bourgeois, qui reçut le prix Nobel de la paix et qui fut l’un des initiateurs de l’impôt progressif sur le revenu, proposait, pour acquitter ce qu’il appelait la " dette sociale ", de mêler recours à l’Etat et recours à l’association (les mutuelles) ou, selon les termes d’Alfred Fouillée, propriété sociale et propriété privée.

L’influence grandissante du marxisme a contribué par la suite à éclipser ce courant, car il occultait, à ses yeux, la lutte des classes. Mais le solidarisme renaîtra sous d’autres formes et sera constitutif de la social-démocratie.

Solidarité et mutualisme

L’un des acteurs clés du solidarisme fut justement Charles Gide, dont la réédition des Oeuvres chez L’Harmattan se clôt par la parution de ce volume portant sur la solidarité (thème d’un cours qu’il donna au Collège de France en 1927-1928, peu avant sa mort), synonyme pour lui d’interdépendance. Il y prend ses distances avec Léon Bourgeois, lui reprochant de faire reposer la " dette sociale " sur un contrat fictif, à la Rousseau, alors que, à ses yeux, le mutualisme - l’organisation de l’entraide collective - est le seul fondement possible. Comme toujours chez Gide, ce texte, lumineux de pédagogie, clarifie les débats. Il prend nettement ses distances avec les " économistes " qui pensent, comme Pareto, que " la solidarité sert de prétexte aux gens qui veulent jouir du fruit des labeurs d’autrui". Une thématique toujours chère aux libéraux d’aujourd’hui...

Voir toutes nos notes de lectures

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !