L’inflation est-elle la solution ?

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Les causes de la sagesse des prix depuis quinze ans s'estompent, laissant entrevoir un regain d'inflation.

Est-ce souhaitable ?

Elle était l’ennemi économique numéro 1 depuis les années 1980, elle est devenue pour certains la seule planche de salut pour les économies occidentales. La crise conduira-t-elle à réhabiliter l’inflation ? Ses effets négatifs sont bien connus. Une inflation* élevée rend les prix relatifs instables, ce qui perturbe les décisions économiques et attise les conflits sociaux. Elle provoque en effet une redistribution occulte, en dégradant le pouvoir d’achat de ceux dont les revenus ne sont pas indexés sur les prix et en dévalorisant le patrimoine des épargnants (de plus en plus nombreux dans des sociétés vieillissantes). Enfin, une fois installée, une inflation forte est difficile à combattre et tend à s’emballer. Autant d’arguments qui plaident en faveur d’une inflation basse, de l’ordre de 2 %.

Ce dogme est aujourd’hui fragilisé. Car si l’inflation est nocive, la déflation (la baisse du niveau général des prix) est un péril encore plus grand. Elle incite les agents économiques à attendre pour acheter moins cher demain, ce qui déprime la demande et l’activité. Elle alourdit le poids des dettes, relativement à des revenus en baisse. Pour prévenir ce fléau, Olivier Blanchard, l’économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI), préconise de relever la cible d’inflation des banques centrales de 2 % à 4 % 1.

Autre argument : une inflation un peu plus élevée facilite les ajustements de prix relatifs en créant une " illusion monétaire " : " il est plus facile d’augmenter les salaires de 3 % avec une inflation de 4 % que de les baisser de 1 % ", explique Philippe Weber, économiste à CPR-AM 2. La recette vaut aussi pour les pays de la zone euro : une inflation plus forte en Allemagne aiderait les pays du Sud à restaurer leur compétitivité sans avoir à subir des baisses de salaires nominaux.

Enfin, dernier argument, une inflation plus élevée allège le poids des dettes passées relativement aux revenus dont la valeur s’accroît rapidement. Ce serait une bouffée d’oxygène pour les ménages et les Etats qui ont abusé de l’endettement. Ainsi une inflation de 4 %, plutôt que de 2 %, permettrait de réduire le poids des dettes publiques de l’ordre de 2 points de produit intérieur brut (PIB) par an.

Indice des prix à la consommation en France, variation annuelle, en %

Ce raisonnement s’entend cependant " toutes choses égales par ailleurs ", ce qui suppose deux conditions très fortes. La première : que les revenus augmentent au même rythme que les prix (ce qui n’est pas le cas si l’inflation est uniquement importée, via une hausse des matières premières, comme aujourd’hui en Europe). La seconde : que les taux d’intérêt ne bougent pas. Hypothèse plausible pour des ménages endettés à taux fixes, mais assez héroïque pour les Etats, qui dépendent massivement des marchés pour leur refinancement. Il y a en effet peu de chances que les investisseurs assistent les bras croisés à une poussée d’inflation sans exiger, en compensation, des taux d’intérêt plus élevés. Pire, " si l’inflation dérape, la surréaction des marchés risque d’étouffer la croissance ", avertit Florence Pisani, économiste à Dexia-AM. Sur ces deux points, la situation est très différente de celle qui prévalait dans les années d’après-guerre. Le rôle joué alors par l’inflation pour résorber les stocks de dettes publiques n’est donc pas forcément reproductible.

Est-ce possible ?

Reste que l’inflation ne se décrète pas. A 2,7 % sur un an au mois de mars dans la zone euro et aux Etats-Unis, elle reste bien inférieure aux niveaux enregistrés entre les années 1950 et la fin des années 1980. Mais elle dépasse sa moyenne des quinze dernières années. Cette période de " grande modération ", où la hausse des prix oscillait faiblement autour de 2 % par an dans les pays avancés, toucherait-elle à sa fin ?

Pour répondre à cette question, il faut d’abord identifier les causes de cette stabilité. Certains y voient avant tout le résultat de la discipline monétaire imposée par les banques centrales depuis le début des années 1980. De plus, la désindexation des salaires évite désormais qu’une poussée des prix de l’énergie ou des matières premières se répercute sur l’ensemble des prix.

Pourtant, n’en déplaise aux banquiers centraux, leur action n’aurait sans doute pas eu le même succès sans l’impact désinflationniste de la mondialisation. Le décollage des grands pays émergents a considérablement accru les capacités de production au niveau mondial. L’arrivée en force des produits chinois sur les marchés occidentaux a fait pression sur les prix, tandis que la concurrence des travailleurs des pays à bas coûts limitait le pouvoir de négociation des salariés des économies avancées.

A quel horizon ?

Mais, que l’on mette l’accent sur les causes monétaires ou structurelles de la désinflation, les deux piliers de la " grande modération " semblent aujourd’hui fragilisés. Depuis le déclenchement de la crise, les politiques monétaires ont changé de cap. La lutte contre l’inflation est passée au second plan, effacée par la menace déflationniste. Les banquiers centraux ont non seulement baissé le loyer de l’argent à un niveau proche de 0, mais aussi déployé un arsenal de mesures non conventionnelles, impensables il y a quelques années, en créant massivement de la monnaie pour racheter des actifs financiers privés et publics.

Certes, cette version contemporaine de la planche à billets ne crée pas automatiquement de l’inflation. Il faudrait, pour cela, que la monnaie émise par la banque centrale se transforme, via les banques, en crédits au reste de l’économie, ce qui n’est pas le cas pour l’instant.

Il reste que " les conditions monétaires sont toujours très expansionnistes, même avec la remontée des taux d’intérêt amorcée par la BCE ", estime Véronique Riches-Flores, économiste à la Société générale. Si elle ne suffit pas à produire de l’inflation, cette situation crée un environnement monétaire sur lequel la hausse des prix pourrait s’enraciner.

Les effets ambivalents de l’inflation

D’autant que le contexte mondial est, lui aussi, en train de changer radicalement. Grande pourvoyeuse de produits bon marché pour l’exportation, la Chine et, avec elle, les autres grands pays émergents deviennent, en s’enrichissant, une source majeure de demande. " Après avoir eu un impact puissamment désinflationniste, la dynamique chinoise devient la première source potentielle d’inflation ", poursuit l’économiste.

La hausse des prix des matières premières (énergie et alimentation) depuis 2005 en est le premier symptôme. La poussée d’inflation en Chine (5,4 % en rythme annuel en mars) ne s’explique que par là. En Europe et aux Etats-Unis, cette inflation importée est de la pire espèce : elle rogne le pouvoir d’achat des ménages, dont les revenus stagnent. Les salaires horaires n’ont augmenté que de 1,4 % sur un an dans la zone euro au dernier trimestre 2010. Et leur progression est toujours limitée par le niveau élevé du chômage.

Certes, à terme, la Chine doit réorienter sa production vers son marché intérieur. A mesure que sa population s’enrichit et vieillit, les revendications salariales devraient s’intensifier. Et comme les gains de productivité ralentissent, ses coûts augmenteront. Sa monnaie devrait donc s’apprécier, ne serait-ce que pour apaiser les tensions inflationnistes internes. Autant de facteurs qui pourraient atténuer la pression concurrentielle que ce pays exerce. Pour les pays avancés, cela signifierait la fin de la désinflation importée et un rapport de force moins défavorable aux salariés.

Mais à quel horizon ? Les économies occidentales font face à des problèmes pressants. Le scénario d’une solution par la réinflation paraît pour l’heure bien lointain pour fournir une issue plausible.

  • 1. " Rethinking Macroeconomic Policy ", par Olivier Blanchard et alii, FMI, février 2010.
  • 2. " Vous reprendrez bien un peu d’inflation ? ", par Philippe Weber, Variances n° 39, octobre 2010.
* Inflation

Selon l'Insee, c'est " l'augmentation générale et durable du niveau des prix ", qui se traduit par une perte de pouvoir d'achat de la monnaie. Elle est en général mesurée par l'indice des prix à la consommation, à partir d'un panier de biens et de services.

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