Faut-il imposer les Français vivant à l’étranger ?

7 min

La réforme annoncée de l'imposition du patrimoine remet en débat l'idée d'assujettir à l'impôt les Français établis à l'étranger. Une mesure en place chez nombre de nos voisins.

En octobre 2010, Jérôme Cahuzac, président socialiste de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, avait déclenché une polémique en proposant, lors du débat budgétaire, d’étendre l’assiette de l’impôt sur le revenu aux Français établis hors de France. L’amendement avait été rejeté en commission, mais depuis, le sujet est resté dans le débat public. Et la question se repose actuellement dans le cadre de la réforme annoncée de l’imposition des patrimoines.

Pour l’instant, l’article 4A du code général des impôts prévoit que les personnes dont le domicile fiscal est situé hors de France n’ont l’obligation de payer des impôts que sur les seuls revenus réputés de source française. Combien les Français expatriés rapportent-ils par ce biais au fisc ? On ne sait pas au juste parce que le fisc ne connaît pas la nationalité des contribuables. On sait seulement que "201 000 foyers de nationalité française ou non sont fiscalement qualifiés de non résidents en France au titre des revenus 2007 et qu’ils ont acquitté en France, au titre de cette même année, un impôt sur le revenu de 470 millions d’euros "1, sur 49 milliards d’euros de recettes, soit un petit 1 %.

Une question de légitimité

L’idée d’aller au-delà résulte de la nécessité de combler les déficits publics et de lutter contre l’évasion fiscale. Mais c’est aussi le fruit de la révision constitutionnelle de 2008 qui a prévu, à partir de 2012, l’élection de onze députés représentant les Français de l’étranger, en sus des douze sénateurs dont ils étaient déjà dotés. Forts d’une représentation ainsi complétée, on voit mal pourquoi les Français de l’étranger échapperaient à la taxation. Leurs députés sont, comme les autres, " chargés de vouloir pour la Nation ", selon la formule du révolutionnaire Antoine Barnave mais leur vote en matière fiscale n’aurait pas de conséquences sur eux-mêmes ni sur les électeurs qui les ont portés au Palais Bourbon. L’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que la " contribution commune est indispensable ". Certes, 46,3 % des Français ne paient pas l’impôt sur le revenu et ne sont pas pour autant - et heureusement ! - privés du droit de vote ou d’accès aux services publics, mais ces personnes acquittent de la TVA, de la contribution sociale généralisée (CSG), de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (Tipp), etc.

L’autre justification souvent invoquée en faveur de l’introduction d’une telle fiscalité concerne en quelque sorte le retour sur investissement de la nation. Les Français installés à l’étranger ont souvent entraîné des coûts pour le pays : éducation, éventuellement jusqu’au supérieur, couverture médicale de la naissance au départ de France... Et ils en entraînent encore : entretien des consulats - ces mairies de l’étranger - pour 180 millions d’euros par an, bourses scolaires et lycées français à l’étranger pour 526 millions d’euros, des aides sociales modestes... Ces coûts doivent cependant être relativisés, car ils " rapportent " également sous forme d’influence dans le monde, de commandes adressées grâce à eux à l’économie française... Et la balance exacte est difficile à établir. Enfin, certains - une petite minorité - s’expatrient pour pouvoir jongler entre les législations fiscales afin d’échapper à l’imposition. Si l’Etat décidait de taxer ces personnes bénéficiant de capitaux importants et parties vivre sous les cocotiers, cela pourrait à coup sûr lui rapporter des sommes rondelettes. A supposer qu’il dispose de relais pour les obliger à payer par-delà ses frontières...

Des pistes multiples

Comment font les autres ? Dans la plupart des pays, l’assujettissement à l’impôt suit, comme en France, un critère de résidence : une personne physique paie ses impôts dans le pays où elle a son centre principal d’activités professionnelles et/ou familiales. Les Etats-Unis, en revanche, imposent tous leurs ressortissants vivant à l’étranger en vertu d’un critère de nationalité. Toutefois, il existe un plancher en deçà duquel les revenus du travail sont non imposables (92 900 dollars en 2011, soit 66 400 euros). De plus, un crédit d’impôt correspondant au montant de l’impôt payé à l’étranger s’applique à tous les revenus, quelle que soit leur nature. Cela évite donc de cumuler les deux impositions pour un revenu donné.

Les Etats-Unis et leur puissante administration fiscale (l’Internal Revenue Service) ont gagné leur bras de fer contre la Suisse pour obtenir les noms de contribuables américains détenant des comptes à l’Union des banques suisses. En vertu de l’article 877A 2 de l’Internal Revenue Code 3, ils exigent même que les riches qui abandonnent la nationalité américaine s’acquittent d’une " taxe de départ ", calculée sur le montant de la plus-value fictive sur la vente de leurs avoirs mondiaux, au prix du marché la veille de l’abandon de la nationalité. Toute plus-value supérieure à 600 000 dollars est imposable.

Comme le montre une étude du Sénat 4, outre les Etats-Unis, des pays comme l’Espagne, le Portugal, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie pénalisent déjà financièrement leurs ressortissants lorsqu’ils s’établissent dans des paradis fiscaux. Pour autant, la liste de ces paradis reste différente d’un pays à l’autre : ainsi, Andorre n’est pas un paradis fiscal pour l’Espagne, ni les îles Caïman pour les Etats-Unis. En Allemagne, l’année où le transfert de domicile a lieu ainsi que durant les dix années suivantes, l’administration fiscale allemande applique aux revenus d’origine allemande un taux d’imposition forfaitaire majoré, ou le taux maximal si les contribuables refusent de lui communiquer le détail de leurs revenus. De plus, au moment de leur expatriation, les contribuables qui ont eu leur domicile fiscal pendant au moins dix ans en Allemagne et qui détiennent une participation d’au moins 1 % dans une société de capitaux sont imposés sur leurs plus-values latentes. De même en Espagne ou au Portugal, les personnes qui transfèrent leur domicile dans un Etat ou un territoire dont le régime fiscal est "manifestement plus favorable" sont toujours considérées comme résidentes pendant l’année du transfert et les quatre années suivantes 5. On dit qu’elles sont placées en " quarantaine fiscale ".

Bercy étudie lui aussi un système d’exit tax. Il regarde également du côté des revenus des " impatriés ", ces Français rentrés au pays mais qui gardent d’importantes sources de revenus à l’étranger, actuellement non soumis à l’impôt sur la fortune (ISF) pendant cinq ans. Enfin, le gouvernement examine la possibilité de taxer les revenus d’origine française des Français installés hors de France au barème de l’impôt sur le revenu, au lieu des 20 % de prélèvement libératoire actuels.

Un impact limité

Ces dispositifs de taxation outre-frontière fonctionnent-ils ? En 2006, selon l’économiste Emmanuel Saez 6, les Etats-Unis avaient récupéré 5 milliards de dollars, soit 0,5 % de l’impôt sur le revenu, grâce aux 7 millions d’Américains de l’étranger. Même outre-Atlantique, où ces dispositifs sont les plus développés, leur impact reste donc très limité. Michael Jaffe, avocat fiscaliste aux barreaux de New York, de Californie et des Hauts-de-Seine, estime qu’aux Etats-Unis, " les moyens humains pour traduire les documents et analyser les croisements de données sont insuffisants". Dans ces domaines, il y a loin de la coupe aux lèvres... Le débat sur l’imposition des expatriés n’en est pas moins important : il invite à redéfinir l’idée même de nation dans un monde globalisé.

  • 1. Réponse du ministre du Budget, des Comptes publics, de la Fonction publique et de la Réforme de l’Etat, en date du 16 jullet 2009 à la question écrite n° 08455 posée par Richard Yung, sénateur des Français établis hors de France.
  • 2. Voir " Heroes Earnings Assistance and Relief Tax Act of 2008 ".
  • 3. Code fédéral des impôts.
  • 4. Voir " L’imposition des revenus des expatriés dans le pays d’origine ", Sénat, Etude de législation comparée n° 192, 21 janvier 2009.
  • 5. Il s’agit d’une présomption simple et les intéressés peuvent établir leur bonne foi en prouvant que leur transfert est motivé, par exemple, par l’exercice de leur activité professionnelle.
  • 6. Dans " L’idée américaine de Cahuzac ", par Sophie Fay, Nouvel Observateur, 21-27 octobre 2010.

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !
Sur le même sujet