Formation des enseignants : zéro pointé

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La réforme appliquée depuis cette année en France va à l'inverse de la tendance européenne qui privilégie une entrée de plus en plus progressive dans le métier d'enseignant.

A la rentrée 2010, 15 500 enseignants ont débuté leur carrière en n’ayant reçu quasiment aucune formation pédagogique. Après avoir réussi leur concours, ils ont dû assumer un service complet sans pouvoir suivre, comme leurs prédécesseurs, une année de formation en alternance dans un Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM). Menée au nom de l’harmonisation européenne, cette réforme a au contraire accentué la singularité française dans ce domaine. Et manifestement pour le pire.

Face au mécontentement exprimé par tous les acteurs, le président de la République avait promis en janvier dernier de remettre certains éléments " sur le chantier ". Mais pour l’instant, rien ne bouge. Il faut dire que c’est tout le dossier qu’il faudrait reprendre à zéro...

Recrutés à bac + 5

Auparavant, les étudiants qui avaient obtenu une licence (bac + 3) pouvaient se présenter au concours de professeur des écoles, au Capes, au Capeps, au Capet ou au CAPLP 1. Une maîtrise (niveau bac + 4) était par ailleurs nécessaire pour tenter l’agrégation. Une fois les épreuves réussies, les futurs enseignants effectuaient une année de stage rémunérée en classe, tout en suivant parallèlement des cours à la fois théoriques et pratiques au sein des IUFM.

Désormais, il faut être titulaire d’un diplôme de niveau bac + 5 (master 2, d’où le terme mastérisation pour désigner la réforme) pour présenter tous ces concours. Lors de l’année de stage en responsabilité consécutive à la réussite des concours, les débutants suivent, en plus de leur travail d’enseignant à temps complet, quelques formations en IUFM et sont censés recevoir l’aide de tuteurs au sein de leur établissement, des dispositions très inégalement appliquées en 2010. Au cours des masters préparant les concours d’enseignant, les étudiants effectuent un stage d’observation d’une semaine en classe en master 1, puis des stages d’une durée totale de cinq semaines environ (en observation, en pratique accompagnée ou en responsabilité) en master 2.

Des " frites " économiques

Xavier Darcos, ministre de l’Education, avait promis en lançant cette réforme en 2008 de ne pas lâcher les jeunes professeurs dans les classes " comme des frites dans l’huile bouillante ". Or, les témoignages de stagiaires en difficulté se multiplient 2. Comme le fait observer Gilles Baillat, président de la conférence des directeurs d’IUFM, suite à la réforme, " trop d’objectifs sont imposés en fin de cursus aux étudiants : maîtriser une discipline pour réussir les épreuves théoriques, assurer face aux élèves dont ils ont la responsabilité et se former sur le plan pédagogique... Autant d’objectifs qui, dans la majorité des pays européens, sont répartis sur quatre ans ".

" C’est une volonté de faire des économies plus que des raisons pédagogiques qui a primé dans cette réforme ", rappelle Philippe Watrelot, président du Crap-Cahiers pédagogiques : les nouveaux recrutés ont dû être opérationnels à 100 %, contrairement à leurs prédécesseurs, permettant ainsi de supprimer 15 500 postes dans l’Education nationale sans que cela se voit trop. Mais du coup, la réforme accentue une crise des vocations qui s’est manifestée notamment par une réduction de moitié du nombre d’inscrits aux concours d’enseignement du secondaire entre 2010 et 2011.

Comment font les autres ? En Europe, on distingue deux grands modèles de formation des enseignants : le modèle consécutif, où l’on se forme d’abord dans le système académique à une discipline avant d’acquérir des compétences pratiques et professionnelles ; et le modèle simultané, où les enseignants acquièrent en même temps les compétences théoriques et pratiques nécessaires à l’exercice de leur profession. Comme le rappelle Eurydice (réseau d’information sur l’éducation en Europe), les enseignants de maternelle et de primaire sont désormais formés selon le modèle simultané dans tous les pays européens... sauf en France.

Quant aux enseignants du secondaire, le modèle simultané est également de plus en plus répandu. Il est utilisé notamment en Allemagne, en Finlande ou encore en Suède, mais pas en Espagne, en Italie, en Hongrie et en France, où le modèle consécutif n’a pas été abandonné. Depuis plus de quinze ans, on assiste en Europe, via l’extension du modèle simultané, à une plus grande progressivité dans l’entrée dans le métier. Car " pour acquérir des compétences de gestion de classe, il faut du temps, de la durée, des allers-retours entre formation et pratique ", rappelle Patrick Baranger, ancien directeur d’IUFM.

Redonner du temps à une réelle formation

Grâce au modèle simultané, le temps consacré au volet professionnel et pédagogique représente au moins la moitié du temps de formation des profs de maternelle, primaire et collège dans des pays comme le Danemark, la Finlande, la Norvège ou la Belgique. En Suisse et en Allemagne, par exemple, l’alternance entre formation et pratique débute dès la licence. La France est le seul pays, selon le rapport d’Eurydice, où la formation professionnelle s’effectue quasiment exclusivement au cours de la phase finale qualifiante en emploi, qui dure un an. D’autres pays comme l’Allemagne organisent également une phase finale de formation sous la forme de la prise en charge d’une classe pendant un an, mais le maître de stage reste constamment présent dans la classe en question. " C’est une formation pratique accompagnée qui coûte cher, précise Patrick Baranger, puisqu’il faut payer deux enseignants. "

En France, il y a manifestement urgence à sortir de l’impasse où a mené la dernière réforme. " Il faut redonner une dimension pédagogique, aujourd’hui absente, aux concours du second degré et donner du temps à une réelle formation qui ne se limite pas à du bachotage ", souligne Philippe Watrelot.

Zoom Comment font les Québécois ?

Au Québec, une fois le bac en poche, les étudiants qui se destinent à l’enseignement sont formés durant quatre ans. Comme l’explique Richard Etienne, professeur en sciences de l’éducation et auteur de L’université peut-elle vraiment former les enseignants ?, la première année est consacrée à des études théoriques ; durant les deuxième et troisième années, les futurs enseignants sont " progressivement mis en situation de prise de responsabilité ". Enfin, en quatrième année, ils effectuent un stage de 108 heures, avec retours à l’université et visites de conseillers pédagogiques ; cette année donne lieu à une évaluation permettant d’obtenir le diplôme. " La prise en main de la classe est ainsi très progressive ", explique Richard Etienne. Une fois diplômés, les enseignants sont recrutés au niveau des établissements sur dossier et entretien.

Jean-Michel Jolion, président du comité de suivi du master, a remis un rapport d’étape à la ministre de l’Enseignement supérieur le mois dernier. Il s’interroge notamment sur la place du concours et propose qu’il se déroule en fin d’année de master 1, afin d’éviter que l’incertitude sur la réussite aux épreuves rende plus difficile la concentration sur les objectifs d’apprentissage du métier. D’autres souhaitent même un concours dès la fin de la licence. Il faut en tout cas d’urgence arrêter les frais...

  • 1. La masterisation a notamment empêché beaucoup de " candidats issus du milieu professionnel ", rappelle le rapport Jolion, de passer les concours des professorats des lycées professionnels (CAPLP) et de l’enseignement technique (Capet), même si des voies d’accès diversifiées sont prévues.
  • 2. Voir le site du collectif Stagiaire impossible : blog.stagiaireimpossible.org
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