Opinion

Taxons les pauvres !

4 min
Denis Clerc Fondateur d’Alternatives Economiques

Paul et Pauline gagnent 20 000 euros par mois et disposent d’un patrimoine taxable à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) de 3 millions d’euros 1. Leur ISF s’élevait jusqu’ici à 20 000 euros. Avec la réforme que vient d’annoncer le gouvernement, en 2011, ils ne paieront plus que 11 000 euros, et un peu moins de 7 000 en 2012. Hélas, la même réforme a supprimé le bouclier fiscal. Grâce au Ciel et à leurs trois enfants, Paul et Pauline, qui figurent parmi les 5 % de familles les plus aisées, ne sont pas concernés : leur impôt théorique sur le revenu est de 420 000 euros mais, par la magie de l’utilisation optimale de quelques niches fiscales (garde d’enfants à domicile, femme de ménage, investissements d’économie d’énergie, enfant étudiant, etc.), ils ne payent que 25 000 euros effectifs. En 2012, ils viennent de promettre à leurs enfants que toute la famille utiliserait les baisses d’impôts pour un séjour de vacances au Pérou. Commentaire de Paul : " Sans Sarko, j’aurais pas pu. " Paul et Pauline ne se considèrent pas comme riches : ils estiment faire partie de la " classe moyenne ".

François et Françoise, eux, savent qu’ils font partie des riches, mais ils n’aiment pas le dire. Leur revenu s’élève à 1,4 million d’euros par an (ce qui les met dans le 0,1 % le plus aisé des ménages), leur patrimoine taxable à 15 millions. Avec trois enfants également, leur impôt sur le revenu s’élèvera cette année, comme l’an dernier, à 400 000 euros (théoriquement, ils auraient dû payer 500 000, mais avec quelques judicieux investissements en assurance-vie, dans le logement locatif et dans les Dom, ils ont pu réduire la note). Il faut y ajouter 170 000 euros d’ISF et 140 000 euros de CSG. Le bouclier fiscal leur a permis de récupérer 20 000 euros sur le tout en 2010. Commentaire de Françoise : " Avec tout ce qu’on a payé, c’est quand même bien le moins. " L’an prochain, certes, ce sera la fin bouclier fiscal du Trésor. Mais Françoise, qui tient les comptes, a calculé que l’ISF passerait à 65 000 euros. " Ça compense ", a-t-elle dit à François, ajoutant : " Et si on allait au Pérou avec les Paul pour fêter ça ? "

Commentaire de Jean-Francis Pécresse, dans Les Echos du 14 avril : " c’est la meilleure réforme possible", compte tenu des contraintes budgétaires et politiques. Certes, ajoute-t-il, il aurait mieux valu abolir l’ISF : cela aurait permis " de faire de la France une terre d’accueil pour ces entrepreneurs qui, y ayant bâti leur propre richesse, ont oeuvré au destin commun ". En outre, ajoute-t-il, avec la suppression du bouclier fiscal, ces grandes fortunes " vont perdre leur protection contre la confiscation ". Les riches ont mérité de la patrie, puisqu’ils ont créé de la richesse et " oeuvré au destin commun ". Et l’impôt sur le revenu, taxé à 25 % effectifs du revenu déclaré, nous apprend Julie Solard, de l’Insee (sans doute grâce à l’imposition forfaitaire d’une bonne partie des revenus du capital et à la multiplicité des niches fiscales), suffit bien 2. Au-delà, ce serait confiscatoire, compte tenu de leur apport irremplaçable. Car la France ne serait pas la France sans eux, leur labeur et leur génie. Détaxons-les, ils le méritent. La réforme annoncée est un pas - petit, mais significatif - dans cette direction, puisque, si la suppression du bouclier fiscal va rapporter 700 millions d’euros au fisc, la réforme de l’ISF économisera 950 millions aux contribuables à patrimoine élevé 3.

La crise et le déficit public obligent à augmenter les impôts ? Taxons les pauvres, pour les punir de n’avoir pas su devenir riches et de mettre ainsi des bâtons dans les roues du " destin commun ". Ils sont nombreux, ça rapportera. S’ils partent vers des cieux plus cléments, bon débarras : attirer les riches et chasser les pauvres est un moyen imparable d’élever le revenu moyen. C’est bien la preuve que les pauvres nous plombent.

  • 1. Sont exemptés de l’ISF les oeuvres d’art et le patrimoine professionnel. En outre, la valeur de la résidence principale est diminuée de 30 %.
  • 2. " Les très hauts revenus : des différences de plus en plus marquées entre 2004 et 2007 ", dans Les revenus et le patrimoine des ménages, édition 2010, Insee Références, 2010.
  • 3. De toute façon, nous dit une publicité d’Arkéon Finance dans Les Echos du 6 avril, " depuis 2008, l’ISF n’existe plus " pour les contribuables qui ont su investir dans des PME.

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