Politiques publiques : une politique à contre-emploi

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Entre les annonces concernant la lutte contre le chômage et les moyens effectivement mis en oeuvre, le compte n'y est pas.

Difficile de suivre le cap fixé par l’exécutif en matière de lutte contre le chômage. D’un mois sur l’autre, les priorités s’inversent et les objectifs changent en fonction des dernières statistiques qui prennent le pouls du marché du travail. C’est le cas tout particulièrement des emplois aidés, un des principaux outils disponibles pour éviter que les chômeurs de longue durée ne basculent dans une situation d’exclusion difficilement réversible. Alors qu’une telle politique requiert de la stabilité à moyen terme pour avoir une chance d’être efficace.

Dernier rebondissement en date : le 10 février, Nicolas Sarkozy annonçait qu’il débloquait 500 millions d’euros supplémentaires pour le budget de l’emploi. La moitié de cette enveloppe était destinée à relancer les contrats aidés, en les ciblant sur les chômeurs de longue durée, dont le nombre a explosé entre juin 2008 et mars 2011, passant de 975 000 à 1 531 000. Cette réhabilitation du traitement social du chômage constitue un virage à 180 °C par rapport aux instructions envoyées aux préfets quelques mois plus tôt.

En octobre dernier, la signature de nouveaux contrats aidés avait en effet été gelée jusqu’à la fin de l’année. Et le budget voté pour 2011 avait entériné un sérieux coup de frein dans la programmation de ces emplois subventionnés : leur nombre devait passer de 520 000 en 2010 à 390 000 cette année. Mais les mauvais chiffres enregistrés sur le front du chômage en novembre et en décembre derniers avaient convaincu le chef de l’Etat d’infléchir sa politique. Il a donc prévu d’en financer 50 000 de plus en 2011 par rapport à ceux déjà budgétés. Ce revirement est évidemment le bienvenu, compte tenu de la situation toujours inquiétante du marché du travail, malgré l’amélioration intervenue au premier trimestre 2011 (lire page 6). Pas sûr cependant qu’il soit suffisant.

Grand écart

Ce n’est pas forcément l’ambition qui manque. Au contraire, certains objectifs que le Président a fixés à Pôle emploi visent très haut. C’est le cas en particulier de l’injonction faite aux agents du service public de l’emploi de recevoir " dans les trois mois " tous les chômeurs de longue durée pour leur proposer une formation qualifiante ou un emploi. Soit plus de 1,5 million de personnes ! Une mission impossible, d’autant que les conseillers de Pôle emploi sont déjà débordés (voir encadré).

Zoom Pôle emploi à la diète

1 800 postes devraient être supprimés à Pôle emploi cette année. L’Inspection générale des finances vient pourtant de relever, dans un récent rapport 1, que la France se situait déjà très en dessous de l’Allemagne et du Royaume-Uni en termes de nombre de postes dans le service public de l’emploi rapporté au nombre de chômeurs. L’Hexagone compte 150 conseillers en équivalent temps plein pour 10 000 demandeurs d’emploi, contre 377 en Allemagne et 349 au Royaume-Uni. Avec comme conséquence un écart spectaculaire en matière d’accompagnement des chômeurs. Or, constate l’Inspection générale des finances, " une intensification de l’accompagnement du demandeur d’emploi peut générer des économies supérieures aux coûts consentis, grâce à une accélération du retour à l’emploi et, par voie de conséquence, une diminution des dépenses d’indemnisation ".

  • 1. " Etude comparative des effectifs des services publics de l’emploi en France, en Allemagne et au Royaume-Uni ", IGF, janvier 2011.

Bien que caricatural, cet exemple est révélateur du grand écart qui sépare le volontarisme affiché et les moyens réellement mis en oeuvre. Dans la plupart des cas, les annonces d’aujourd’hui ne suffisent en effet pas à compenser les coupes d’hier. En dépit de la rallonge de 500 millions d’euros consentie par le chef de l’Etat, le budget de l’emploi pour 2011 reste ainsi inférieur de 1,3 milliard d’euros à celui de 2010 1. De nombreux dispositifs ont en effet été supprimés ou rabotés cette année : fin de la prime de 500 euros pour les chômeurs non indemnisés, suppression de la prime à l’embauche des stagiaires, baisse du volume des primes pour l’emploi, diminution du financement des maisons de l’emploi, réduction d’un tiers des crédits d’indemnisation du chômage partiel, suppression de différentes aides à l’embauche, fin du contrat de transition professionnelle destiné à reclasser les salariés licenciés, etc.

On peut ajouter à cette liste la non-reconduction du plan " Rebond pour l’emploi ". Mis en place en avril 2010, il devait permettre à 325 000 chômeurs ne bénéficiant d’aucun revenu d’accéder à un contrat aidé, à une formation ou à une " allocation temporaire de crise " d’environ 450 euros par mois. Mais seuls 147 800 demandeurs d’emploi en fin de droit en ont bénéficié, dont seulement 13 200 ont perçu l’allocation !

Evolution trimestrielle* des entrées en contrats aidés (nouveaux contrats et reconductions) dans les secteurs marchand et non marchand

Autre économie de bouts de chandelle : l’indemnité destinée aux chômeurs en fin de droits en cours de formation est passée de 1 000 euros à 652 euros en avril dernier. Faute de ressources suffisantes, certains d’entre eux risquent d’abandonner leur formation, alors même que cela améliore significativement leurs chances de retrouver un travail, rappelle une récente étude de Pôle emploi 2.

Stop and go incessants

Quant à la relance des contrats aidés promise par Nicolas Sarkozy, elle devrait porter à 440 000 le nombre total d’emplois de ce type prévus pour 2011. Mais c’est encore 80 000 de moins qu’en 2010. Et encore faut-il que les crédits soient effectivement débloqués. Pour l’instant, ce qui est sûr, c’est que 15 000 contrats supplémentaires (sur les 50 000 annoncés) seront créés dans le secteur non marchand au premier semestre, comme le précise une circulaire du 28 février. Le coup de pouce reste donc limité. D’autant plus que la participation de l’Etat au financement de ces contrats aidés a fortement diminué depuis l’année dernière, passant de 90 % début 2010 à 70 % seulement aujourd’hui. Résultat : la qualité des emplois proposés s’est dégradée. La durée moyenne des CUI-CAE, c’est-à-dire des contrats aidés destinés au secteur non marchand, a diminué de 8,6 mois à 7,9 mois entre le premier et le dernier trimestre de 2010. Sur la même période, le temps de travail hebdomadaire moyen des CUI-CAE est passé de 25,4 heures à 24,4 heures 3.

Ce désengagement financier de l’Etat est " fortement dommageable pour les salariés en insertion et les structures elles-mêmes, dénonce la Fnars, une fédération dont les associations membres sont de grandes consommatrices de contrats aidés, entraînant une diminution des salaires (pouvant placer la personne en dessous du seuil de pauvreté), une réduction du temps de présence des salariés sur l’activité économique, une réduction du temps d’accompagnement social et enfin une mise en oeuvre impossible des programmes de formation ".

D’une manière générale, la politique en matière de contrats aidés suit une logique de " stop and go " dont les conséquences sont désastreuses sur le terrain. En fonction du contexte, le gouvernement ouvre précipitamment les vannes ou les ferme brutalement, selon qu’il veut faire baisser la courbe du chômage ou celle des déficits publics. Ces effets de Yo-Yo(c) fragilisent le travail des associations chargées de réinsérer les chômeurs en difficulté. Sans visibilité à moyen terme, elles peinent à proposer à leur public des parcours qui s’inscrivent dans la durée et se retrouvent contraintes de sacrifier la qualité de l’accompagnement qu’elles proposent pour parer au plus urgent.

Quant aux salariés en insertion, ils se retrouvent à nouveau ballotés dans l’incertitude du lendemain. Ils ne savent pas si leur contrat sera renouvelé ou s’ils devront pointer à Pôle emploi en attendant que les services de l’Etat donnent de nouvelles instructions. La lutte contre le chômage de longue durée est un enjeu trop important pour se réduire à cette politique à courte vue.

  • 1. A première vue, les crédits alloués au budget de l’emploi semblent stables entre 2010 et 2011 : 11,4 milliards d’euros. Mais en réalité, le budget de l’emploi était abondé à hauteur de 1,8 milliard d’euros par les crédits du plan de relance, lesquels ont disparu en 2011.
  • 2. Plus de 60 % des bénéficiaires de formations financées par Pôle emploi sont en emploi six mois après la sortie de formation, selon l’enquête Sortants de formation (Repères & Analyses statistiques n° 19, décembre 2010).
  • 3. Il s’agit de moyennes. L es disparités entre régions peuvent être importantes : dans certains cas, la durée hebdomadaire des contrats aidés peut être de 26 heures, dans d’autres, de seulement 20 heures.

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