Idées

L’élan brisé du Portugal

6 min

Concurrencée dans ses secteurs traditionnels, à la traîne dans ceux d'avenir, tributaire du financement extérieur, l'économie portugaise est en berne depuis les années 2000. La cure d'austérité qui lui est imposée en échange de l'aide internationale lui ôte toute chance de renouer avec la croissance.

De quoi au juste souffre l’économie portugaise ? A la différence de la Grèce, ses finances publiques étaient sous contrôle jusqu’en 2008. A la différence de l’Irlande, le pays n’a pas subi de crise bancaire. A la différence de l’Espagne, il n’a pas connu de bulle immobilière. Incapable de faire face à ses échéances immédiates, le pays a pourtant dû solliciter le 3 mai dernier une aide de 78 milliards d’euros auprès de l’Union européenne et du Fonds monétaire international (FMI), soit l’équivalent de 45 % de son produit intérieur brut (PIB), un montant comparable à celui négocié par la Grèce (48 %) et l’Irlande (44 %).

Dix ans plus tôt, le pays était pourtant cité en exemple par les experts de la Commission européenne. Spectaculaire, le rattrapage économique amorcé après l’entrée dans l’Europe avait porté le revenu par habitant de 53 % du revenu moyen communautaire lors de l’adhésion en 1986 à 70 % en 2000. Avec une croissance annuelle moyenne du PIB de 3,8 % entre 1985 et 2000, dépassée en Europe seulement par l’Irlande et le Luxembourg, l’économie portugaise bénéficiait pleinement de la dynamique de l’intégration européenne. Et franchissait sans difficulté son examen de passage à la monnaie unique. Symbole de la bonne santé de l’économie portugaise, le taux de chômage chutait à 4 % en 2000, soit moitié moins que les autres pays européens à l’époque.

Le surplace de l’économie

Cet élan s’est brisé dans les années 2000. Tandis que la convergence des niveaux de vie s’accélère en Espagne et en Grèce et se propage aux pays d’Europe de l’Est, le taux de croissance de l’économie portugaise s’effondre dans ces années-là. Il n’atteint plus que 1,1 % entre 2000 et 2007, soit le taux le plus faible de la zone euro avec l’Italie, et devient négatif par la suite, à l’exception d’une reprise aussi timide que brève en 2010 (voir graphique). La productivité horaire du travail, qui progressait de 4 % l’an en moyenne dans les années 1990, tombe en dessous de 1 % dans la décennie suivante. Le surplace de l’économie s’accompagne d’une stagnation inquiétante de l’emploi, le taux de chômage atteint 8 % en 2007, contre 7,4 % dans la zone euro. La récession le propulsera à 11 % en 2011.

Trois facteurs expliquent l’arrêt de la croissance portugaise dans les années 2000. L’économie souffre tout d’abord d’une érosion rapide de son avantage comparatif dans les industries de main-d’oeuvre. Spécialisée dans l’exportation de biens de consommation à faible valeur ajoutée (produits alimentaires, boissons, textile, habillement, chaussures), de véhicules et de composants automobiles, ainsi que de matériel électrique, l’industrie portugaise subit de plein fouet la concurrence des économies émergentes. Orientées pour les trois quarts vers le marché européen, ses exportations sont exposées à la concurrence des nouveaux Etats membres d’Europe centrale et orientale, qui bénéficient de coûts salariaux inférieurs pour une productivité équivalente. Malgré le recul constant de leur poids relatif au cours des dernières décennies, les produits à faible intensité technologique représentent encore près de la moitié des exportations portugaises.

Retard technologique

A l’image de la Grèce et de l’Espagne, le Portugal est passé largement à côté de la révolution provoquée par l’essor des industries de l’information et de la communication. De l’ordre de 10 %, la part des exportations de produits à contenu technologique élevé est très inférieure à leur poids dans la demande mondiale, qui approche 30 %. Deux éléments résument le retard pris par le pays dans l’économie de la connaissance. Longtemps insignifiant, l’effort de recherche et développement n’atteignait que 0,6 % du PIB au milieu des années 2000. Porté depuis à 1,2 %, grâce notamment au redéploiement des fonds structurels européens en ce sens, il est essentiellement le fait des pouvoirs publics, les firmes privées étant généralement trop petites pour investir des sommes significatives dans ce domaine.

C’est toutefois dans le domaine éducatif que le retard portugais est le plus criant : 28 % seulement de sa population adulte avait achevé des études secondaires en 2008, soit le taux le plus faible d’Europe (il atteint 70 % en France). Le Portugal est ainsi lourdement handicapé dans la compétition internationale pour la localisation des investissements directs dans les secteurs d’avenir, comme en témoigne l’intérêt limité et décroissant des firmes étrangères pour le pays.

Evolution du PIB des pays de la zone euro, base 100 en 2000
Solde de la balance des opérations courantes, en % du PIB

A ces problèmes structurels s’ajoute dans les années 2000 une compétitivité-prix déclinante, sous l’effet à la fois d’une progression rapide des coûts salariaux (les rémunérations dans le secteur privé augmentent deux fois plus vite que dans les autres pays de la zone euro entre 1995 et 2007) et de l’appréciation de l’euro. Equilibrée jusqu’au milieu des années 1990, la balance courante enregistre un déficit annuel moyen de 10 % du PIB à partir de 2000 (voir graphique).

Tout se passe comme si le Portugal, dopé dans les années 1990 par les fonds structurels européens et la baisse des taux d’intérêt, avait consommé les avantages de l’euro avant même d’adopter la monnaie unique. Masqué par l’appartenance à la zone euro, qui dispense le pays d’ajuster ses comptes extérieurs, le déficit courant résulte pour un tiers du déficit public - contenu tant bien que mal dans les limites du pacte de stabilité - et pour les deux tiers des besoins de financement du secteur privé.

Une dépendance critique

La crise a ainsi mis à nu non pas tant les excès que les faiblesses de l’économie portugaise. Laminées dans leurs marges, les entreprises ont fait de plus en plus appel à l’endettement pour financer leurs activités. Stimulés par la faiblesse des taux d’intérêt - euro oblige -, les ménages ont laissé leur taux d’épargne chuter. Le taux d’épargne nationale qui, à 20 % du PIB, se situait dans la moyenne européenne à la fin des années 1990, s’effondre dans les années 2000. A la veille de la crise, il n’atteint plus que 10 %, soit moitié moins que l’investissement total, plaçant le pays dans une situation de dépendance critique par rapport au financement extérieur. En 2007, l’endettement extérieur du pays représentait 200 % du PIB, soit davantage qu’en Grèce ou en Espagne.

Tout comme la Grèce, le Portugal dépend aux trois quarts des capitaux étrangers pour couvrir les besoins de financement du secteur public, lesquels explosent avec la crise. L’engrenage de la dette dans un contexte récessif met en évidence l’insolvabilité du pays, provoquant la dégradation de sa notation extérieure et la flambée des primes de risque exigées par ses créanciers. Ne pouvant rétablir sa compétitivité à coups de dévaluation, le Portugal n’a d’autre choix que la déflation de sa demande intérieure par la compression des revenus et l’austérité budgétaire. Selon certaines estimations, l’ajustement de la consommation requis pour rétablir les équilibres financiers du pays serait de 10 % du PIB 1.

L’austérité draconienne imposée par le FMI et l’Union européenne procède de cette logique comptable, qui ôte toute chance à l’économie portugaise de revenir sur un sentier de croissance dans un horizon prévisible. En imposant le redressement des finances de l’Etat au prix d’une récession sévère, elle risque d’accentuer les déséquilibres financiers du secteur privé et donc de fragiliser les banques, qui vont devoir faire face à une accumulation de créances douteuses des ménages et des entreprises. Une perspective peu rassurante, tant pour le Portugal que pour les dirigeants de Bruxelles et de Francfort.

  • 1. Voir " Adjustment Difficulties in the Gipsy Club ", par Daniel Gros, CEPS Working Document n° 326, mars 2010.

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