Idées

La fin du dumping fiscal n’est pas pour demain

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La réforme de l'impôt sur les sociétés élaborée par la Commission européenne préconise de mettre en place une assiette commune consolidée. Censé combattre la concurrence fiscale à laquelle se livrent les pays de l'Union, ce projet a été trop édulcoré et pourrait au final profiter surtout aux entreprises.

Le 16 mars dernier, Algirdas Semeta, commissaire européen en charge de la fiscalité, présentait un projet d’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (Accis). La fin de la concurrence entre Etats européens sur la fiscalité des bénéfices des entreprises est-elle en vue ? Rien n’est moins sûr.

Quel est l’enjeu ? Jusqu’à présent, les entreprises ont développé des stratégies complexes pour déplacer leurs bénéfices imposables des pays à taux élevés, comme la France ou l’Allemagne, vers les pays à taux faibles, comme l’Irlande, sapant au passage les recettes fiscales des premiers. Pour ce faire, les multinationales jouent notamment sur les prix de transfert entre leurs filiales. Ainsi, quand Renault fournit à ses usines françaises des moteurs produits en Espagne, le groupe automobile détermine un prix de vente interne. En le minorant ou en le majorant, il est possible de déplacer les bénéfices d’une filiale à une autre. Cette pratique est théoriquement interdite selon les règles de l’OCDE, le club des pays riches, mais de tels jeux d’écritures sont en fait très difficiles à prouver. Cette mécanique est au coeur du dumping fiscal entre Etats européens qui explique une part significative de la hausse de leur endettement.

Ce que changerait l’assiette commune consolidée

Harmoniser l’assiette

La proposition de la Commission consisterait, en premier lieu, à harmoniser le calcul du résultat fiscal, autrement dit, le bénéfice auquel est ensuite appliqué le taux d’imposition. C’est ce qu’on appelle l’assiette commune. Ce serait une évolution majeure : aujourd’hui, un même résultat comptable peut aboutir à autant de résultats fiscaux différents que de pays de l’Union, du fait de la disparité des règles en matière d’amortissement des actifs* et de déductibilité des différentes sortes de charges.

Avec l’assiette commune, ces règles aboutiraient à un calcul unique du résultat qui ferait disparaître les niches fiscales nationales. Avec pour conséquence un élargissement de l’assiette dans 25 des 27 pays de l’Union : pour ces 25 pays, à bénéfice comptable identique, le bénéfice imposable calculé suivant les règles de l’Accis serait plus élevé que celui calculé à partir des règles nationales actuellement en vigueur. Ainsi, pour la France, l’assiette de l’impôt sur les sociétés serait de 10 % supérieure dans ce nouveau cadre européen.

Consolider les bénéfices

Le projet de la Commission ne se limite cependant pas à une harmonisation de l’assiette fiscale. Il propose également de permettre aux groupes européens de consolider les bénéfices de l’ensemble de leurs filiales européennes : les entreprises pourraient ainsi compenser les profits de certaines filiales par les pertes d’autres. Par exemple, un groupe allemand qui perd de l’argent au niveau européen, mais dont les filiales françaises réalisent des profits, paie aujourd’hui des impôts en France sur ses bénéfices français. A l’avenir, cette entreprise aura la possibilité de déduire des bénéfices réalisés en France les pertes réalisées dans le reste de l’Europe et ainsi de ne plus payer d’impôt. Ce principe de consolidation fiscale est déjà en vigueur sur une base nationale dans de nombreux pays européens. Son extension permettrait cependant aux entreprises européennes d’économiser jusqu’à 1,3 milliard d’euros d’impôt annuellement, selon les estimations de la Commission européenne.

Pour autant, la Commission européenne ne propose pas de transformer l’impôt sur les sociétés en un impôt européen. Le bénéfice consolidé, calculé au niveau européen, serait ensuite réparti entre les différents pays de l’Union selon trois critères : la localisation des salariés de l’entreprise, la localisation des immobilisations corporelles (les bâtiments, les machines que l’entreprise possède) et la localisation des ventes. Chaque Etat appliquerait alors son propre taux d’imposition à la quote-part des bénéfices issue de ce calcul.

La Commission n’a pas prévu en effet de coupler l’Accis à une harmonisation des taux ou, tout du moins, à la fixation d’un taux minimal, comme cela existe pour la TVA. Ces clés de répartition présentent cependant l’avantage sur la situation actuelle de pouvoir difficilement être manipulées par les entreprises. La mécanique des prix de transfert destinée à déplacer les bénéfices des multinationales deviendrait en effet inopérante dès lors que le résultat fiscal est calculé en additionnant le résultat de l’ensemble des filiales au niveau européen. Il deviendrait donc impossible de modifier la localisation des bénéfices vers les pays à faible taux d’imposition à partir de simples jeux d’écritures.

Un régime optionnel

L’application de tels critères devrait toutefois faire des gagnants et des perdants : les grands pays (la France, l’Allemagne et l’Italie) verraient leur assiette fiscale augmenter aux dépens des Pays-Bas, du Danemark ou encore de la Finlande. Les Etats qui affichent aujourd’hui des taux d’impôt sur les sociétés plus élevés pourraient tirer profit d’une telle consolidation de l’assiette fiscale.

La Commission va cependant devoir convaincre tous les pays d’approuver cette proposition, y compris ceux qui devraient être perdants, car l’unanimité est requise en matière fiscale. Or, pour ménager les Etats opposés à toute forme d’harmonisation fiscale, Irlande en tête, la Commission a fait perdre une grande partie de l’intérêt d’une telle réforme pour les Etats qui souhaitent mettre fin au moins-disant fiscal. En effet, l’Accis ne sera qu’un régime optionnel. Autrement dit, les entreprises resteront libres de calculer leur résultat fiscal sur une base consolidée ou non. Dès lors, seules celles susceptibles de payer moins d’impôt sur les sociétés grâce au nouveau régime l’adopteraient.

De plus, comme la Commission européenne rejette toujours toute harmonisation du taux de l’impôt sur les sociétés, l’impact de la mesure sur le rendement global de l’impôt sur les sociétés au niveau européen risque fort d’être négatif. D’autant que l’Accis n’empêchera pas les multinationales de continuer à délocaliser, grâce aux prix de transfert, une partie de leurs bénéfices vers des territoires à la fiscalité clémente situés hors de l’Union européenne, comme certains cantons suisses.

En l’état, les entreprises pourraient donc être les principales gagnantes du projet de la Commission. BusinessEurope, le syndicat patronal européen, ne s’y est pas trompé : il approuve, par la voix de son directeur général, la proposition de la Commission... à condition que l’Accis reste bien optionnelle et n’aboutisse pas à une harmonisation des taux.

* Amortissement

En comptabilité, désigne l'étalement dans le temps d'une dépense relative à l'acquisition d'un actif dont la durée d'utilisation est supérieure à l'exercice.

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