Idées

Les salariés et la gestion de l’entreprise

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Avec le droit de regard octroyé aux comités d'entreprise en 1946, la mise en place des délégués syndicaux en 1968 et les textes des années 1980 sur les compétences des élus du personnel, les salariés français sont consultés sur la gestion des entreprises. Mais il faut aller plus loin.

Les syndicats n’ont été reconnus officiellement en France qu’en 1884. Mais ils ont dû encore attendre cinquante ans pour acquérir droit de cité dans les entreprises. C’est en effet seulement en 1936 qu’est créée, avec les délégués du personnel (DP), la première institution représentative du personnel. Des comités d’entreprise (CE) seront institués en 1945 dans les entreprises d’au moins 50 salariés. Et les syndicats ne seront reconnus en tant que tels dans l’entreprise qu’en 1968, avec la mise en place de délégués syndicaux (DS). Dans les années 1980, d’autres textes préciseront et élargiront les compétences des élus du personnel.

Les salariés peuvent donc désormais s’organiser à l’intérieur des entreprises. Mais pour quoi faire ? En 1946, la loi Croizat donne notamment au CE un droit de regard sur la gestion de l’entreprise, au grand dam du patronat. Cette loi divise cependant aussi les syndicats. Au départ, la CGT est réticente à l’égard des CE, craignant que leurs élus ne tombent dans la collaboration de classe. Pour elle, la gestion, c’est l’affaire de la direction, et l’ouvrier n’a que deux préoccupations : le salaire et les conditions de travail. Mais une partie du mouvement ouvrier, notamment la majorité de la CFTC, qui deviendra la CFDT en décembre 1964, cherche à accéder à l’information afin de pouvoir discuter, voire contester, les décisions de la direction. Ce ne sont pas tant les syndicats en tant que tels qui se sont vus reconnaître un droit de regard sur la gestion des entreprises que les représentants élus du personnel. Les syndicats sont cependant présents indirectement, puisqu’une grande majorité des représentants du personnel sont élus sur listes syndicales.

Consultés au CE

Le CE est l’instance principale où s’exerce ce droit de regard des salariés sur la gestion : la loi prévoit notamment que le CE doit recevoir les mêmes informations économiques et financières que les actionnaires et être consulté sur la politique de l’entreprise. Dans plusieurs cas prévus par le code du travail, et notamment les plans sociaux, il doit obligatoirement se prononcer par un vote. Son avis reste cependant uniquement consultatif et c’est l’employeur qui décide en dernier ressort, ce qui provoque une certaine frustration chez les élus.

Le rôle du CE n’est toutefois pas négligeable. Il peut améliorer la qualité des décisions en apportant " l’intelligence des travailleurs à la réflexion sur la marche de l’entreprise " (Ambroise Croizat), à condition que chacun joue son rôle. L’employeur est tenu d’informer le CE en toute transparence, ce qui est loin d’être toujours le cas, et de leur côté, les élus doivent être attentifs et exigeants sur la qualité de l’information. Lorsque se dessine un plan social ou une grosse réorganisation, le CE a notamment le droit de recourir à un expert aux frais de l’employeur, ce qui lui donne des moyens significatifs pour apprécier de façon indépendante la stratégie de la direction.

Un pied au conseil d’administration

Le CE reste cependant une instance purement consultative. C’est, en théorie du moins, au sein du conseil d’administration (CA) que se prennent les décisions stratégiques dans les entreprises. Ces conseils ont longtemps été le domaine réservé des représentants du capital. En 1983, une loi a toutefois fait entrer les représentants des salariés dans le CA des sociétés contrôlées par l’état, nombreuses à l’époque. Cette possibilité a été étendue en 1986 aux sociétés anonymes privées, mesure qui servira surtout à sauver quelques postes d’administrateurs salariés lors des privatisations. Par ailleurs, dans de nombreuses entreprises, les salariés sont aussi actionnaires de leur société, et lorsqu’ils détiennent plus de 3 % du capital, ils ont le droit d’être représentés au CA.

Présence des représentants du personnel dans les établissements de plus de 20 salariés en 2004-2005

Habituellement, le CA intervient peu dans les affaires courantes sur lesquelles la compétence et les connaissances des équipes dirigeantes sont très supérieures à celles des administrateurs. Ces derniers s’intéressent surtout aux résultats financiers, à la gouvernance, à l’éthique, ainsi qu’aux grandes manoeuvres stratégiques : fusions-acquisitions, cessions, diversifications. Cette tendance est renforcée par la loi, qui impose un quota de 33 % à 50 % d’administrateurs " indépendants ", n’ayant aucun lien avec l’entreprise. La présence de salariés est cependant susceptible d’apporter une connaissance du terrain et le point de vue des travailleurs sur des problèmes ignorés par les autres administrateurs. Ils peuvent ainsi exercer un contrôle plus efficace de l’action des dirigeants (raison pour laquelle ceux-ci ne sont généralement pas favorables à une telle présence). Vis-à-vis des salariés, les administrateurs salariés se trouvent cependant dans une position délicate : ils doivent informer leurs mandants sur la situation économique de l’entreprise, tout en étant soumis à une obligation de réserve sur la teneur des débats du CA.

Encore plus d’implication ?

Faudrait-il aller plus loin et donner, comme en Allemagne (voir encadré), un pouvoir de codétermination aux CE ? Ils ne seraient plus simplement consultés, mais devraient donner leur accord explicite pour un certain nombre de décisions. Faudrait-il imposer aussi, comme en Allemagne, la présence en nombre significatif de représentants des salariés au sein des CA ? Même si les causes en sont nombreuses, il y a des raisons de penser que la plus forte implication des salariés dans la gestion des entreprises est un des facteurs qui expliquent la puissance industrielle de nos voisins. De plus, au moment où il est beaucoup question de convergence entre la France et l’Allemagne, cela indiquerait l’émergence d’un gouvernement d’entreprise à l’européenne alternatif à la corporate governance anglo-saxonne au service des seuls actionnaires.

Zoom La codétermination allemande

En Allemagne, toutes les sociétés de capitaux de plus de 500 salariés sont dotées d’un conseil de surveillance où les représentants des salariés disposent obligatoirement d’un tiers des sièges dans les entreprises ayant moins de 2 000 salariés, et de la moitié au-delà. Ce conseil doit valider toutes les décisions stratégiques, par exemple en cas de restructuration. Il dispose donc de pouvoirs importants, même si le dernier mot revient aux actionnaires, dont les représentants élisent le président du conseil, qui a le pouvoir de trancher en cas de partage des voix.

Chaque établissement employant au moins cinq personnes dispose aussi obligatoirement d’un conseil d’entreprise, le Betriebsrat : tous ses membres sont élus par les salariés et il dispose de pouvoirs importants. Aucune décision portant sur la gestion collective du personnel ne peut être prise sans son accord formel. Pour les questions d’organisation de l’établissement et de la production, son avis est obligatoire...

Néanmoins les organisations syndicales françaises sont réticentes à l’idée de mettre davantage les mains dans le cambouis de la gestion des entreprises. Cela leur donnerait en effet la lourde responsabilité de devoir approuver telle ou telle fermeture d’usine ou, au contraire, celle de risquer de plomber l’entreprise en empêchant telle ou telle restructuration nécessaire. Autrement dit, un changement de culture majeur.

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