SMIC : fallait-il donner un coup de pouce ?

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Après cinq ans de stagnation du Smic, un coup de pouce était nécessaire. Mais il ne pouvait qu'être limité.

Le Smic stagne depuis cinq ans

Le pouvoir d’achat des salariés au Smic n’a pratiquement pas augmenté depuis 2007. En juin 2012, avant la hausse de 2 % applicable au 1er juillet, le Smic, qui est un salaire horaire brut, s’élevait à 9,22 euros. Une fois les cotisations sociales salariales déduites, le salarié concerné percevait 7,25 euros nets. Cinq ans auparavant, le Smic brut était de 8,27 euros, soit 6,50 euros nets. En cinq ans, la hausse a donc été de 11,5 % (en euros courants, c’est-à-dire y compris la hausse des prix), quasiment la même évolution que celle de l’indice des prix à la consommation durant la même période (+ 10,5 %). C’est la première fois que le pouvoir d’achat du Smic est quasiment stagnant depuis sa création en 1970, date à laquelle il a succédé au salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig).

Cette stagnation tient à deux causes. Tout d’abord le pouvoir d’achat du salaire horaire de base ouvrier (SHBO) a lui-même très peu augmenté durant toute cette période : entre le 1er trimestre 2007 et le 4e trimestre 2011, la hausse du pouvoir d’achat de ce salaire horaire a été de 2 %. Or, le Smic est indexé non seulement sur l’indice des prix, mais aussi sur la moitié de l’augmentation du SHBO. D’où la très faible progression du pouvoir d’achat du Smic (+ 1 % en cinq ans), quasi imperceptible pour les intéressés.

C’est là que joue la deuxième cause : le gouvernement a la possibilité de donner des " coups de pouce ", après avis d’un " groupe d’experts ". Estimant que cette pratique aboutissait à substituer une décision administrative à la négociation salariale de branche ou d’entreprise, les experts en question, dans leurs rapports successifs, ont toujours estimé jusqu’ici qu’il n’y avait pas lieu de pratiquer le moindre " coup de pouce ". Dans leur dernier rapport (décembre 2011), ils écrivent que " le niveau actuel du chômage, les problèmes de compétitivité de l’économie française, enfin, bien sûr, le niveau relatif élevé du Smic militent pour une évolution de ce dernier qui ne dépasse pas, après indexation sur les prix, la moitié du pouvoir d’achat, si celui-ci est positif, du salaire horaire de base ouvrier ". En d’autres termes, laissons la négociation seule décider des évolutions de carrière, et que le Smic joue seulement le rôle de voiture-balai. Le gouvernement Fillon a avalisé cette position.

Quelle hausse ?

Faute de coup de pouce au Smic, les écarts entre le haut et le bas de la hiérarchie salariale tendent inéluctablement à se creuser. Ce qui va à l’encontre des dispositions du code du travail : " Les relèvements annuels successifs du salaire minimum de croissance doivent tendre à éliminer toute distorsion durable entre sa progression et l’évolution des conditions économiques générales et des revenus " (article 3231-9). Certes, en période de crise, comme actuellement, la quasi-totalité des salariés en sont réduits à la portion congrue, comme en témoignent tous les indices de salaires de base.

Les 35 heures ont également joué un rôle dans ce domaine. En effet, les salariés payés au Smic sont présents surtout dans des petites entreprises et dans des branches où les évolutions de productivité sont faibles : services à la personne, restauration, services sociaux... Dans ces entreprises, ni les réductions de cotisations sociales ni les gains de productivité (quasi inexistants) n’ont pu absorber le surcoût horaire lié aux 35 heures. Aussi, les autorités publiques, depuis 2005, ont-elles choisi de ne pas aller au-delà de l’obligation minimale prévue par la loi. Avec, pour conséquence, un creusement de l’écart entre les salariés du bas de l’échelle et les autres. Tout cela plaide donc plutôt pour un " coup de pouce " cette année.

Reste à savoir jusqu’où aller. Certains vont assez loin, exigeant 1 700 euros mensuels brut (+ 300 euros, soit + 21 % par rapport à la situation actuelle), voire 1 700 euros nets (+ 600 euros, soit + 42 %). De tels montants sont peut-être socialement justes, mais ils sont économiquement intenables : certes, ils se traduiraient sur le plan macroéconomique par une forte augmentation de la demande, mais sur le plan microéconomique, ils engendreraient quantité de suppressions d’emplois (par fermeture d’entreprises ou licenciements) et une hausse des prix dommageable dans un pays qui n’a pas de pouvoir sur le taux de change de sa monnaie. Quoi qu’en pensent certains, les marges de manoeuvre sont limitées dans ce domaine, à la fois en raison de la concurrence européenne, de la faiblesse des marges de la grande majorité des entreprises et du contexte de crise.

En outre, substituer une décision publique à la négociation d’entreprise ou de branche (via la fixation de la grille des salaires minimums conventionnels selon les qualifications et leur évolution dans le temps) n’est pas forcément favorable aux salariés, car cela affaiblit d’autant l’intérêt d’une présence syndicale active et d’une négociation sur les carrières salariales. Dans le cas allemand, par exemple, l’absence de salaire minimum fixé par l’Etat contribue sans doute à la syndicalisation dans les entreprises, puisque ce sont alors les syndicats qui négocient les hausses de salaires et les carrières salariales. Enfin, croire que l’on peut améliorer le pouvoir d’achat dans le bas de l’échelle par une hausse du Smic est assez illusoire. Car ce bas de l’échelle est essentiellement composé de salariés à temps partiel ou temporaires (intérim, CDD) : leur problème n’est pas tant le salaire horaire que le nombre d’heures travaillées, souvz ent trop faible pour échapper à la pauvreté. Pour eux, la solution ne serait pas tant l’augmentation du Smic que plutôt la revalorisation du " RSA activité ".

Que Faire ?

Un rattrapage du Smic est sans doute nécessaire, mais il ne peut être que d’un montant faible, à la fois pour des raisons conjoncturelles (ne pas aggraver les difficultés des entreprises qui emploient des salariés au Smic) et structurelles (ne pas substituer le Smic à la négociation comme mode normal de régulation des salaires). En revanche, il convient d’inciter les entreprises à assurer à leurs salariés des évolutions de carrière acceptables : un salarié au Smic sur quatre est présent dans l’entreprise depuis au moins dix ans, et se trouve toujours scotché au minimum salarial.

Part des salariés concernés par les relèvements du Smic, en %

La bonne solution serait que leur rémunération évolue comme leur compétence professionnelle, donc avec un dispositif d’ancienneté leur assurant que leur salaire horaire décolle du Smic dans un délai déterminé. La loi impose aux entreprises une négociation annuelle sur les salaires, mais elle ne vaut que pour les entreprises dotées d’un délégué syndical, ce qui, de fait, exclut les entreprises de moins de 50 salariés, qui sont justement celles où se trouve la majorité des salariés rémunérés au Smic. C’est donc au niveau de la branche que devraient être prévues et chiffrées des évolutions de carrière. L’Etat dispose, sur ce point, d’une " arme atomique " : conditionner les allégements de cotisations sociales (accordés jusqu’à 1,6 fois le Smic) pour une même branche au fait que la convention collective prévoit ce type d’évolution.

Seul ce mélange de dispositifs publics et de relations professionnelles peut aujourd’hui permettre de porter remède aux rémunérations insuffisantes dans le bas de l’échelle. A défaut d’y parvenir, l’action par le Smic, avec un retour aux " anciennes " pratiques - évolution légale majorée par des coups de pouce plus ou moins réguliers pour assurer que l’évolution totale ne se traduise pas par une accentuation des inégalités dans le bas de l’échelle - redeviendra nécessaire.

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