Dossier

La lutte contre les inégalités

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Elitiste et inégalitaire, le système éducatif français doit revoir sa copie et s'attacher à mener à la réussite le plus grand nombre d'élèves.

Si l’on en croit le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa), qui évalue le niveau scolaire des enfants de 15 ans dans 65 pays, l’école française est particulièrement élitiste et inégalitaire. Elitiste, car les premiers de la classe y sont choyés, quitte à laisser beaucoup d’autres élèves sur le bord du chemin. Selon Pisa, le système scolaire français cherche à tirer les meilleurs vers le haut, plutôt que d’élever le niveau de l’ensemble des élèves en assurant la réussite de tous. La dernière livraison de cette enquête internationale (en 2009) a montré par exemple que l’écart de performance en lecture entre les élèves les plus forts et les plus faibles est plus élevé en France que dans la plupart des autres pays. Et ce fossé se creuse, alors qu’il a tendance à se réduire, en moyenne, dans l’OCDE.

Il est aussi très inégalitaire, car l’origine sociale des élèves pèse lourdement sur leurs résultats scolaires. Les enfants issus d’un milieu favorisé s’en sortent bien mieux que leurs camarades de classe socialement défavorisés. Une injustice plus exacerbée en France qu’ailleurs : les différences de milieu familial y expliquent 28 % des disparités de performances entre élèves, contre 22 % en moyenne au sein de l’OCDE, 19 % en Finlande ou 16 % au Canada. Là encore, la situation s’aggrave : en 2002, en France, un enfant d’enseignant avait 14 fois plus de chances de décrocher le bac qu’un enfant d’ouvrier non qualifié, contre "seulement" 9 fois plus en 1996.

Un effet amplificateur

Il est donc urgent d’inverser cette tendance. Pour des raisons de justice sociale mais aussi d’efficacité. Car les deux vont souvent de pair : les pays où le niveau moyen est le plus élevé sont aussi ceux où l’influence du milieu social pèse le moins sur le destin scolaire des élèves.

Zoom Combien de décrocheurs ?

La figure du décrocheur, ce jeune qui quitte le système éducatif sans qualification, est devenue le symbole des manquements de l’école. Mais combien sont-ils ? Si l’on s’en tient à une définition stricte, un peu plus de 40 000 jeunes sortent, chaque année, du système éducatif sans qualification, en abandonnant le collège ou une première année de CAP ou de BEP. C’est en effet la classe fréquentée qui compte et non le diplôme que l’on a raté. Si l’on est en terminale et que l’on échoue au bac, on est certes sans diplôme, mais on n’est pas sans qualification pour autant.

Ces 40 000 jeunes non qualifiés représentent 5 % des élèves d’une même génération. C’est beaucoup moins qu’en 1975, où les sorties sans qualification représentaient un quart d’une classe d’âge. Sur longue période, le niveau s’est donc nettement élevé. Et les élèves en difficulté scolaire interrompent leurs études plus tard qu’avant.

Mais, entre-temps, la structure et le contenu des emplois ont, eux aussi, subi de profondes transformations. Il y a quarante ans, il était possible de s’insérer "sur le tas", même si on avait échoué à l’école. Aujourd’hui, dans tous les métiers, y compris les moins qualifiés, le niveau d’exigence a augmenté.

Et le diplôme joue un rôle de plus en plus déterminant. C’est pourquoi les projecteurs se braquent désormais aussi sur les non-diplômés, dont le nombre reste très important : selon l’Insee, 120 000 personnes seraient concernées chaque année, soit 17 % des jeunes sortis de formation initiale en 2010. Même si une partie d’entre eux sont qualifiés, ils rencontreront de sérieuses difficultés d’insertion sur un marché du travail bien plus sélectif que celui des années 1970.

Bien sûr, l’école n’est pas seule en cause. Elle s’inscrit dans une société elle-même inégalitaire. Face à la ségrégation urbaine ou au chômage de masse, elle n’a que des marges de manoeuvre limitées . Mais le système éducatif porte tout de même sa part de responsabilité. Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, les moyens sont mal répartis : on donne plus à ceux qui ont le plus, en privilégiant notamment l’enseignement secondaire et les filières qui mènent aux grandes écoles. Ensuite, l’obsession française du classement et de la notation met en concurrence les élèves dès le plus jeune âge et alimente un climat de compétition peu propice à l’épanouissement des enfants. Même chose pour le redoublement, mesure très prisée en France alors qu’elle renforce les difficultés scolaires plus qu’elle ne les résout, démotive les élèves et touche plus fréquemment les enfants issus de milieux populaires.

Enfin, l’orientation de plus en plus précoce dans certaines filières pénalise davantage les catégories défavorisées, car cette différenciation des cursus est socialement très marquée. Le collège unique, créé en 1975, est en effet de plus en plus éclaté entre différents types d’établissements (collèges communs, internats d’excellence, établissements de réinsertion scolaire) et différentes sections (préprofessionnelles, classes européennes, à horaires aménagés musique ou bilangue). De fait, un tri s’opère entre élèves alors que les classes de niveau sont en principe interdites depuis 1975.

Proportion de bacheliers d’une génération, selon la catégorie sociale des parents, en %

Trente-sept ans après sa création, le collège unique reste donc un projet encore inabouti. Et la tentation de faire machine arrière trouve régulièrement de nouveaux partisans, y compris dans le milieu éducatif. Le précédent gouvernement ne cachait d’ailleurs pas sa volonté de mettre fin à un collège unique accusé de ne pas avoir tenu ses promesses. D’autres pays, comme le Canada et les pays scandinaves, sont pourtant parvenus à l’imposer et ils y ont gagné : les inégalités scolaires y sont moins prononcées que chez nous et les enquêtes Pisa montrent que les résultats scolaires y sont plutôt meilleurs dans l’ensemble. Mais, pour suivre cet exemple, il faudrait que l’Education nationale s’occupe moins de trier les gagnants et les perdants de la compétition scolaire que d’amener le plus grand nombre d’élèves à la réussite.

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