Faut-il taxer davantage les retraités ?

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Le gouvernement veut faire contribuer les retraités aux efforts de redressement des comptes de la Sécu. Pour être juste, cette mesure devra cibler les plus aisés d'entre eux.

Quels sont leurs avantages ?

Le gouvernement a inscrit dans le projet de loi de finances de la Sécurité sociale une nouvelle taxe portant sur les pensions des 10 millions de retraités (sur 15 millions) soumis à l’impôt sur le revenu ou seulement à la taxe d’habitation. Ceux-ci se verraient ainsi imposer une contribution de 0,15 % en 2013, puis de 0,30 % en 2014, pour des recettes globales attendues de 350 millions d’euros l’année prochaine. Cette mesure, destinée à financer la dépendance, alignerait du même coup les retraités sur les salariés, qui s’acquittent déjà d’une taxe de 0,30 % à cet effet. Pour certains, une telle taxe mettrait fin à l’un des nombreux privilèges dont bénéficient les retraités. Mais ceux-ci sont-ils réellement des privilégiés ?

Les 15 millions de retraités français ont perçu en moyenne une pension brute de 1 216 euros en 2010. Par comparaison, le sort des salariés paraît plus enviable : le salaire mensuel net moyen en équivalent temps plein se situait la même année entre 2 000 euros dans le privé et 2 100 euros dans le public. Mais si l’on s’intéresse au niveau de vie moyen, qui englobe les revenus financiers et immobiliers et tient compte des personnes à charge, les retraités, avec 1 912 euros par mois, talonnent les actifs de plus de 18 ans (2 005 euros) et dépassent la moyenne de l’ensemble de la population (1 882 euros).

En outre, ils possèdent un patrimoine plus important que les actifs : les 60-69 ans affichent en moyenne 359 000 euros de patrimoine, contre 188 000 pour les 30-39 ans, 292 000 pour les 40-49 ans et 334 600 pour les 50-59 ans. Les retraités sont notamment plus souvent propriétaires de leur logement. Si l’on tient compte du revenu implicite lié à cette situation, c’est-à-dire la somme qu’ils devraient débourser pour payer leur loyer s’ils n’étaient pas propriétaires, le revenu réel des retraités concernés devrait être réévalué de 15 à 20 %.

Ces derniers bénéficient par ailleurs d’avantages fiscaux que les actifs n’ont pas ou qui se justifient plus difficilement dans leur cas. Les plus de 65 ans disposent d’un abattement de 10 % sur les pensions soumises à l’impôt sur le revenu. Certes, cet abattement existe aussi pour les actifs, mais il est justifié normalement par la prise en compte forfaitaire de frais professionnels, un argument qui n’a plus de sens concernant les retraités. En outre, ceux-ci bénéficient d’un taux de CSG inférieur à celui des actifs : 6,6 % pour les assujettis à l’impôt sur le revenu et 3,8 % pour les autres, contre 7,5 % pour les actifs.

Sont-ils tous privilégiés ?

Cette image d’Epinal de retraités bien lotis doit toutefois être sérieusement nuancée. Tout d’abord, la hausse du niveau moyen des pensions versées ralentit sérieusement. Elle n’a été que de 1,9 % en 2010 par rapport à 2009, contre 3,4 % entre 2007 et 2008 ou encore 3,2 % entre 2006 et 2007. La moitié de la hausse constatée entre 2009 et 2010 est due aux revalorisations annuelles légales et l’autre moitié à "l’effet de noria" : les retraités qui décèdent étant remplacés par des retraités ayant eu des carrières salariales souvent plus favorables, le niveau moyen des pensions est mécaniquement orienté à la hausse. Mais corrigée de l’inflation, cette augmentation n’est plus que de 0,2 %. De plus, l’effet de noria commence à s’émousser : la pension moyenne des retraités qui ont eu 66 ans en 2010 a diminué pour la première fois très légèrement en euros constants par rapport à leurs homologues de 2009, du fait notamment de l’arrivée croissante à la retraite de personnes ayant eu des carrières incomplètes.

A quoi il faut ajouter que les moyennes cachent d’importants écarts. En 2010, selon Eurostat, les 20 % les mieux lotis des retraités percevaient des revenus 4,5 fois supérieurs à ceux des 20 % les plus modestes, un quasi-record au sein de l’Union européenne. Sur les 15 millions de retraités, 600 000 émargent au minimum vieillesse, devenu allocation de solidarité aux personnes âgées (actuellement 777 euros par mois pour une personne seule) et ne sont donc assurément pas privilégiés.

Les situations de pauvreté monétaire commencent d’ailleurs à se multiplier de nouveau chez les plus âgés : si le taux de pauvreté 1 des plus de 65 ans reste inférieur à la moyenne nationale en 2010 (7,5 %), il a bondi de 2,5 % en 2008 à 4,6 % en 2010, et celui des plus de 75 ans de 2,8 % à 5,2 %. Par ailleurs, les inégalités entre hommes et femmes sont particulièrement prononcées : si la pension moyenne brute s’élevait à 1 216 euros en 2010, elle était de 1 552 euros pour les hommes, contre 899 euros pour les femmes. En outre, il faut distinguer entre les "jeunes" retraités (65-74 ans) qui ont beaucoup cotisé et les "vieux" retraités (plus de 75 ans) dont le niveau de vie est souvent plus faible.

Difficile dans ces conditions de qualifier de privilégiés les retraités dans leur ensemble. En réalité, les inégalités intragénérationnelles sont, comme toujours, plus importantes que les inégalités intergénérationnelles.

En outre, la situation des retraités risque fort de se détériorer dans les années qui viennent du fait du durcissement des conditions d’accès à une retraite à taux plein et de la dégradation prévisible des taux de remplacement*. La situation actuelle des retraités est encore pour l’essentiel le reflet des règles du passé et de carrières salariales entamées dans leur majorité entre 1950 et 1970, c’est-à-dire dans une conjoncture économique favorable. Il n’en sera pas de même pour ceux qui arriveront à la retraite dans les vingt ans qui viennent : ils auront commencé à travailler plus tard que leurs aînés du fait d’études souvent plus longues, auront connu des carrières professionnelles plus accidentées dues à la montée du chômage et seront soumis à des règles d’accès à une retraite à taux plein beaucoup plus sévères par suite de réformes successives.

Que faire ?

Faut-il pour autant mettre tous les retraités à l’abri des efforts en ces temps de disette budgétaire ? Non, mais il convient de cibler ces efforts et de ne pas considérer ce groupe comme une catégorie homogène. Passé un certain niveau de revenus, certains des avantages fiscaux dont ils bénéficient aujourd’hui ne sont pas nécessairement justifiés. C’est le cas notamment pour l’abattement de 10 % qui pourrait être légitimement revu à la baisse pour les retraités aisés. Idem pour le taux de CSG à 6,6 %, qu’il ne serait pas illégitime de porter au même niveau que pour les actifs (7,5 %) passé un certain seuil de revenu. Quant à la taxe de 0,3 % que veut imposer le gouvernement pour financer la dépendance, elle pourrait épargner les 2,5 millions de retraités aux revenus modestes qui acquittent une CSG à 3,8 %, comme l’a récemment proposé Gérard Bapt, le rapporteur socialiste au budget de la Sécurité sociale.

Réformer en tenant compte des inégalités entre retraités

Par ailleurs, si l’on veut limiter les inégalités de patrimoine entre les générations tout en renflouant les caisses de l’Etat, d’autres mesures peuvent être envisagées. Du fait de l’allongement de l’espérance de vie, les actifs n’héritent pas aujourd’hui avant l’âge de 50 ans en moyenne, soit une dizaine d’années avant de prendre leur retraite. Pas forcément au moment où ce patrimoine pourrait aider à financer des projets productifs comme des créations d’entreprises, par exemple. Si l’on veut qu’il en soit autrement, il faut une incitation forte aux donations anticipées. Pour ce faire, il faudrait que les droits de mutation à titre gratuit soient sensiblement plus avantageux sur les donations que sur les successions. Le gouvernement a relevé ces droits en réduisant les abattements en ligne directe. Il pourrait durcir davantage encore sa politique sur les successions sans modifier sa politique sur les donations entre vifs. En favorisant davantage ces dernières, ce dispositif lui permettrait d’encaisser rapidement de précieuses recettes.

  • 1. On prend ici le taux de pauvreté mesuré à 50 % du revenu médian, c’est-à-dire celui qui divise la population en deux parties égales.
* Taux de remplacement

Rapport entre la pension touchée par le retraité et son revenu lorsqu'il était en activité.

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