Hollande ou la politique de l’écartèlement

5 min

Pour sortir la France de la crise, le gouvernement a fixé pas moins de quatre caps différents, malheureusement opposés.

Selon les légendes antiques, un seul regard dans les yeux de la gorgone Méduse suffisait à être changé en pierre. C’est sûrement pour éviter d’être pétrifié par un face-à-face trop intense avec l’austérité budgétaire (ou avec les yeux d’Angela Merkel !) qu’en six mois de pouvoir le président de la République a choisi de fixer pas moins de quatre caps différents à sa politique économique. Malheureusement pour l’économie française, ce sont des caps opposés. De quoi mécontenter tout le monde, y compris les agences de notation, et susciter l’incompréhension. Car il est désormais bien difficile de s’y retrouver.

Austérité ou emploi ?

Après son arrivée au pouvoir en mai dernier, François Hollande a effectué ses premiers choix de politique économique en cherchant à courir deux lièvres à la fois : d’un côté, l’austérité, de l’autre, le soutien à l’emploi. Côté austérité, le collectif budgétaire a mis l’accent sur la volonté de ramener le déficit public à 3 % dès 2013 et à zéro à la fin du quinquennat. Comme l’a rappelé le président de la République lors de sa conférence de presse du 13 novembre, ce choix lui était dicté par les engagements européens de la France et par le regard des marchés financiers. C’est ce qui l’a conduit à "demander à Jean-Marc Ayrault de mener à marche forcée le rétablissement des comptes publics". Outre un programme de maîtrise des dépenses publiques, cela s’est essentiellement traduit par une hausse des impôts sur les entreprises et sur les ménages les plus aisés pour que, dans cette "marche forcée", les plus riches portent les sacs les plus lourds. Une stratégie baptisée "rigueur juste".

Mais le Président a voulu montrer dans le même temps qu’il n’oubliait pas l’emploi et le soutien de la demande. Il a donc contribué à réorienter partiellement le débat européen en faveur de la croissance lors du sommet de juin 2012. Il a accepté une légère revalorisation du Smic et de l’allocation de rentrée scolaire. Et il a poussé à la mise en oeuvre effective des emplois d’avenir et des contrats de génération. De son côté, le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, a engagé la bataille avec les entreprises pour qu’elles limitent leurs licenciements et, sans afficher un succès total, il a obtenu quelques concessions importantes (Sanofi...).

Au total, les conséquences macroéconomiques de toutes ces mesures sont sans ambiguïtés : avec un cheval d’austérité et deux alouettes de soutien à l’emploi, l’overdose de rigueur menace l’économie française d’une récession en 2013, avec un taux de chômage de l’ordre de 11 % 1. Et au bout du compte, la probabilité d’un déficit budgétaire plutôt de l’ordre de 3,5 %, voire plus, tant les effets négatifs de la politique économique sur la croissance contribuent à plomber l’activité et l’emploi, et donc les recettes fiscales nécessaires au redressement des comptes publics. C’est l’une des raisons avancées par Moody’s le 19 novembre pour dégrader la note de la France.

Les ménages ou les entreprises ?

Puis, les annonces gouvernementales de novembre ont ouvert un nouveau chantier de politique économique. Cette fois avec un seul objectif, le renforcement de la compétitivité des entreprises, mais en écornant la rigueur juste par une redistribution en faveur des entreprises. En effet, le Premier ministre a annoncé un crédit d’impôt aux entreprises de 20 milliards d’euros sur trois ans, y compris pour celles qui ne font pas de profits, et centré sur les salaires jusqu’à 2,5 Smic. Or, cette diminution du coût du travail brouille, trois fois plutôt qu’une, la politique économique suivie jusqu’à présent.

D’abord, elle remet en cause l’objectif de redressement des comptes publics en offrant des baisses d’impôts. Alors que le Président demande un effort historique à la nation pour maîtriser les déficits, voilà qu’une catégorie de contribuables se voit accorder, sans condition, l’avantage d’une réduction de son effort fiscal.

Ce cadeau condamne alors le gouvernement à annoncer un effort supplémentaire de 10 milliards d’euros de diminution des dépenses publiques à partir de 2014. Au moment même où les études du Fonds monétaire international (FMI) montrent qu’augmenter les impôts est beaucoup moins inégalitaire que de baisser les dépenses en période de réduction des déficits 2. Enfin, cette dimension inégalitaire est renforcée par l’annonce d’une augmentation de la TVA, c’est-à-dire par un transfert de richesse des ménages vers les entreprises. Un véritable choix politique : on aurait pu réduire le coût du travail par un transfert entre les différents impôts payés par les entreprises - moins de taxes sur les salaires et plus de fiscalité écologique, ou bien en trouvant le moyen de diminuer les coûts dans l’industrie pour les augmenter dans les services, la contribution de ces derniers au financement de la protection sociale étant inférieure à leur part dans la richesse nationale produite 3.

Zoom Mini-mesures contre la fraude fiscale

Le gouvernement a annoncé le 14 novembre dernier quelques mesures techniques pointues pour renforcer la lutte contre la fraude et l’optimisation fiscale. On y trouve notamment une plus grande contrainte pour les particuliers soupçonnés de fraude de dévoiler l’origine des sommes non déclarées placées à l’étranger. Et une volonté de pouvoir mieux surveiller les entreprises qui veulent transférer leur siège à l’étranger.

Est-ce le signe d’un renforcement de la dimension de justice sociale des politiques suivies ? Le gouvernement en attend un milliard d’euros de recettes supplémentaires, alors que les redressements notifiés en 2010 et 2011 sont de l’ordre de 16 milliards. C’est dire la modestie de l’effort entrepris... Pour espérer mieux, il faudra donc attendre l’an prochain et le plan national de lutte contre la fraude promis par le gouvernement.

Le gouvernement se défend en faisant valoir que ce "pacte de compétitivité" est cohérent avec son objectif de défense de l’emploi. Il estime en effet que sa décision d’octroyer ces allégements d’impôts aux entreprises se traduira par une baisse du coût du travail de 6 %, qui permettra l’embauche de 300 000 personnes. Ces estimations semblent malheureusement avoir oublié de tenir compte de l’impact macroéconomique que provoqueront la baisse des dépenses et la hausse de la TVA. Une fois ce "bouclage macroéconomique" réalisé, le niveau des créations d’emplois devrait être moitié moindre.

Les objectifs divergents de la politique économique

Au final, la politique économique de François Hollande part dans quatre directions à la fois : l’austérité, l’emploi, la redistribution aux entreprises (rebaptisée "socialisme de l’offre") et la justice sociale. On peut se rassurer en se disant qu’avant le changement de majorité survenu en mai-juin derniers, on avait l’austérité, l’injustice sociale et le libéralisme de l’offre. Mais les cordes actuelles de l’austérité et des cadeaux fiscaux aux entreprises sont malheureusement nettement plus grosses. Cela ne peut conduire qu’à un seul résultat : l’écartèlement. Avec le risque de déchirer un peu plus le corps social.

  • 1. Sur tous ces éléments, voir "Rigueur : l’overdose", Alternatives Economiques n° 317, octobre 2012, disponible dans nos archives en ligne.
  • 2. Voir Fiscal Monitor, annexe 1, FMI, octobre 2012.
  • 3. Voir "Protection sociale : un financement problématique", par Guillaume Duval, Alternatives Economiques n° 318, novembre 2012, disponible dans nos archives en ligne.

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !
Sur le même sujet