Zone euro : la crise est toujours là

6 min

Alors que les pays du sud de l'Europe s'enfoncent toujours plus dans la récession et le chômage de masse, la France et l'Allemagne subissent à leur tour un net ralentissement de l'activité.

Savoir où va la France dépend plus que jamais de savoir où va l’Europe. Avec l’annonce d’un programme de rachats de titres de dettes des pays en difficulté, la Banque centrale européenne (BCE) a apaisé les craintes d’une explosion à court terme de la zone euro. Mais le - relatif - calme revenu depuis sur les marchés financiers est trompeur. Le crédit n’est pas reparti, les taux d’intérêt restent trop élevés dans les pays en crise et ceux-ci continuent de subir des niveaux de chômage et de perte de revenus socialement et politiquement insupportables. Et le coeur de la zone euro lui-même, la France et l’Allemagne, entre à son tour dans les turbulences.

Taux d’intérêt à 10 ans, en %
Flux mensuel de crédit au secteur privé, en milliards d’euros

En annonçant fin juillet sa volonté d’intervenir sur les marchés des dettes publiques, puis en lançant en septembre le programme des Outright Monetary Transactions (OMT), le président de la BCE a sauvé la mise à la zone euro. Sans même que la BCE intervienne effectivement, les taux d’intérêt sur la dette de l’Espagne et de l’Italie se sont nettement détendus. Au point que le gouvernement espagnol est tenté désormais de ne pas demander officiellement d’aide européenne, avec son cortège humiliant de conditions. Mais si les anticipations spéculatives d’explosion de la zone euro ont été cassées, rien n’est réglé pour autant. Avec un taux de croissance nominal (y compris l’inflation) de - 1,2 % pour l’Espagne et de - 0,9 % pour l’Italie, le niveau des taux d’intérêt (qui se situent autour de 5 %) imposé par les marchés financiers reste prohibitif pour ces pays*. De plus, malgré les 1 000 milliards d’euros prêtés pour trois ans aux banques au début de l’année, malgré le taux d’intérêt à court terme de la BCE rabaissé à 0,75 % en juillet dernier alors que l’inflation se situe toujours à 2,5 %, malgré l’annonce des OMT, le crédit n’est pas reparti en Europe : en septembre, dernier mois connu, les acteurs privés se sont au contraire désendettés, selon les chiffres de la BCE.

Toujours en récession

Les pays en crise restent, en dehors de l’Irlande, solidement ancrés dans la récession, même si la Commission européenne prévoit que son rythme devrait ralentir un peu l’an prochain. L’ensemble Irlande, Grèce, Portugal, Chypre, Slovénie, Espagne et Italie compte déjà 10,9 millions de chômeurs, plus de deux fois plus qu’en 2008. La Commission européenne en prévoit encore 600 000 supplémentaires l’an prochain. Les optimistes considèrent néanmoins que la saignée opérée depuis 2010 commence à produire ses effets. La preuve ? Les déficits extérieurs des pays en crise se réduisent fortement : le déficit de la balance courante de l’ensemble des pays mentionnés précédemment a été ramené de 230 milliards d’euros en 2008 à 60 milliards cette année et devrait revenir à 20 milliards l’an prochain, selon la Commission européenne. Mais c’est surtout un effet de la chute de leurs importations (- 14 % depuis 2008) liée à leur appauvrissement bien plus que le résultat d’une remontée de leurs exportations (+ 3 % seulement, trois fois moins que pour les exportations allemandes...). En outre, l’évolution des prix montre que rien n’est réglé pour ces pays : sauf en Grèce, malgré la baisse des salaires et des transferts sociaux, le niveau d’inflation reste partout supérieur à ce qu’il est en Allemagne ou en France. Preuve que ce n’est pas tant du côté des salariés, des chômeurs et des retraités que des patrons qu’il faut chercher les rigidités qui handicapent ces pays... De plus, le chômage de longue durée est une plaie qui appauvrit durablement un pays en déqualifiant progressivement une part significative de sa population. Quant aux mouvements migratoires qui s’accélèrent - les jeunes Grecs, Portugais, Espagnols, Italiens... qui vont tenter leur chance en Allemagne -, ils vident les pays en crise de leur main-d’oeuvre la plus qualifiée et la plus entreprenante, contribuant ainsi à les priver de toute possibilité de rebond.

Touchée au coeur

Mais le plus inquiétant concerne le coeur de la zone - la France et l’Allemagne -, dont la bonne résistance avait permis jusqu’ici de limiter l’impact de la crise des pays périphériques. Du fait de la rigueur imposée par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault , la France sera, derrière la Grèce et l’Espagne, le pays de la zone qui serrera le plus la vis budgétaire l’an prochain. Or, jusqu’ici, les consommateurs français avaient été en quelque sorte les consommateurs en dernier ressort de la zone euro : depuis janvier 2008, les volumes vendus dans le commerce de détail ont baissé, selon Eurostat, de 35 % en Grèce, de 25 % en Espagne, de 16 % au Portugal et de 7 % en Italie. Ils n’ont pas bougé en Allemagne mais... ils ont augmenté de 9 % en France. Cette bonne tenue de la consommation française entretient un lien étroit avec le creusement des déficits extérieurs 1, mais en attendant, c’est elle qui a évité à la zone euro de sombrer. Qu’en sera-t-il l’an prochain ? On risque d’assister à un repli sensible de cette consommation, aggravant ainsi non seulement les difficultés de l’économie française mais aussi celles de l’ensemble de la zone. Avec potentiellement comme conséquence une hausse des taux d’intérêt sur la dette française, les investisseurs constatant que la France rejoint à son tour le groupe des pays incapables de maintenir le niveau d’activité de leur économie.

Zone euro : la dégradation se poursuit
Les Français, consommateurs en dernier ressort

Pour ne rien arranger, l’économie allemande entre elle aussi dans une zone de turbulences. Jusqu’à maintenant, elle avait tiré profit de la crise, grâce à des taux d’intérêt très bas et à la baisse de l’euro vis-à-vis du dollar qui avait dopé ses exportations hors zone euro, compensant ainsi les débouchés perdus au sein de celle-ci 2. Mais cette époque se termine : au lieu des 3 % de croissance de l’an dernier, l’économie allemande ne devrait se contenter que de 0,8 % cette année, et encore avec une fin d’année à zéro. Et l’an prochain ne s’annonce guère mieux : la Commission européenne prévoit même une hausse du chômage allemand pour la première fois depuis 2005. Le ralentissement chinois et les incertitudes américaines ont grippé les exportations tandis que la crise européenne a bloqué l’investissement.

Quelles vont être les conséquences de ce ralentissement sur l’opinion allemande ? Jusqu’ici, la bonne santé de leur économie avait poussé les dirigeants allemands à exiger des autres une austérité budgétaire excessive. Il serait toutefois hasardeux de penser que les difficultés de nos voisins pourraient les inciter à desserrer l’étau qui étouffe l’économie européenne. Cela risque au contraire de les pousser, d’une part, à être plus réticents encore à aider les Etats en crise et, d’autre part, à considérer qu’eux-mêmes devraient se serrer davantage la ceinture. Auquel cas la crise européenne serait puissamment relancée... Passez de bonnes fêtes quand même.

  • 1. Voir "Le travail coûte-t-il trop cher ?", Alternatives Economiques n° 318, novembre 2012, disponible dans nos archives en ligne.
  • 2. Voir "Pourquoi on ne s’en sort pas", Alternatives Economiques n° 316, septembre 2012, disponible dans nos archives en ligne.
* Dynamique de la dette

La dynamique d'endettement d'un pays dépend en premier lieu de la différence entre le taux d'intérêt sur sa dette et le taux de croissance nominal (y compris l'inflation) du produit intérieur brut. Quand le taux d'intérêt est supérieur au taux de croissance, cela signifie en effet qu'il faut verser aux créanciers davantage que le supplément de richesse qu'on a été capable de produire. Autrement dit, ces intérêts contribuent à vous appauvrir encore plus.

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !