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Les Etats-providence font de la résistance

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Une étude montre que, au moins jusqu'en 2010, les systèmes de protection sociale ne se sont pas significativement détériorés en Europe. Mais tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne.

Les Français sont fiers. Et pas seulement de leurs vins et de leurs fromages. La protection sociale figure également en bonne place dans le palmarès des réalisations dont ils aiment bien se targuer. Certains en déplorent le coût. D’autres se félicitent du rôle qu’elle joue pour réduire les inégalités. Mais la plupart sont convaincus qu’elle est l’une des "meilleures du monde". Est-ce si sûr ? Une récente étude publiée par le Cepremap, le Centre pour la recherche économique et ses applications, permet de mieux situer ses performances dans le concert européen.

Des politiques sociales passées au crible

Un peu partout, l’Etat-providence est réputé en crise. En cause : le mouvement de réformes néolibérales qui secoue les pays occidentaux depuis les années 1980, dans la foulée des thérapies de choc infligées par Margaret Thatcher au Royaume-Uni et par Ronald Reagan aux Etats-Unis. Mais aussi à cause des contraintes budgétaires : sous le coup d’un endettement jugé excessif, les Etats se verraient obligés de tailler dans leurs dépenses sociales. Egalement au banc des accusés : l’élargissement de l’Union européenne à 27, qui serait source de dumping social. Et la liste ne s’arrête pas là : le vieillissement démographique menacerait le financement du système de retraite ; la crainte "d’attirer toute la misère du monde" pousserait les gouvernements à revoir à la baisse leurs ambitions sociales ; la précarisation du marché du travail alourdirait les dépenses et limiterait les ressources de la protection sociale. Bref, l’Etat-providence, inventé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ne serait plus en adéquation avec le monde tel qu’il est aujourd’hui. Mais, là encore, en est-on certain ?

Zoom Performance ou efficacité ?

Dans leur étude, les auteurs parlent de performance. A ne pas confondre avec l’efficacité. Dans le premier cas, on s’intéresse aux résultats obtenus. Dans le second, on essaye de déterminer les facteurs qui peuvent expliquer ces résultats. Une relation de cause à effet qu’il n’est pas possible de mettre à jour à l’échelle d’un Etat, selon les auteurs. Dans le cas de la politique sociale, la relation entre résultats et dépenses n’est pas évidente. D’autres facteurs jouent un rôle crucial : les valeurs familiales, les habitudes de vie...

Entendons-nous bien : certaines de ces menaces sont bien réelles. Reste à savoir dans quelle mesure cela affaiblit les Etats-providence. Sont-ils vraiment moins performants qu’auparavant ? Jusque-là, aucun étalon satisfaisant ne permettait de mesurer la qualité d’un système de protection sociale, ni de comparer sa performance avec celle d’autres pays. Une lacune que les économistes Mathieu Lefebvre et Pierre Pestieau ont tenté de combler.

Pour arriver à leurs fins, ils ont compilé la batterie de données de cinq indicateurs censés incarner le mieux les missions d’un Etat-providence. Il s’agit du taux de pauvreté monétaire, des inégalités de revenu entre les 25 % des salariés les mieux payés et les 25 % les moins bien payés, du taux de chômage de longue durée, du taux de décrochage scolaire et, enfin, de l’espérance de vie à la naissance. De quoi donner une idée de l’impact des politiques de santé, d’éducation, de lutte contre la précarité ou de soutien à l’emploi des différents Etats européens. Même si les retraites n’entrent pas en compte dans cette évaluation, alors qu’elles représentent une part importante des dépenses sociales des Etats.

Qu’en ressort-il ? L’Autriche affiche la meilleure performance pour le chômage, les Pays-Bas pour la pauvreté, la Suède pour l’égalité, tandis que le Luxembourg tient le haut du pavé pour l’éducation et l’Espagne pour la santé. En revanche, c’est l’Espagne qui est la moins bien notée pour l’égalité, le chômage et la pauvreté, tandis que le Portugal se retrouve en queue de peloton pour l’éducation et le Danemark pour la santé. La France, quant à elle, se trouve au-dessus de la moyenne pour l’ensemble des indicateurs (voir tableau).

Pour savoir quel est le pays qui a, au total, la protection sociale la plus performante, les auteurs ont construit un indice synthétique qui agrège ces différents indicateurs en affectant à chacun la même pondération dans l’ensemble 1, sur le modèle de ce que font les Nations unies avec l’indice de développement humain (IDH). Résultat : la France se classe au sixième rang de l’Union européenne à 15, devant le Danemark, la Belgique et l’Allemagne, reléguée à la 9e place alors que c’est dans ce pays que l’Etat-providence a été inventé. Au sommet, on retrouve les pays nordiques, les Pays-Bas et l’Autriche. La Grèce, le Portugal, l’Espagne et le Royaume-Uni sont les moins performants.

Phénomène de rattrapage en Europe

Ce palmarès livre une photographie de la performance des Etats-providence en 2010. Mais cela ne nous dit pas si les politiques redistributives des différents pays ont pâti, ou non, de la concurrence fiscale et du dumping social qui séviraient en Europe. Pour en avoir le coeur net, les auteurs ont analysé l’évolution de leur indicateur sur quinze ans, entre 1995 et 2010. Or, non seulement l’inclusion sociale* a augmenté dans la plupart des pays, mais ce sont ceux qui étaient au départ les moins bien classés qui ont connu la progression la plus significative, tels que le Portugal, l’Espagne et l’Irlande.

Ce n’est donc pas une fuite en avant vers un moins-disant social que l’on observe, mais bien un phénomène de rattrapage. "Cette convergence est sans nul doute étonnante, pointent les auteurs. Il ne se passe pas un jour où la presse ne relate pas de nouvelles concernant les délocalisations d’entreprises, l’afflux d’immigrés clandestins ou légaux, la présence de plombiers polonais ou de serveurs marocains." Le déclin annoncé n’a pourtant pas eu lieu. Du moins selon les données utilisées dans cette étude, et ce jusqu’en 2010 : "ce résultat est rassurant, même s’il pourrait ne pas se confirmer dans le futur, étant donné les difficultés financières et budgétaires que nos pays traversent", prennent soin de préciser les auteurs.

Classement des pays de l’Union européenne à 15 entre 1995 et 2010

Même chose avec l’élargissement de l’Union européenne à 27 réalisé entre 2004 et 2007. Le score moyen de l’indice d’inclusion sociale de l’Union ne chute pas de manière radicale. Tout simplement parce que certains nouveaux entrants se portent bien (comme la Slovaquie ou la République tchèque), tandis que d’autres, comme les pays baltes, la Bulgarie et la Roumanie, cumulent les difficultés. En moyenne, la qualité de la protection sociale européenne ne s’est donc pas détériorée significativement. Malgré cette convergence, il existe toutefois des différences notables entre les Etats. A quoi sont-elles dues ? Trois facteurs contribuent à expliquer ces variations : le produit intérieur brut (PIB) par habitant, la part des dépenses publiques dans le PIB et le taux de dépendance (c’est-à-dire la fraction de jeunes de 14 ans et moins, et de personnes âgées de 65 ans et plus dans la population).

Classement des pays de l’Union européenne à 15 selon leur performance mesurée par cinq indicateurs

Au final, cette étude permet de tordre le cou à un certain nombre d’idées reçues. "En dépit de la mondialisation, on n’a pas observé jusqu’à présent de réduction tant dans les dépenses sociales que dans la performance des Etats-providence", avancent Mathieu Lefebvre et Pierre Pestieau. Pas sûr, néanmoins, que ce constat résiste au tournant de l’austérité généralisée dans lequel l’Europe vient de s’engouffrer.

  • 1. Ils ont construit un second indice plus élaboré permettant de donner la mesure de l’effort à réaliser pour être parmi les premiers de la classe. Le classement diffère légèrement entre ces deux indicateurs, mais ils sont assez bien corrélés.
* Inclusion sociale

Processus qui garantit aux personnes en danger de pauvreté et d'exclusion les possibilités et les ressources nécessaires pour participer pleinement à la vie économique, sociale et culturelle, ainsi qu'un niveau de vie et de bien-être considéré comme normal dans leur société, selon la définition qu'en donne la Commission européenne.

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