Que veut le Qatar ?
L'émirat investit en France et en Europe afin de diversifier son économie et d'accroître son poids diplomatique.
Les investissements qataris dans le football hexagonal ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Le Qatar est aussi présent à des niveaux importants au capital des plus grandes entreprises françaises. Et ce n’est pas fini. Peu après avoir confirmé la création d’un fonds de soutien aux PME françaises dans les territoires en difficulté, le Qatar a annoncé en novembre dernier un investissement supplémentaire de 10 milliards d’euros dans de grandes entreprises françaises. Une présence qui suscite des polémiques : le député UMP Lionnel Luca a même réclamé la création d’une commission d’enquête parlementaire. Faut-il avoir peur du Qatar ? Si les investissements de l’émirat en France sont significatifs, ils sont loin d’être exclusifs. En outre, ce petit Etat fragile du Golfe persique veut surtout trouver des alliés pour se protéger tout en préparant son économie au choc relativement proche de l’après-pétrole. Des préoccupations qui ne paraissent pas illégitimes.
Une question de fonds
La méfiance à l’égard du Qatar s’est accrue en 2011, lorsque, sollicité notamment par l’Association nationale des élus locaux pour la diversité (Aneld), l’émir de ce micro-Etat du Golfe persique a proposé un financement de 50 millions d’euros destinés aux banlieues en difficulté, au risque d’empiéter sur les prérogatives des pouvoirs publics hexagonaux dans ces territoires.
Ce projet avait finalement été enterré mais Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif, vient d’annoncer la création d’un fonds d’investissement de 300 millions d’euros, dont 150 millions proviendraient de l’émirat et le reste de l’Etat, de la Caisse des dépôts et consignations, mais aussi éventuellement d’autres investisseurs privés. Ces fonds seraient destinés à des PME à la fois en banlieue et dans les zones rurales défavorisées, selon des critères définis par l’Etat et la Caisse des dépôts, qui sélectionneraient les bénéficiaires, en lien avec la future Banque publique d’investissement.
Les 10 milliards d’euros d’investissements supplémentaires annoncés par ailleurs par le Qatar seront mis en oeuvre par le principal fonds souverain* qatari, le Qatar Investment Authority, ou une de ses filiales, comme la compagnie d’assurance Doha Insurance Company.
Via la Qatar Investment Authority, l’émirat est déjà actionnaire de Lagardère (12 % du capital), Vinci (7 %), Veolia (5 %), Total (3 %), Vivendi (3 %) et LVMH (1 %). Il a par ailleurs procédé à des acquisitions symboliques très visibles comme le rachat du club de foot de la capitale, le Paris-Saint-Germain, en 2011. A cela s’ajoutent de nombreux achats dans l’hôtellerie et l’immobilier. Ces initiatives ont été favorisées par un accord d’investissement bilatéral conclu en 1990 qui, comme pour d’autres financeurs importants, est assorti d’avantages fiscaux spécifiques.
Mais cette stratégie qatarie est loin d’être exclusivement ciblée sur l’Hexagone. La Qatar Investment Authority investit également au Royaume-Uni (avec des participations connues dans Four Seasons Healthcare, Barclays, le London Stock Exchange, Sainsbury), en Allemagne (Volkswagen, Porsche, Siemens), mais aussi en Suisse, en Espagne et au Portugal. Hors de l’Europe, l’Asie (la Chine en particulier) et l’Amérique latine sont aussi des destinations privilégiées. "Londres et Paris, précise toutefois Francis Perrin, directeur de la publication de Stratégies et politiques énergétiques, représentent environ 80 % des investissements immobiliers du Qatar." Quant aux investissements industriels en Europe, ils se concentrent surtout en France et en Allemagne.
Business diplomacy
Cette stratégie qatarie est liée à la volonté de préparer l’après-pétrole (voir encadré). Mais elle comporte aussi des arrière-pensées plus politiques. Plus qu’un supposé prosélytisme islamiste, souvent redouté en France, l’émirat a surtout comme objectif d’accroître son soft power, sa puissance douce, comme on dit, pour limiter sa forte vulnérabilité démographique, militaire et stratégique. Sa diplomatie est, rappelons-le, très conciliante vis-à-vis de l’Occident. En attestent l’organisation de nombreux forums économiques internationaux à Doha, mais aussi l’installation en 2002 sur son sol de la plus grande base militaire américaine au Moyen-Orient. Lors de l’intervention de l’Otan en Libye en 2011, sa participation militaire (5 000 hommes) a amené une "caution arabe" à l’opération et une aide de 400 millions de dollars a été versée aux rebelles Libyens. Au Liban et au Soudan, il a allié investissements financiers et médiation active dans ces conflits. Après avoir soutenu les révolutions tunisienne et égyptienne, notamment à travers la chaîne de télévision Al-Jazeera qu’il contrôle, le Qatar apporte aujourd’hui une aide financière à ces deux pays et poursuit le dialogue avec les islamistes "modérés" des Frères musulmans en Egypte et d’Ennahda en Tunisie.
Son rapprochement récent avec le Hamas palestinien s’inscrit dans la même veine de realpolitik pour contrecarrer l’influence iranienne. Un objectif que poursuit également l’émirat en soutenant activement l’opposition syrienne.Coincé entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, le Qatar serait en effet en première ligne en cas de conflit régional. L’un des ses principaux objectifs par cette diplomatie active est donc en grande partie de se rendre indispensable aux grandes puissances.
Fonds appartenant à un Etat et investi à l'étranger dans des actifs diversifiés