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Que veut le Qatar ?

4 min

L'émirat investit en France et en Europe afin de diversifier son économie et d'accroître son poids diplomatique.

Les investissements qataris dans le football hexagonal ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Le Qatar est aussi présent à des niveaux importants au capital des plus grandes entreprises françaises. Et ce n’est pas fini. Peu après avoir confirmé la création d’un fonds de soutien aux PME françaises dans les territoires en difficulté, le Qatar a annoncé en novembre dernier un investissement supplémentaire de 10 milliards d’euros dans de grandes entreprises françaises. Une présence qui suscite des polémiques : le député UMP Lionnel Luca a même réclamé la création d’une commission d’enquête parlementaire. Faut-il avoir peur du Qatar ? Si les investissements de l’émirat en France sont significatifs, ils sont loin d’être exclusifs. En outre, ce petit Etat fragile du Golfe persique veut surtout trouver des alliés pour se protéger tout en préparant son économie au choc relativement proche de l’après-pétrole. Des préoccupations qui ne paraissent pas illégitimes.

Une question de fonds

La méfiance à l’égard du Qatar s’est accrue en 2011, lorsque, sollicité notamment par l’Association nationale des élus locaux pour la diversité (Aneld), l’émir de ce micro-Etat du Golfe persique a proposé un financement de 50 millions d’euros destinés aux banlieues en difficulté, au risque d’empiéter sur les prérogatives des pouvoirs publics hexagonaux dans ces territoires.

Fonds souverains : le Qatar n’est pas le premier

Ce projet avait finalement été enterré mais Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif, vient d’annoncer la création d’un fonds d’investissement de 300 millions d’euros, dont 150 millions proviendraient de l’émirat et le reste de l’Etat, de la Caisse des dépôts et consignations, mais aussi éventuellement d’autres investisseurs privés. Ces fonds seraient destinés à des PME à la fois en banlieue et dans les zones rurales défavorisées, selon des critères définis par l’Etat et la Caisse des dépôts, qui sélectionneraient les bénéficiaires, en lien avec la future Banque publique d’investissement.

Les 10 milliards d’euros d’investissements supplémentaires annoncés par ailleurs par le Qatar seront mis en oeuvre par le principal fonds souverain* qatari, le Qatar Investment Authority, ou une de ses filiales, comme la compagnie d’assurance Doha Insurance Company.

Via la Qatar Investment Authority, l’émirat est déjà actionnaire de Lagardère (12 % du capital), Vinci (7 %), Veolia (5 %), Total (3 %), Vivendi (3 %) et LVMH (1 %). Il a par ailleurs procédé à des acquisitions symboliques très visibles comme le rachat du club de foot de la capitale, le Paris-Saint-Germain, en 2011. A cela s’ajoutent de nombreux achats dans l’hôtellerie et l’immobilier. Ces initiatives ont été favorisées par un accord d’investissement bilatéral conclu en 1990 qui, comme pour d’autres financeurs importants, est assorti d’avantages fiscaux spécifiques.

Mais cette stratégie qatarie est loin d’être exclusivement ciblée sur l’Hexagone. La Qatar Investment Authority investit également au Royaume-Uni (avec des participations connues dans Four Seasons Healthcare, Barclays, le London Stock Exchange, Sainsbury), en Allemagne (Volkswagen, Porsche, Siemens), mais aussi en Suisse, en Espagne et au Portugal. Hors de l’Europe, l’Asie (la Chine en particulier) et l’Amérique latine sont aussi des destinations privilégiées. "Londres et Paris, précise toutefois Francis Perrin, directeur de la publication de Stratégies et politiques énergétiques, représentent environ 80 % des investissements immobiliers du Qatar." Quant aux investissements industriels en Europe, ils se concentrent surtout en France et en Allemagne.

Business diplomacy

Cette stratégie qatarie est liée à la volonté de préparer l’après-pétrole (voir encadré). Mais elle comporte aussi des arrière-pensées plus politiques. Plus qu’un supposé prosélytisme islamiste, souvent redouté en France, l’émirat a surtout comme objectif d’accroître son soft power, sa puissance douce, comme on dit, pour limiter sa forte vulnérabilité démographique, militaire et stratégique. Sa diplomatie est, rappelons-le, très conciliante vis-à-vis de l’Occident. En attestent l’organisation de nombreux forums économiques internationaux à Doha, mais aussi l’installation en 2002 sur son sol de la plus grande base militaire américaine au Moyen-Orient. Lors de l’intervention de l’Otan en Libye en 2011, sa participation militaire (5 000 hommes) a amené une "caution arabe" à l’opération et une aide de 400 millions de dollars a été versée aux rebelles Libyens. Au Liban et au Soudan, il a allié investissements financiers et médiation active dans ces conflits. Après avoir soutenu les révolutions tunisienne et égyptienne, notamment à travers la chaîne de télévision Al-Jazeera qu’il contrôle, le Qatar apporte aujourd’hui une aide financière à ces deux pays et poursuit le dialogue avec les islamistes "modérés" des Frères musulmans en Egypte et d’Ennahda en Tunisie.

Zoom Préparer l’après-pétrole

Comme l’ensemble des pays producteurs d’hydrocarbures, le Qatar a bénéficié de la hausse spectaculaire des prix du pétrole et du gaz intervenue depuis le début des années 2000. Son produit intérieur brut (PIB) atteignait ainsi 173 milliards de dollars en 2011, d’après la Banque mondiale. Avec un taux de croissance de 20 %, un revenu par habitant de 80 440 dollars, et un taux de chômage nul, le Qatar est donc l’un des pays les plus riches du monde (aux côtés du Lichtenstein, du Luxembourg et de la Norvège). Mais la taille de son économie demeure très restreinte. Ce petit émirat de 11 400 kilomètres carrés (moins étendu que l’Ile-de-France), qui détient les troisièmes réserves mondiales de gaz, après la Russie et l’Iran, ne compte en effet que 1,8 million d’habitants, dont seulement 250 000 nationaux 1. Comme les autres pétromonarchies du Conseil de coopération du Golfe (Bahreïn, Koweït, Oman, Arabie Saoudite, Emirats arabes unis), le Qatar est donc obligé d’investir massivement ses revenus à l’étranger. A long terme, il s’agit aussi de se donner les moyens de diversifier son économie pour préparer l’après-pétrole. Le fonds souverain Qatar Investment Authority a été créé en 2005 dans ces perspectives.

Les revenus des hydrocarbures représentent aujourd’hui 80 % des recettes extérieures et 60 % des revenus de l’Etat. Mais le Qatar s’est doté d’un plan de développement économique très ambitieux, National Vision 2030. La diversification commence par des activités très intensives en énergie, comme la pétrochimie, les engrais, l’aluminium, la métallurgie, la sidérurgie... Autant de secteurs qui peuvent représenter - outre le marché de l’armement déjà investi par les entreprises françaises -, des débouchés intéressants pour les grands groupes hexagonaux, même si certains d’entre eux redoutent que les bonnes relations avec le Qatar agacent son grand rival, l’Arabie Saoudite.

  • 1. Et 200 000 francophones, qui lui ont valu en novembre le rang d’Etat associé à l’Organisation internationale de la francophonie.

Son rapprochement récent avec le Hamas palestinien s’inscrit dans la même veine de realpolitik pour contrecarrer l’influence iranienne. Un objectif que poursuit également l’émirat en soutenant activement l’opposition syrienne.Coincé entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, le Qatar serait en effet en première ligne en cas de conflit régional. L’un des ses principaux objectifs par cette diplomatie active est donc en grande partie de se rendre indispensable aux grandes puissances.

* Fonds souverain

Fonds appartenant à un Etat et investi à l'étranger dans des actifs diversifiés

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