Paris-banlieue et retour

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Les moyennes sont significatives, mais trompeuses : exemple concret avec les revenus des ménages habitant le long de la ligne 8 du métro parisien et du RER D.

On a l’habitude de présenter les inégalités de revenus à partir de grandes moyennes nationales, départementales ou communales. Mais ces moyennes peuvent cacher des disparités beaucoup plus grandes à l’échelle d’un quartier : en quelques centaines de mètres ou en quelques minutes de transport en commun, les inégalités peuvent être multipliées par cinq, voire par dix. De nombreuses grandes villes connaissent aujourd’hui un fort niveau de fragmentation sociale que les habitants perçoivent ou devinent. Ainsi Paris, l’une des villes les plus riches de France, est marquée par de très fortes inégalités, non seulement entre ses différents arrondissements, mais aussi à l’intérieur de ces arrondissements eux-mêmes. Il en va de même de sa banlieue immédiate.

C’est ce que montre la mesure des inégalités de revenus au niveau des Iris, c’est-à-dire des unités de recensement de l’Insee dans les grandes villes. Ces unités sont extrêmement fines, puisqu’elles découpent le territoire des grandes agglomérations en sous-ensembles de 500 à 2 000 foyers fiscaux, ce qui donne une vue très précise des disparités sociales qui caractérisent le tissu urbain. Pour illustrer ces écarts, nous avons analysé ces données pour les différentes stations de métro de la ligne 8, qui traverse une assez grande diversité de quartiers de Paris entre Balard, au sud-ouest et Créteil, au sud-est de la capitale, en passant par le centre. Même exercice le long de la ligne D du RER, qui s’étend, elle, de Creil au nord à Melun au sud (voir carte).

Balard-Créteil

C’est aux deux extrémités de la ligne 8 que le revenu médian* est le plus bas dans Paris intra-muros : 2 050 euros par mois à Balard et 2 160 euros par mois à Porte Dorée 1. Un tel niveau de vie reste cependant plus élevé que la moyenne nationale (1 610 euros par mois), même si le coût du logement très supérieur dans la capitale limite en réalité cet écart. Le revenu médian culmine sans surprise dans le très cossu 7e arrondissement de la capitale : 6 300 euros à Ecole militaire, soit deux fois plus qu’à La Motte-Picquet-Grenelle et à Latour-Maubourg, distantes pourtant d’une seule station, et trois fois plus qu’à Balard. Le contraste est également très fort entre Lourmel (3 475 euros) et Boucicaut (2 825), Daumesnil (3 100) et Ledru-Rollin (2 300), ou encore Invalides (4 025) et Richelieu-Drouot (2 900), des stations pourtant proches les unes des autres.

Ces moyennes cachent toutefois des écarts spectaculaires. Comme la plupart des grandes agglomérations hexagonales, Paris est en effet une ville de contrastes : alors que le rapport interdéciles** atteint 3,5 en moyenne à l’échelle nationale, il oscille entre 5,6 (Porte Dorée) et... 40,4 (Ecole militaire), soit de 1,6 à 11,5 fois plus que la moyenne nationale. La raison en est que le plafond de revenus des 10 % les plus pauvres est parfois inférieur à la moyenne nationale, tandis que le seuil de revenus à partir duquel on entre dans les 10 % les plus riches y est souvent très supérieur. Ainsi, en deux minutes de transport, le plafond du 1er décile peut passer de 540 euros par mois aux alentours de la station Balard (contre 866 euros en moyenne en France métropolitaine) à 1 190 euros à la station Lourmel. Dans le même temps, le seuil du dernier décile passe de 4 830 euros toujours à Balard (contre 3 025 euros en moyenne en France) à 9 000 euros à Lourmel. Sans surprise, les stations situées dans le 7e arrondissement et la plus riche partie du 15e accueillent les plus hauts revenus : le seuil du 9e décile s’élève à 11 900 euros à Latour-Maubourg (quasiment quatre fois le niveau national) et 10 000 euros à Commerce (plus de trois fois la moyenne nationale), contre 6 950 à Strasbourg-Saint-Denis ou encore 4 660 à Porte Dorée.

Un parcours jalonné d’inégalités

De manière moins intuitive, les plus bas revenus ne se concentrent pas seulement aux abords de la banlieue, mais aussi au coeur de la ville : le plafond du 1er décile se situe très bas à Grands boulevards, Bonne nouvelle, Bastille et Ledru-Rollin (entre 583 et 667 euros). Et ce n’est pas dans les beaux quartiers que les plus modestes disposent des revenus les plus élevés, mais dans des quartiers périphériques : Daumesnil (1 230), Montgallet (1 225), Lourmel (1 190).

De Goussainville à Combs-la-Ville

Les inégalités qui séparent les autres Franciliens sont-elles aussi importantes ? Si l’on fait le même exercice le long de la ligne D du RER 2, le revenu médian chute à 1 560 euros par mois autour de la gare de Saint-Denis (93) et à 1 650 autour de celle de Pierrefitte-Stains (93), contre 3 625 dans la belle banlieue de Combs-la-Ville (77) ou 3 440 autour de la gare de Yerres (91).

Sans surprise, le plafond du 1er décile tombe beaucoup plus bas que dans Paris intra- muros : 159 euros par mois seulement à proximité de la gare de Saint-Denis, 177 près de celle de Villeneuve-Saint-Georges (94) ou encore 326 près de celle de Garges-Sarcelles (95). Il monte cependant aussi plus haut que dans la capitale : 1 557 euros aux environs de la gare de Combs-la-Ville ou 1 564 à proximité de celle de Yerres.

Quant au seuil du 9e décile, il descend lui aussi plus bas que dans la capitale (3 698 euros à Saint-Denis, 3 890 à Garges-Sarcelles, 3 893 à Pierrefitte-Stains (93), mais ne monte jamais aussi haut que dans les arrondissements les plus privilégiés de Paris (7 106 euros à Combs-la-Ville, 6 980 à Brunoy, 6 722 à Montgeron-Crosne).

Au total, l’amplitude des inégalités mesurée par le rapport interdéciles est moins élevée en banlieue que dans Paris intra-muros : elle oscille entre 3,9 à Goussainville et 23,2 à Saint-Denis, mais reste plus élevée que la moyenne nationale (3,5). Les Iris les moins inégalitaires sont aussi souvent les plus riches : le ratio interdécile atteint 4 à Yerres, 4,6 à Combs-la-Ville, 5,5 à Brunoy. Des chiffres qui suggèrent que ces quartiers forment de véritables "ghettos dorés". Les plus grands écarts se trouvent parmi les Iris les plus défavorisées de la ligne (11,8 à Pierrefitte-Stains, 11,9 à Garges-Sarcelles, 22,7 à Villeneuve-Saint-Georges, 23,2 à Saint-Denis).

Autrement dit, si l’on en juge par ces deux échantillons, les contrastes locaux sont moins forts en banlieue qu’à Paris même. En outre, les écarts observés le long de la ligne D du RER s’étalent sur des distances géographiques plus importantes, puisque une demi-heure à trois quarts d’heure de transport séparent en moyenne les Iris les plus pauvres des Iris les plus riches de cette ligne de banlieue. Bref, Paris, plus encore que sa banlieue, offre un bel exemple de fragmentation du tissu urbain.

  • 1. Cette étude cherchant à mesurer les inégalités dans Paris intra-muros, on a laissé de côté les stations entre Porte Dorée et Créteil Préfecture.
  • 2. On se contente ici, pour l’essentiel, du tronçon de la ligne qui englobe les zones de desserte 1 à 4, soit de Goussainville à Combs-la-Ville.
* Revenu médian

Revenu qui partage en deux la population en emploi, une moitié gagne plus, l'autre moitié gagne moins.

** Rapport interdécile

Mesure classique des inégalités économiques. Le premier décile D1 est le niveau de revenu en dessous duquel sont les 10 % les plus pauvres. Le neuvième décile D9 est celui au-dessus duquel sont les 10 % du haut de l'échelle. Le rapport interdécile D9/D1 rapporte le neuvième décile au premier.

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