Le tourisme peut-il nous sauver ?

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Excédentaire et pourvoyeur d'emplois, le secteur touristique pourrait contrebalancer en partie le déclin de l'industrie. Mais cet excédent est fragile. Dans ce secteur aussi, la France doit améliorer son offre pour rester dans la course.

Le mois dernier, Louis Gallois a remis au gouvernement un rapport qui souligne l’ampleur de la désindustrialisation de l’économie française. Les mesures envisageables pour redresser la barre sont coûteuses et ne peuvent avoir, au mieux, un impact qu’à moyen terme. Ne vaudrait-il pas mieux finalement miser plutôt sur d’autres activités, comme le tourisme, pour rééquilibrer les comptes extérieurs du pays ? La France est certes bien placée dans ce domaine, mais ses performances sont moins flamboyantes qu’elles en ont l’air et les perspectives d’avenir sont peu assurées.

L’Hexagone est actuellement la première destination touristique mondiale, et ce depuis plus de trente ans. En 2011, 81 millions d’étrangers ont visité la France, un record absolu. Ces touristes ont passé au moins une nuit dans le pays (et moins d’un an). Si on y ajoute les étrangers qui sont venus pour une journée sans dormir dans l’Hexagone - appelés excursionnistes -, ce ne sont pas moins de 200 millions d’étrangers que le pays a accueillis l’an dernier. La France domine à première vue assez largement le palmarès : en 2010, elle avait accueilli 77 millions de touristes étrangers, contre 60 pour les Etats-Unis, son dauphin, 58 pour la Chine et 53 pour l’Espagne 1. Du coup, la ligne "voyages" de la balance des paiements constitue le premier poste d’excédents extérieurs : les recettes tirées du tourisme des étrangers venant en France se sont élevées à 39,2 milliards d’euros en 2011, dépassant de 7,5 milliards d’euros les dépenses des touristes français à l’étranger, même si cet excédent tend plutôt à se réduire.

Un million d’emplois directs

Il est difficile d’apprécier précisément l’impact du tourisme étranger sur l’emploi. Les effectifs des secteurs de l’hébergement et de la restauration sont par exemple comptés comme des emplois touristiques, alors que la clientèle française participe de façon déterminante à leur chiffre d’affaires. A l’inverse, les transports ne sont pas comptabilisés dans le secteur touristique, même pour partie. Ces incohérences ont conduit l’Organisation mondiale du tourisme à entreprendre une vaste refonte des comptes du secteur, dont les caractéristiques devraient être connues prochainement. En attendant, le Conseil national du tourisme retenait pour l’année 2008 le chiffre d’un million d’emplois directs et autant d’emplois indirects (pour un total de 27 millions d’emplois en France). Selon la même source, le secteur créerait à peu près 27 000 emplois de plus chaque année depuis dix ans.

Le tourisme requiert a priori un niveau de qualification relativement faible pour de nombreuses tâches, ce qui en fait un atout pour lutter contre le chômage parmi les personnes peu ou pas qualifiées. Mais le secteur monte de plus en plus en qualification au fur et à mesure que la concurrence mondiale oblige à améliorer la qualité de l’accueil en France. Cela passe notamment par une hausse du niveau en langues étrangères des professionnels du secteur.

Une illusion

Les perspectives offertes par le tourisme sont a priori d’autant plus intéressantes que sa croissance est forte à l’échelle mondiale. En 2011, 980 millions de touristes ont traversé la frontière de leur pays et, dès cette année, la barre symbolique du milliard sera franchie. Dans le même temps, les recettes du tourisme international ont dépassé pour la première fois en 2011 les 1 000 milliards de dollars. Cette dynamique mondiale se conjugue avec une évolution des taux de change a priori plus favorable à l’Europe et à la France ces dernières années. C’est en effet l’une des rares bonnes nouvelles associées à la crise de la zone euro : la monnaie unique tend plutôt à baisser par rapport au dollar et aux autres monnaies. Cette dépréciation favorise la venue des Britanniques, qui constituent la première clientèle étrangère, mais aussi des Américains qui, bien que peu nombreux, séjournent plus longtemps que leurs homologues européens et dépensent davantage. Cela dit, l’Italie et surtout l’Espagne, principal concurrent de la France, bénéficient tout autant de cette amélioration de la compétitivité-prix. De plus, il ne faut pas surestimer ce facteur : 65 % des visiteurs qui entrent en France viennent de la zone euro.

La bonne santé du tourisme mondial, conjuguée au leadership français en la matière, invite naturellement à miser sur le tourisme pour relancer l’économie tricolore. Pourtant de nombreux signaux invitent à la prudence. Les recettes liées au tourisme étranger ne pèsent tout d’abord que 1,8 % du produit intérieur brut (PIB) français, un pourcentage inférieur à l’Italie (1,9 %) et surtout à l’Espagne (3,6 %). Et l’excédent actuel (7,5 milliards d’euros en 2011) est sans commune mesure avec les déficits qui se sont creusés par ailleurs : 42 milliards sur les produits manufacturés et 62 milliards sur l’énergie l’an dernier. De plus, si l’Hexagone est bien le pays le plus visité au monde, c’est en partie parce que sont comptabilisés les voyageurs qui ne font que traverser le pays en dormant une seule nuit en France. Or, ils étaient 11 millions dans ce cas en 2008, selon l’Insee, en transit vers l’Espagne, l’Italie ou le Maghreb, ce qui relativise fortement les performances tricolores.

En 2008, les touristes ont passé en moyenne 6,7 nuits dans le pays, contre 9,4 jours en Espagne. Et ils ont dépensé 25 % de moins par jour que les touristes étrangers chez notre voisin d’outre-Pyrénées, selon le ministère de l’Economie. Ils ont notamment moins recours à l’hébergement hôtelier et préfèrent le camping, moins onéreux. Du coup, la France ne se classe plus qu’au 7e rang européen en termes de dépenses par touriste étranger.

Surmonter les handicaps

Par ailleurs, la position de la France dans le tourisme mondial s’érode sensiblement (voir graphique). Le parc hôtelier français, vieillissant, est souvent mis en cause. La légendaire arrogance tricolore en matière d’accueil et le niveau relativement faible des Français en langues étrangères sont aussi des handicaps fréquemment évoqués. Mais il y a aussi la montée en puissance des pays émergents, dans ce domaine également : la Chine devrait ravir la première place mondiale à la France d’ici à 2020, selon le Conseil national du tourisme.

Part des arrivées internationales par pays, de 1980 à 2011, en %

Lecture : en 1980, la France avait accueilli 10,5 % des touristes qui ont quitté leur pays pour plus d’une nuit. En 2011, la part est tombée à 8,1 %.

Part des arrivées internationales par pays, de 1980 à 2011, en %

Lecture : en 1980, la France avait accueilli 10,5 % des touristes qui ont quitté leur pays pour plus d’une nuit. En 2011, la part est tombée à 8,1 %.

Rien de très surprenant pour un pays de 1,3 milliard d’habitants, mais il est "indispensable de ne pas s’endormir sur les lauriers d’une place de première destination touristique mondiale en partie illusoire", estiment André Ferrand et Michel Bécot, deux sénateurs auteurs d’un rapport sur le sujet en 2011. Il faut considérer le tourisme comme un véritable secteur d’avenir pour le pays, ce qui n’est pas le cas encore pour une majorité des décideurs français. Les deux sénateurs estiment que "cette relative méconnaissance découle, sans doute, du fait que le tourisme est essentiellement une activité de services, implicitement considérée comme moins "noble" que des secteurs industriels "purs et durs"".

Recettes, dépenses et solde de la balance touristique, de 2000 à 2010, en milliards d’euros
Origine des touristes étrangers en France en 2011*, en %

Il y aurait pourtant beaucoup à faire : la France doit notamment améliorer sa politique de communication à l’international, en particulier vis-à-vis des pays émergents dont les ressortissants ne viennent que peu dans le pays (voir graphique). Pour y parvenir, l’Hexagone s’est doté en 2009 d’un nouvel opérateur public unique : Atout France. Reste cependant à lui attribuer un budget à la hauteur de la concurrence, notamment celle de la puissante Turespaña ibérique 2, qui disposait en 2010 d’un budget de 200 millions d’euros, contre 80 millions seulement pour Atout France.

Sans être la solution miracle à la désindustrialisation, le tourisme pourrait donc contribuer davantage à l’emploi et au rééquilibrage des comptes extérieurs du pays. Mais, dans ce domaine comme dans les autres, cela suppose un effort pour améliorer l’offre française.

  • 1. L’Organisation mondiale du tourisme n’a pas encore publié tous les résultats pour l’année 2011. 2010 reste donc la dernière année de référence.
  • 2. Voir "Analyse comparative des centres de profit des industries touristiques française et espagnole", DGCIS, janvier 2011 www.tourisme.gouv.fr).

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