Haute tension sur les tarifs de l’énergie

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Si le projet de loi sur la tarification progressive de l'énergie soulève de bonnes questions, il n'y répond qu'imparfaitement. Et son application s'avère très complexe.

C’était une des 60 promesses du candidat François Hollande : adopter une tari?cation progressive de l’eau, de l’électricité et du gaz pour garantir l’accès de tous à ces biens essentiels et inciter à une consommation responsable. C’est aussi le sens de la proposition de loi portée par le député socialiste François Brottes, déposée en septembre dernier. Après quelques déboires législatifs - et notamment son rejet par le Sénat fin octobre -, le texte devrait être adopté en décembre.

Ce projet de loi part d’un double constat. Tout d’abord, les charges énergétiques, notamment le chauffage, pèsent de manière insupportable sur le budget de 4 à 5 millions de ménages, et la précarité énergétique s’accroît. Les tarifs sociaux du gaz et de l’électricité, distribués avec parcimonie selon une procédure stigmatisante 1, n’ont pas été à la hauteur du problème. Il paraît donc nécessaire de réduire les factures de ces biens de première nécessité pour les ménages modestes. Mais le projet de loi reconnaît aussi que l’énergie est un bien rare qui va coûter de plus en plus cher et qu’il faut par conséquent la faire payer à son juste prix. Et même peut-être un peu plus, pour inciter les ménages et les entreprises à maîtriser davantage leur consommation, à réduire les gaspillages et à faire des investissements rentables d’économie d’énergie.

L’idée est donc de baisser le coût des premiers kilowattheures (kWh) consommés, nécessaires pour satisfaire les besoins élémentaires, et d’augmenter le prix des kWh "de confort" en imposant des malus sur les gaspillages : c’est le principe de la tarification progressive. Si l’idée est légitime et ambitieuse, c’est dans sa mise en oeuvre que les ennuis commencent. Elle risque en effet de se transformer en une véritable usine à gaz.

Des difficultés de mise en oeuvre

Tout d’abord, il s’agit de quantifier la consommation indispensable, normale et superflue. Or, la consommation d’un ménage dépend de multiples facteurs : le nombre de personnes, la taille du logement, sa localisation géographique, le mode de chauffage... L’application de la tarification progressive suppose donc la mise en place d’un énorme appareil statistique, tirant ses informations des fichiers des impôts, des fournisseurs d’énergie, des propriétaires, des locataires, etc. Difficile à réaliser en deux ans, comme le prévoit le texte de loi.

La deuxième difficulté vient de la répartition des responsabilités et des charges entre propriétaires et locataires. Si un ménage modeste vit dans un logement "passoire" chauffé par des radiateurs électriques dignes de grille-pain, l’application de la loi lui infligera un "maxi-malus" insupportable. Le texte de loi prévoit une solution : le locataire pourra répercuter en déduction du loyer la quote-part du malus due à l’insuffisante performance énergétique du logement. Mais c’est sans compter avec les relations souvent tendues entre propriétaires et locataires.

En définitive, le plus grave est que la tarification progressive envisagée ne règle ni le problème de la précarité énergétique, pour laquelle des dispositions particulières et supplémentaires devront être prises, ni celui de l’incitation aux travaux d’isolation des logements, qui devraient cependant être traités dans le cadre du projet porté par la ministre du Logement, Cécile Duflot. Bref, cette loi risque de s’avérer très vite d’une application extrêmement difficile.

Des solutions alternatives

C’est d’autant plus dommage que les propositions alternatives vraiment opérationnelles ne manquent pas. Comme celle de distribuer entre 70 et 100 euros par personne sous forme de chèques énergie et d’augmenter les tarifs domestiques actuels de 15 % à 20 %. Un tel dispositif, qui instaurerait de fait, lui aussi, une tarification progressive (les premiers kWh sont gratuits, les suivants à prix plein), serait d’application simple et peu coûteuse. Il supposerait la distribution à tout déclarant soumis à la taxe d’habitation d’un chèque énergie d’un montant qui serait fonction du nombre d’habitants du logement et de sa situation géographique, mais indépendant des revenus et du type de chauffage. De plus, l’augmentation des tarifs de l’électricité et du gaz permettrait de couvrir le coût global des chèques énergie et d’inciter aux économies d’énergie.

Il faudrait, là encore, compléter le dispositif en modulant la taxe foncière en fonction de la performance énergétique des logements, comme le font déjà certaines communes (comme Haguenau et plusieurs villes d’Alsace, ou Nantes mais seulement pour les logements neufs), afin d’inciter les propriétaires, notamment les bailleurs, à améliorer la performance énergétique de leurs biens. En faisant intervenir la fiscalité locale, ce dispositif permettrait d’associer les collectivités territoriales à sa gestion, en complétant par exemple le chèque énergie ou en favorisant certains systèmes de chauffage comme les réseaux de chaleur.

Une bombe à retardement

Ce qui est sûr, c’est que la question des tarifs, notamment ceux de l’électricité, constitue une petite bombe à retardement dont l’explosion est programmée au 1er janvier 2016. La loi sur la Nouvelle organisation du marché de l’électricité (Nome), votée en novembre 2010, prévoit qu’à cette date, les tarifs ne seront plus décidés de manière discrétionnaire par l’Etat mais fixés par la Commission de régulation de l’électricité, selon un principe d’"additionnalité" des coûts constatés, ce qui devrait mécaniquement entraîner une hausse de 30 % par rapport au niveau actuel (voir encadré page 46).

Pour les 30 millions de clients domestiques, la facture électrique représente aujourd’hui de l’ordre de 2 % à 4 % de leur budget en moyenne. Une augmentation de 30 % dans les quatre prochaines années ne sera pas insensible. Si le gouvernement met en place une tarification progressive, l’augmentation devrait être moindre pour les ménages modestes. Malgré le caractère pénible de telles hausses, il serait imprévoyant de ne pas commencer à augmenter les tarifs dès maintenant pour les aligner sur les coûts effectifs de l’électricité d’ici quatre ans. Et ne rien faire serait une manière de vivre à crédit sur les générations futures.

Mais l’augmentation des tarifs ne peut être la seule réponse à la hausse inévitable des coûts de l’énergie. La vraie réponse structurelle et de long terme est la mise en oeuvre d’une politique ambitieuse de maîtrise de la consommation et plus généralement d’optimisation de la gestion de l’énergie. Y compris au niveau du système électrique lui-même, grâce notamment aux smart grids, ces réseaux intelligents qui devraient permettre de gérer beaucoup plus finement les courbes de charge et d’économiser des capacités de production. Même si les investissements nécessaires à une meilleure maîtrise de l’énergie sont relativement coûteux, ils permettront de réduire la facture des consommateurs, créeront de l’emploi 2 et réduiront, à terme, les importations énergétiques de la France (61,4 milliards d’euros en 2011, selon le ministère de l’Ecologie et de l’Energie).

Par conséquent, même dans l’état actuel des finances de l’Etat, ces enjeux justifient la mise en place de soutiens publics conséquents. Le gouvernement a récemment annoncé un plan de rénovation énergétique de 600 000 logements anciens, ce qui constitue un premier pas très important. Des mesures du même type et de même ampleur devront être prises pour promouvoir l’efficacité énergétique dans tous les secteurs et pour tous les usages.

Zoom Des prix relativement bas... pas pour longtemps

La France bénéficie d’un coût de production d’électricité très bas, parce que le nucléaire représente près de 80 % de la production, l’essentiel du reste étant fourni par l’hydraulique. Selon la Cour des comptes, le coût comptable du nucléaire, celui au-dessus duquel EDF commence à réaliser des profits, est de 33 euros/mégawattheure (MWh). Le coût économique complet, celui qui rentabiliserait les capitaux investis à l’origine, serait de 49 euros/MWh. A l’exception de l’hydraulique, toutes les autres filières de production, qu’il s’agisse des centrales à gaz ou au charbon, de l’éolien, de la biomasse ou du nouveau nucléaire du type EPR, ont des coûts beaucoup plus élevés compris entre 60 à 100 euros/MWh. Cette situation crée une énorme rente de plus de 27 euros/MWh puisque, théoriquement, EDF pourrait vendre son électricité nucléaire à 60 euros/MWh en alignant ses prix sur les coûts des autres filières sans aucun risque de concurrence. Cette rente représente une somme de l’ordre de 11 milliards d’euros pour 415 terawatts (TW).

Rente

Au cours des années 1990 et au début des années 2000, les gouvernements successifs ont imposé à EDF de redistribuer l’essentiel de cette rente à ses clients. Ainsi EDF n’est aujourd’hui autorisée à vendre son électricité nucléaire à ses clients qu’entre 38 et 42 euros/MWh, à mi-chemin entre son coût comptable et son coût économique complet, laissant donc aux consommateurs plus des deux tiers de la rente. Un mécanisme complémentaire prévu par la loi Nome oblige EDF à vendre un quart de sa production nucléaire à ses concurrents sur le sol national (GDF, Enel, Direct Energie, Eon...) à 42 euros/MWh, afin que ceux-ci puissent faire des offres compétitives. Autant d’éléments qui expliquent pourquoi les tarifs français restent très inférieurs à ceux des autres pays européens.

Grenelle

Mais trois facteurs sont en train de modifier profondément la situation. Tout d’abord, à la suite du Grenelle de l’environnement, une politique très ambitieuse de développement des énergies renouvelables à été mise en oeuvre. Malgré les fortes baisses des coûts de production de l’éolien et du solaire, ceux-ci restent très supérieurs aux coûts des centrales conventionnelles ou nucléaires. Pour soutenir ces filières, le gouvernement a donc imposé à EDF de racheter leurs productions à des prix plus élevés (83 euros/MWh pour l’éolien, 150 euros pour le solaire) et de répercuter l’essentiel de la différence sur les consommateurs à travers une "contribution au service public de l’électricité" incluse dans les tarifs. Celle-ci était de 9 euros en 2011 et devrait atteindre 19-20 euros/MWh en 2016.

Investissement

Ensuite, les filiales de transport et de distribution d’EDF doivent faire face à des investissements importants pour s’adapter à la production renouvelable, beaucoup plus dispersée sur le territoire et plus aléatoire ; pour maintenir la qualité de service aux clients (temps de coupure...) ; pour renforcer la sécurité d’approvisionnement en accroissant les capacités d’interconnexion entre la France et ses voisins ; et, enfin, pour mettre en place les smart grids. Or, le tarif d’utilisation des réseaux représente en moyenne 45 % de la facture d’électricité hors taxe des petits consommateurs et devrait croître de 4 % par an, selon la Commission de régulation de l’électricité.

Nucléaire

Enfin, le coût du nucléaire est très bas, mais il va augmenter significativement. Parce que le parc vieillit : son coût de maintenance va donc augmenter, d’autant qu’il faut prévoir la mise aux normes post-Fukushima. Les charges d’exploitation courantes croissent également à un rythme soutenu. Et, pour finir, les charges futures de démantèlement et de gestion des déchets radioactifs sont encore très incertaines, mais il est très probable qu’elles seront réévaluées à la hausse à l’avenir. Au total, 5 à 8 euros/MWh de plus.

Mis bout à bout, tous ces facteurs de hausse des coûts, s’ils sont intégralement répercutés sur les consommateurs conformément à la loi Nome, devraient se traduire par une augmentation des tarifs de 30 % en 2016 par rapport au niveau actuel.

  • 1. Jusqu’à la fin 2011, il fallait faire une démarche auprès des agences EDF et GDF en apportant la preuve que l’on avait des ressources inférieures au plafond de ressources donnant droit à la CMU-C.
  • 2. Les travaux d’isolation, l’installation de systèmes de chauffage performants, renouvelables ont un fort contenu en emploi et font appel aux entreprises et artisans locaux du bâtiment, et la production des équipements (chaudières, pompes à chaleur, éoliennes...) peut contribuer au maintien d’un certain nombre d’emplois industriels.

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