Idées

Les entreprises françaises sont-elles vraiment à plaindre ?

7 min

Valeur ajoutée, excédent brut d'exploitation, autofinancement... Les comptes des entreprises non financières se sont dégradés depuis la crise de 2008. Mais beaucoup plus dans l'industrie manufacturière que dans les services marchands. Pourtant, le gouvernement n'a pas prévu de mesures ciblées.

Le rapport Gallois et le débat sur la compétitivité de l’économie française amènent à revenir sur les comptes des entreprises et leur évolution depuis la crise.

La comptabilité nationale rassemble ces entreprises dans un ensemble appelé les "sociétés non financières". Comme son nom l’indique celui-ci exclut donc les banques et les assurances, mais aussi le secteur public ainsi que les travailleurs indépendants et les entrepreneurs individuels. Ces sociétés non financières employaient au second trimestre 2012 15,3 des 24,5 millions de personnes qui occupent un emploi en France. Elles ont produit 56 % de la valeur ajoutée totale du pays. Le premier indicateur qu’il faut suivre pour apprécier la santé de ces entreprises, c’est justement la valeur que celles-ci parviennent à ajouter, par le travail de leurs salariés et l’usage de leurs machines, aux achats qu’elles effectuent auprès d’autres entreprises. En effet, c’est le nerf de la guerre : lorsqu’une entreprise subit une pression à la baisse sur ses prix de vente du fait d’une concurrence accrue, si elle ne parvient pas à répercuter cette pression sur ses propres fournisseurs, cela se traduit par une diminution de ce qui lui reste, ce que l’on appelle sa valeur ajoutée (VA), en proportion de son chiffre d’affaires. Et elle aura davantage de difficultés ensuite à rémunérer tant ses salariés que les actionnaires ou les banquiers qui lui ont apporté des capitaux.

L’industrie à la peine

Parmi les sociétés non financières, on observe que la part de la valeur ajoutée dans le chiffre d’affaires, qui excédait encore 41 % en moyenne en 2009, a baissé depuis : elle ne représentait plus que 39,8 % au deuxième trimestre 2012. La situation sur ce plan est cependant assez contrastée selon les secteurs d’activité : cette valeur ajoutée représente en moyenne 55,2 % du chiffre d’affaires dans le secteur des services marchands, contre 23,3 % seulement dans l’industrie manufacturière. Et c’est sans surprise dans ce second secteur qu’elle a le plus reculé avec la crise, perdant 2,9 points depuis le printemps 2009, contre seulement 0,7 point dans les services marchands.

Cette pression à la baisse combinée à un ajustement limité de l’emploi jusqu’à maintenant s’est traduite par une hausse sensible du poids des salaires au sein de la valeur ajoutée des entreprises : les rémunérations versées (y compris les cotisations sociales employeurs) qui représentaient en moyenne 64,1 % de la VA des entreprises début 2008 en ont pesé 68 % au second trimestre 2012. Et là aussi la situation est très différente selon les secteurs : ce pourcentage est de 73,9 % dans l’industrie manufacturière, en hausse de 7 points depuis début 2008, contre 52,9 % dans les services marchands, avec une augmentation de 2,9 points depuis début 2008. L’excédent brut d’exploitation (EBE), c’est-à-dire ce qui reste aux entreprises une fois qu’elles ont payé leurs fournisseurs et leurs salariés (ainsi que les impôts prélevés sur la production elle-même), plonge en conséquence : début 2008, cet EBE représentait encore 32,3 % de la VA ; au second trimestre 2012, il n’était plus que de 28,2 %, 4,1 points de moins. Mais une fois encore toutes les entreprises ne sont pas du tout logées à la même enseigne : ce taux a reculé de 6,6 points dans l’industrie manufacturière, contre 3,3 points dans les services marchands, deux fois moins.

Avec le crédit d’impôt compétitivité emploi (Cice) de 20 milliards d’euros annoncé par Jean-Marc Ayrault, le gouvernement a choisi d’agir en priorité sur les impôts payés par les entreprises pour les aider à rétablir leurs comptes. On peut certes aller toujours plus loin dans ce sens, mais l’aggravation de leurs difficultés depuis la crise n’est en rien due à une hausse de la pression fiscale : hors cotisations sociales, les impôts prélevés sur les entreprises - impôt sur les bénéfices, cotisation sur la valeur ajoutée (CVA), cotisation foncière des entreprises (CFE)... - ont représenté en moyenne 7,7 % de leur valeur ajoutée au second trimestre 2012, contre 9,6 % début 2008. Les 20 milliards d’allégements promis par Jean-Marc Ayrault vont représenter une diminution d’un quart de l’ensemble des impôts qu’elles versent aujourd’hui... Considérable.

Une pression trop forte des investisseurs

Mais les entreprises ne doivent pas seulement payer leurs salariés et les impôts grâce à la valeur ajoutée qu’elles dégagent. Elles doivent aussi rémunérer leurs apporteurs de capitaux. Les banques ou les investisseurs qui leur prêtent de l’argent moyennant intérêt, et les actionnaires qui leur apportent des capitaux permanents moyennant le versement de dividendes. Est-ce que les difficultés des entreprises ne seraient pas dues, pour une part significative, à l’avidité de leurs financeurs qui cherchent toujours à leur soutirer un maximum, même quand l’activité se réduit ?

Ce n’est pas évident. En comparant toujours la situation des entreprises au second trimestre 2012 à celle du début 2008, on constate tout d’abord que, rapporté à la valeur ajoutée des entreprises, le poids des intérêts versés aux banquiers a baissé : il est passé de 2 % à 1 % de leur valeur ajoutée. Les entreprises ont visiblement bénéficié, elles aussi, de la baisse sensible des taux d’intérêt intervenue depuis. Dans le même temps en revanche, le pourcentage des dividendes versés aux actionnaires a lui augmenté : il est passé de 8 % de la valeur ajoutée à 8,9 %. Malgré cela, la ponction exercée par l’ensemble des apporteurs de capitaux, banquiers et actionnaires, a donc légèrement décru. On peut cependant aussi apprécier cette ponction à une autre aune : en proportion de l’EBE, c’est-à-dire des profits qui restent à l’entreprise après avoir payé salariés et fournisseurs. Mesurée ainsi, la pression exercée par les financeurs augmente cette fois clairement : au deuxième trimestre 2012, ils ont ponctionné 35 % de l’EBE des entreprises, contre 31,2 % début 2008. Comme souvent le jugement qu’on peut porter à ce sujet dépend du point de vue que l’on adopte...

Recul de l’autofinancement

Moyennant quoi donc, une fois qu’elles ont rémunéré leurs apporteurs de capitaux, les profits qui restent au sein des entreprises ont en effet sensiblement décru depuis la crise : ils ne représentent plus en moyenne que 13,5 % de la VA, contre 15,3 % début 2008. C’est avec cet argent que les entreprises financent leurs investissements. De manière assez surprenante, mais en même temps plutôt rassurante, le niveau de ces investissements n’a pas sensiblement fléchi depuis la crise. Ou plus exactement après avoir beaucoup diminué en 2009, il s’est redressé depuis et avait presque retrouvé, au second trimestre 2012, les niveaux d’avant-crise, avec 20,2 % de la VA, contre 20,4 % début 2008. Il n’est pas sûr cependant que cette tendance se maintienne sur la fin de l’année 2012 : l’investissement risque fort d’être l’une des principales victimes du ralentissement en cours de l’activité économique.

Répartition de la valeur ajoutée des sociétés non financières, en %

En attendant, les profits (en baisse) des entreprises ne suffisent donc pas à financer leurs investissements : pour ce faire, elles doivent donc davantage emprunter qu’avant la crise. L’indicateur qui permet de mesurer ce degré de dépendance à l’égard des financements extérieurs s’appelle le taux d’autofinancement : il indique la part des investissements que permettent de couvrir les profits dégagés par une entreprise. Entre début 2008 et mi-2012, ce taux a plongé de 3,5 points, passant de 70,2 % à 66,7 %. Un niveau qui n’a cependant encore rien d’inquiétant pour l’instant, compte tenu en particulier du bas niveau des taux d’intérêt : il est tout à fait normal que les entreprises ponctionnent une partie de l’épargne des ménages pour financer leur expansion.

Au final, les éléments dont on dispose confirment donc une dégradation sensible des comptes des entreprises par rapport à la situation d’avant-crise. Cette dégradation est cependant beaucoup plus marquée dans l’industrie manufacturière que dans les services marchands, moins exposés à la concurrence internationale. Cela aurait justifié plutôt des mesures ciblées, comme le suggérait le rapport de Louis Gallois. Avec le crédit d’impôt compétitivité emploi, le gouvernement a préféré cependant prendre une mesure générale profitant à toutes les entreprises quel que soit leur domaine d’activité. Un choix qui relève davantage d’un arbitrage politique que d’une approche véritablement économique.

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