Dossier

Y aura-t-il un pilote dans le logement ?

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L'acte III de la décentralisation prévoit de faire des intercommunalités les chefs de file des politiques du logement. Un progrès certain, mais qui oublie l'essentiel : les permis de construire.

Monter un programme de logements sociaux est devenu un vrai casse-tête pour les opérateurs. Et quand les projets voient le jour in fine, ils y perdent du temps et de l’argent. Etat, régions, départements, intercommunalités, communes, jusqu’à cinq échelons interviennent sur le sujet. L’Etat gère le logement pendant que les communes s’occupent du droit du sol (voir encadré page 66). Entre le national et le microlocal, un enchevêtrement de responsabilités empêche de faire émerger de vrais pouvoirs à l’échelle des bassins d’habitat et d’urbaniser là où c’est nécessaire. Au final, entre financements croisés et compétences partagées, personne ne sait clairement qui fait quoi. Et chacun se renvoie la balle. Plus de 3 millions de personnes sont très mal logées en France, il manque un million de logements, les prix sont prohibitifs, mais il n’y a pas de pilote dans l’avion.

Et pourtant, malgré la complexification induite par les transferts de compétences successifs, une décentralisation accrue des politiques de logement est nécessaire. L’Etat central pilote encore depuis Paris des politiques aveugles aux territoires, qu’il s’agisse des aides à la personne, des taux réduits de TVA ou des incitations fiscales que sont les prêts à taux zéro ou les défiscalisations "Robien", "Scellier" ou "Duflot". Parce qu’elles ne sont pas gérées par les collectivités, mais par l’Etat, qui les module en fonction des territoires regroupés à grands traits dans des catégories A, B1, B2 ou C, ces dépenses sont souvent mal ciblées, voire aboutissent à des constructions dans des zones sans réelle demande et ne trouvent pas d’occupants. Alors que la crise du logement est un problème territorialisé, les collectivités voient passer au-dessus de leur tête la majorité des financements.

Un enchevêtrement de compétences

Les deux échelons principaux, l’Etat pour le logement et les communes pour le droit du sol, échouent à agir au niveau pertinent : celui des bassins d’habitat et de l’agglomération, c’est-à-dire au niveau des marchés locaux de l’habitat. Qu’il s’agisse des transports en commun, de la mixité fonctionnelle des espaces entre activités et logements ou de la mixité sociale, les enjeux de la ville d’aujourd’hui ne s’arrêtent pas aux frontières communales. A l’échelle des communes, il est par exemple tentant d’attirer les activités lucratives et de laisser aux voisins les logements sociaux et les équipements coûteux ou facteurs de nuisance. Comme le déplore le Conseil d’Etat dans son rapport "Droit au logement, droit du logement" de 2009 : "La compétence communale, en raison de la concurrence des territoires à l’intérieur des agglomérations ou des bassins d’habitat, encourage et aggrave les processus de ségrégation spatiale." A l’inverse, un gouvernement métropolitain unifié faciliterait la poursuite d’un intérêt général de l’agglomération et créerait des effets d’échelle.

Ce constat est assez largement partagé. Le gouvernement cherche donc à doter la dizaine de grands établissements publics de coopération intercommunale (Epci) de plus de 400 000 habitants de pouvoirs accrus, en leur déléguant un "bloc de compétences" : aides à la pierre, rénovation urbaine, contingent préfectoral (un quota d’attributions de logements HLM), tutelle sur le bailleur social local, définition du plan local d’urbanisme (PLU), du programme local de l’habitat (PLH) et du schéma de cohérence territoriale (Scot). Ces "communautés métropolitaines" ainsi créées deviendraient de véritables autorités organisatrices du logement. L’Etat, de son côté, conserverait son rôle de garant d’une certaine péréquation, de la fixation et du respect des règles du jeu, par exemple en imposant aux communes un quota de logements sociaux. D’où l’idée de déléguer ses compétences sans pour autant forcément les transférer, c’est-à-dire en s’autorisant, en cas de manquement des collectivités, à reprendre les commandes.

Pour la plupart des intercommunalités, l’autre avancée de taille du projet de loi en préparation consiste à leur transférer la définition du plan local d’urbanisme, à la place des communes. Ce document d’urbanisme, qui serait fusionné avec le PLH et le plan de déplacement urbain (PDU) pour plus de cohérence, est essentiel pour programmer à l’échelle pertinente la densification de la ville, sauvegarder les terrains agricoles ou construire des logements sociaux.

Au milieu du gué

L’acte 3 de la décentralisation semble pourtant rester encore au milieu du gué, pour trois raisons. Tout d’abord, l’attribution du permis de construire demeurera entre les mains des maires, il ne sera pas transféré au niveau intercommunal. "La mère de toutes les réformes", selon l’expression de l’économiste du foncier Vincent Renard, ne se fera donc pas. Les résistances étaient trop fortes du côté de l’Association des maires de France (AMF), déjà vent debout contre le PLU intercommunal. Pourtant, cette exception française pose de graves problèmes de compétences des services municipaux - souvent démunis - et d’impartialité des élus municipaux qui ont parfois à arbitrer sur les demandes de leurs parents, amis ou voisins.

Ensuite, l’échelon intercommunal n’aura pas les mains tout à fait libres. En effet, les élus intercommunaux ne seront toujours pas choisis à l’issue d’un scrutin à cette échelle. Certains candidats aux municipales seront "fléchés" à l’avance pour siéger à la communauté de communes, sans campagne électorale à l’échelle intercommunale. "Chaque élu sera choisi par les électeurs de sa commune et aura tendance à défendre leurs intérêts, craint Eric Charmes, directeur de recherches en études urbaines et auteur de La Ville émiettée. Tant que les EPCI ne sont pas élus au suffrage universel direct, les PLU intercommunaux dépasseront difficilement l’addition des PLU communaux." Et il sera bien difficile de dessaisir les communes de leurs compétences si elles restent aux yeux des citoyens le seul échelon réellement démocratique au niveau local.

Logement : des responsabilités éclatées

La gouvernance actuelle des politiques du logement est un véritable casse-tête. L’acte III de la décentralisation prévoit de faire des intercommunalités les chefs de file du logement, mais il laisse des pouvoirs importants aux quatre autres échelons, en particulier à l’Etat et aux communes.

Logement : des responsabilités éclatées

La gouvernance actuelle des politiques du logement est un véritable casse-tête. L’acte III de la décentralisation prévoit de faire des intercommunalités les chefs de file du logement, mais il laisse des pouvoirs importants aux quatre autres échelons, en particulier à l’Etat et aux communes.

Enfin, le découpage intercommunal correspond rarement aux bassins d’habitat réels. Nombre d’intercommunalités, dessinées au fil des alliances politiques locales, sont en fait "défensives", destinées non pas à coopérer avec le reste du bassin d’habitat, mais au contraire à mieux résister à la ville-centre. Et à freiner ensemble la densification ou la construction de nouveaux équipements indésirables. Ainsi à Lyon, pourtant en avance sur le sujet, le Grand Lyon ne comprend que 58 des 130 communes de l’unité urbaine de Lyon, sans même parler des 514 communes de l’aire urbaine lyonnaise. Doter ces métropoles de pouvoirs supplémentaires ne permettra donc pas de gérer ensemble le coeur de l’agglomération et les zones périurbaines qui l’entourent. Les communes périurbaines ont en effet tendance à s’unir au sein de communautés de communes a minima pour mieux résister à une planification urbaine digne de ce nom. Autant que de l’Etat, une décentralisation efficace des politiques urbaines devra donc réussir à se libérer du souverainisme municipal.

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