Une réforme bancaire petit bras

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Le projet du gouvernement comporte quelques avancées et de grosses insuffisances.

Identifier les activités risquées

Depuis la crise financière qui a démarré en 2007, les grands pays cherchent les moyens de minimiser la probabilité qu’un tel événement se reproduise à l’avenir. De leur côté, les banques se mobilisent pour empêcher toute régulation contraignante qui remettrait trop fortement en cause leur rentabilité.

De ce rapport de force est né un plan d’action dont les modalités diffèrent selon les pays, mais qui retient toujours les mêmes principes : forcer les banques, plutôt que les contribuables, à payer pour leurs erreurs - "qui faute paye", selon la formule du ministre des Finances Pierre Moscovici - et séparer, à l’intérieur d’un même groupe bancaire, les activités vitales pour le financement de l’économie de celles qui ne le sont pas. Les premières continueront à recevoir la garantie d’un sauvetage par l’Etat en cas de crise, tandis que les secondes seront placées dans une filiale soumise à des réglementations plus sévères et ne bénéficiant plus de la garantie publique. Autant dire que les investisseurs seront peu enthousiastes à financer cette filiale et réclameront des taux d’intérêt plus élevés que jusqu’à présent, ce qui rendra moins rentables ses activités risquées.

La question politique importante est donc de savoir quelle part du business des banques va se retrouver dans de telles filiales ? Selon un rapport du cabinet Ernst&Young, les prêts à l’économie en 2012 ont représenté 27 % de l’ensemble des activités des banques françaises. Dans les 73 % qui restent, une part est essentielle au bon fonctionnement de l’économie (aider les entreprises à trouver des investisseurs, à se protéger des variations de change, etc.) et une autre part représente des paris spéculatifs. Où se situe la ligne de partage définie par le projet de loi français ? Selon Alain Papiasse, le directeur de la Banque de marché et d’investissement de BNP Paribas, le projet de loi conduira à filialiser environ... 2 % de ses activités de marché ! Une information corroborée par Frédéric Oudéa, le PDG de la Société générale qui parle, lui, d’une fourchette de 3 % à 5 %. Pour les deux grandes banques françaises, le projet de loi les contraindrait donc à filialiser entre 0,5 % et 1 % de leurs activités totales !

Comment en est-on arrivé là ? Le gouvernement a accepté l’argument des banquiers selon lequel les activités de "tenue de marché" sont toujours sans risque et ne méritent pas d’être filialisées. La tenue de marché consiste pour une banque à être toujours prête à acheter des titres financiers (actions, obligations, produits dérivés...) à ceux qui veulent vendre et à en vendre à ceux qui veulent acheter. Bien entendu, pour pouvoir le faire et répondre à la demande, il faut disposer d’un peu de stock. Le problème, c’est que le prix des actions et de tous les autres produits financiers bouge tout le temps : il est donc tentant de détenir un stock d’actifs financiers plus volumineux que nécessaire et d’en profiter pour parier sur l’évolution des cours... Ainsi, selon Christophe Nijdam, analyste chez Alpha Value, le niveau moyen des stocks tourne autour de 13 % de la taille du bilan dans la grande distribution alimentaire (type Carrefour), de 19 % dans la distribution non alimentaire (type H&M), mais "pour les quatre banques françaises cotées, le niveau moyen des stocks, soi-disant là pour servir au mieux la clientèle, c’est... 38 % du bilan"1.

Lors de la discussion du projet de loi, dans la nuit du 6 au 7 février dernier, à la commission des Finances de l’Assemblée, les députés ont voté des amendements qui, d’une part, donnent la possibilité au ministre des Finances d’augmenter, s’il le souhaite, la part des activités de tenue de marché qui devront passer dans la filiale et, d’autre part, permettent au régulateur d’obliger les banques à basculer une partie de ce type d’activités dans la filiale lorsqu’elle dépasse une certaine limite - qui reste à fixer - de leur chiffre d’affaires. Pour les optimistes, l’autorité publique a désormais la main pour imposer ce qu’elle veut aux banques. Pour les pessimistes, aucune contrainte ne l’y oblige et rien ne sera fait en particulier par ce gouvernement qui a construit sa réforme en consultant essentiellement le milieu bancaire.

Sortir les banques françaises des paradis fiscaux

De manière plus positive, alors que le projet de loi n’abordait pas la question de la présence des banques françaises dans les paradis fiscaux, les députés PS et Europe Ecologie-Les Verts ont réussi rien de moins qu’une première mondiale : le nouvel article 4bis indique qu’à compter de l’exercice 2013, c’est-à-dire pour publication à partir de 2014, les banques devront rendre public leur chiffre d’affaires consolidé et le nombre de personnes employées pays par pays, ainsi que la liste de leurs filiales 2.

Les députés n’ont malheureusement pas réussi à se mettre d’accord pour obliger la divulgation du montant des profits réalisés et celui des impôts payés dans chaque pays, ce qui aurait vraiment permis de mettre en évidence que certains territoires permettent de maximiser les profits sans employer pratiquement personne ! Pour autant, les banques vont être tenues de justifier leur présence dans des territoires bizarres. Il leur faut être actives aux îles Caïmans, car c’est là qu’est le marché du financement aéronautique mondial ? Parfait, mais que BNP Paribas nous explique alors pourquoi, selon une étude récente du Conseil des prélèvements obligatoires, elle a 24 filiales sur place quand ses deux principales concurrentes françaises n’en ont que 2 !

Certes, la comptabilité pays par pays n’est pas la réponse à toutes les prises de risques opaques effectuées par les banques dans les paradis fiscaux et elle n’impose aucune contrainte aux établissements trop présents dans ces territoires. Ce n’est qu’un premier pas de transparence financière, mais il est important et, pour le moment, unique au monde.

Comment aller plus loin ?

Après leur travail en commission des Finances, les députés ont débattu du projet de loi en séance plénière à la mi-février. Le texte va maintenant être examiné au Sénat à partir du 20 mars, avant que le dernier mot ne revienne aux députés si les sénateurs amendent le texte dans un sens différent, ce qui est possible. Car, même dans sa version modifiée, le projet fait encore beaucoup de mécontents.

Part des crédits à l’économie dans l’ensemble des activités des banques européennes en 2012 (en %) et nombre de filiales dans des paradis fiscaux

Il y a ceux qui réclament de découper véritablement les banques, en séparant complètement les activités, comme l’avait fait aux Etats-Unis le Banking Act du 16 juin 1933, rebaptisé Glass-Steagall Act. Un combat perdu d’avance, car il n’y a pas de consensus politique sur le sujet. D’autres, comme l’ONG Oxfam 3, montrent que si l’activité de spéculation sur les prix des matières premières agricoles est peu développée dans les banques françaises, elle va croissant depuis la hausse des prix de 2008, et que, là encore, BNP Paribas apparaît comme l’entreprise la moins responsable. Le projet de loi ne prévoyant d’interdire ce genre de pratique que si les établissements les utilisent pour parier leur propre argent, ils vont pouvoir continuer à offrir ces produits de spéculation à leurs clients. On peut penser que le gouvernement pourrait passer à une interdiction totale sur ce sujet.

Le débat sur la régulation des banques n’est pas terminé. L’Union européenne va faire ses propositions dans le courant de l’année, les discussions vont se poursuive au Parlement européen et au niveau mondial dans la communauté des régulateurs. Mais une chose est certaine : l’année 2013 sera cruciale pour dessiner le paysage bancaire du futur.

  • 1. Voir son texte dans le dossier "Quelles réformes bancaires pour la France ?", L’Economie politique n° 57, janvier 2013, disponible dans nos archives en ligne.
  • 2. Pour le récit du vote à l’Assemblée, voir http://alternatives-economiques.fr/blogs/chavagneux/
  • 3. "Réforme bancaire : ces banques françaises qui spéculent sur la faim", 12 février 2013.

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