Entretien

"D’abord une question de principes"

6 min
Najat Vallaud-Belkacem ancienne ministre de l’Education nationale

Dans un récent rapport 1, l’OCDE affirmait que l’égalité entre les hommes et les femmes était facteur de croissance. L’égalité hommes-femmes, c’est aussi une affaire économique ?

Oui ! C’est une dimension assez méconnue sur laquelle il faut insister. A fortiori en période de crise. C’est une bonne façon de réfuter l’argument selon lequel il y aurait des actions plus urgentes à mener. Par exemple, aujourd’hui, les femmes ne représentent que 10 % des créateurs d’entreprises innovantes. C’est un gâchis à la fois individuel et collectif pour l’économie. Cependant, l’égalité entre les hommes et les femmes est d’abord une question de principes. Rien ne peut ainsi justifier qu’une femme soit moins rémunérée à travail égal.

Vous vous êtes félicitée des mesures sur le temps partiel contenu dans l’accord sur la sécurisation de l’emploi. Quel en est l’enjeu ?

Cet accord est une grande chance pour l’égalité femmes-hommes. 80 % des salariés à temps partiel sont des femmes. Cela explique une grande partie des inégalités structurelles de rémunération entre les sexes. Ces dispositions, qui doivent être transposées dans une loi présentée en Conseil des ministres le 6 mars prochain, représentent des améliorations concrètes pour tous ceux et surtout celles qui cumulent petits salaires, horaires contraignants et moindre accès aux droits sociaux. D’abord, les heures complémentaires* seront majorées de 10 % à 25 % dès la première heure à partir de 2014. Ensuite, un seuil minimum de 24 heures par semaine sera imposé pour tous les temps partiels. Désormais, le temps partiel d’une durée inférieure ne sera autorisé que sur dérogation si, et seulement si, une négociation de branche garantit par ailleurs l’accès à des droits sociaux dont les salariés ne bénéficiaient pas auparavant.

Est-ce que ce sera suffisant pour s’attaquer réellement aux temps partiels subis ?

C’est un premier pas très important : c’est la première fois qu’une négociation entre partenaires sociaux s’attaque véritablement aux temps partiels subis. Ce sujet était resté un angle mort des politiques de l’emploi et de l’égalité professionnelle. Tout va dépendre à présent de la façon dont les branches professionnelles vont se saisir de ces nouvelles normes. Il faut rester vigilant.

Les partenaires sociaux négocient sur la qualité de vie au travail et sur l’égalité professionnelle. Ils doivent vous faire des propositions notamment sur le congé parental. Où en est-on ?

L’objectif est double. Il faut, d’une part, lutter contre l’éloignement de l’emploi des femmes qui prennent un congé parental. 40 % d’entre elles éprouvent de vraies difficultés à y revenir. Leur faciliter l’accès à la formation professionnelle, leur offrir un accompagnement plus personnalisé dans le retour à l’emploi font partie des solutions que nous sommes en train d’expérimenter dans neuf régions pilotes. Il faut par ailleurs favoriser un partage plus égal du congé parental entre les parents en incitant davantage les pères à le prendre. Ça pourrait être fait, par exemple, via la création d’une tranche de plusieurs mois réservée au second parent.

Ne faudrait-il pas rallonger parallèlement le congé paternité, puisque c’est dès les premiers mois que la répartition des tâches familiales se fige de manière durable ?

Cela fait partie des options. C’est vrai qu’en incitant les pères à prendre leur congé paternité, on favorisera les congés parentaux partagés entre les deux parents. Au-delà, nous devons offrir des modes de garde collectifs en nombre suffisant et adaptés aux besoins des territoires et des familles. Ces questions sont actuellement traitées dans la convention d’objectifs et de moyens de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), que la ministre de la Famille, Dominique Bertinotti, négocie avec des objectifs ambitieux.

Plus de la moitié des familles monoparentales compte un seul enfant. Or, la France est le seul pays de l’Union européenne à ne pas verser d’allocations familiales dès le premier enfant. Ne pourrait-on pas changer cette règle ?

C’est une piste de réflexion en effet. L’évolution de la politique familiale est une question d’ensemble, qui fait l’objet en ce moment d’une mission confiée à Bertrand Fragonard, dont nous attendons les conclusions pour la mi-mars.

Que peut-on faire pour que l’émancipation des femmes diplômées ne masque pas la stagnation de la situation des femmes du bas de l’échelle sociale, notamment celles qui occupent des emplois d’aide à la personne ?

Il faut absolument revaloriser ces métiers. J’ai décidé de lancer, au sein du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle et avec le défenseur des droits, une réflexion sur la classification des métiers. La ministre en charge du Travail au Québec, plus avancé que nous sur ces questions, m’expliquait qu’ils s’étaient rendu compte que les gardiens de zoo - majoritairement des hommes - étaient deux fois mieux rémunérés que les assistantes maternelles ! Ce sont ces inégalités frappantes qu’il faut débusquer et faire reculer en France également. Quelle est la valeur véritable des métiers ? Comment la mesure-t-on ? Pourquoi des emplois aussi essentiels à la vie en collectivité (comme la prise en charge des personnes âgées, par exemple) sont-ils si peu rémunérés ? La valorisation passe aussi par un meilleur accès à la formation initiale comme à la formation continue, car le diplôme joue un rôle majeur dans ces inégalités entre femmes.

Une loi doit être présentée au printemps. Quelle en est la teneur ?

La première des priorités de mon ministère a été de faire en sorte que les lois en vigueur soient appliquées. Mais nous nous sommes rendu compte également qu’il restait des failles dans notre législation. D’où cette future loi-cadre sur les droits des femmes, qui sera présentée en mai prochain. Elle répondra autant au défi de l’égalité professionnelle, notamment via la question de l’articulation des temps de vie, qu’à celui des violences faites aux femmes, aux exigences d’une parité qu’il faut encore renforcer dans toutes les instances ou encore aux difficultés juridiques rencontrées par les femmes étrangères résidant en France 2.

Reste le coeur des inégalités : les stéréotypes. Quelles actions peut mener l’Etat dans ce champ ?

Ce n’est pas seulement par la loi que l’on fera évoluer les choses sur le terrain de l’égalité, mais en s’attaquant à ce que j’appelle les "inégalités d’habitude", les clichés, les représentations qui verrouillent nos esprits et nous empêchent de progresser. L’école, les médias ou le sport sont de formidables leviers pour cela. Nous y travaillons par exemple avec la mise en place des ABCD de l’égalité, un programme de sensibilisation à l’égalité filles-garçons dans les écoles maternelles et primaires, qui va être expérimenté à la rentrée 2013 avant d’être généralisé. Mais aussi par des règles invitant les médias à veiller à l’image des femmes et à la présence d’expertes sur leurs plateaux, ou encore par l’objectif fixé aux fédérations sportives d’atteindre la parité dans leurs instances.

  • 1. "Inégalités hommes-femmes. Il est temps d’agir", OCDE, décembre 2012.
  • 2. Les femmes étrangères résidant en France peuvent se voir appliquer le droit de leur pays d’origine, du fait de conventions avec la France, même si ces lois ne traitent pas à égalité les femmes et les hommes. Par exemple en matière de droit d’héritage ou d’autorité parentale.
Propos recueillis par Claire Alet

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