Idées

Mars 1963 : la grande grève des mineurs

6 min

Au-delà des revendications salariales, la grève des mineurs manifeste l'inquiétude des "pays noirs" face au déclin du charbon français.

Trente-cinq jours de grève, du 1er mars au 4 avril 1963 ! Le mouvement touche l’ensemble des dix bassins houillers, ceux du Nord-Pas-de-Calais, de la Lorraine et du Centre-Midi. Une grève unitaire, lancée à l’appel d’une intersyndicale CGT-CFTC-FO pour une revalorisation des salaires. Dès le début, le président Charles de Gaulle répond fermement : il signe le 2 mars un ordre de réquisition, mais la réponse est un renforcement et une extension de la grève, désormais illimitée. Ce mouvement est resté dans les mémoires par sa popularité, le soutien des collectivités locales, les multiples débrayages de solidarité qu’elle a occasionnés, les innombrables collectes de soutien et l’hébergement de milliers d’enfants de mineurs dans des familles d’accueil pendant les vacances de Pâques.

Grève mémorable aussi, car c’est la première épreuve sociopolitique d’envergure à laquelle sont confrontés le président De Gaulle et son Premier ministre Georges Pompidou depuis la fin de la guerre d’Algérie. Les partis de gauche reprennent du poil de la bête, Parti communiste français (PCF) en tête avec ses relais dans la CGT. Mais il n’est pas seul : dans les mines du Nord et de Lorraine, le syndicalisme chrétien (CFTC) est vivace, alors que les mineurs de tous les bassins sont mécontents et inquiets, en cette fin d’hiver 1963. Mécontents, car leurs salaires n’ont pas autant augmenté que dans d’autres entreprises publiques ou privées ; inquiets, car des menaces sur leur emploi se précisent.

De nouvelles concurrences

Le temps paraît déjà loin où Maurice Thorez pouvait déclarer : "De l’effort des mineurs, dépend, dans une grande mesure, la renaissance de notre pays et l’indépendance de la France." Certes, depuis 1946, les houillères nationalisées sont entre les mains d’un établissement public, Charbonnages de France, et les mineurs ont acquis un statut offrant des garanties enviables. Dans les villes minières, une véritable société ouvrière solidaire s’est construite, par-delà les différences d’origine, locale, polonaise ou maghrébine.

Mais la situation n’est plus la même au début des années 1960. La reconstruction est achevée, la préoccupation n’est plus de vaincre la pénurie, mais de faire face à de nouvelles concurrences. La production française est d’abord menacée par les importations de charbon 40 % moins cher en provenance des Etats-Unis ou d’Australie : la baisse des coûts du fret grâce à des navires de grande contenance, l’existence d’importants gisements de charbon de bonne qualité affleurant en surface ou peu profonds sont autant de défis que les vieilles mines françaises, en partie épuisées et de profondeur moyenne de 500 mètres, ne peuvent plus relever durablement. Si bien que les stocks d’invendus s’accumulent sur le carreau des mines. La Haute autorité de la Communauté européenne du charbon et de l’acier perçoit, dès 1959, le problème, qui touche la plupart des pays européens.

De plus, il est devenu évident que le charbon est durement concurrencé par le gaz et le fioul dans son utilisation principale, les centrales thermiques de production d’électricité, mais aussi dans d’autres consommations comme le chauffage domestique. En France, la part du charbon dans la consommation d’énergie primaire est déjà passée de 73 % à 53 % entre 1950 et 1959, alors même que celle du pétrole progressait de 12 % à 27 %. Pour autant, les gouvernements ne suivent pas les conseils de la Haute autorité, qui recommande la mise en place, au niveau européen, d’un plan de réduction drastique de la production par houillère 1. Ils préfèrent garder les mains libres pour organiser eux-mêmes la réduction progressive de la production. En 1960, le plan du ministre de l’Industrie Jean-Marcel Jeanneney, conçu par son directeur de cabinet Raymond Barre, prévoit une réduction de la production française d’un million de tonnes par an, touchant principalement les bassins du Centre-Midi. Des fermetures de puits à l’exploitation déficitaire sont programmées, en particulier à Decazeville 2, dans l’Aveyron, où les mineurs réagissent par une grève qui mobilise toute une région, du 19 décembre 1961 au 21 février 1962. En vain : l’exploitation au fond cessera en 1967.

Une mort annoncée

Autant dire que la grande grève de 1963, centrée sur les salaires, ne peut qu’être une demi-victoire : si les mineurs obtiennent 11 % d’augmentation échelonnés sur un an, la hausse de leurs primes, la quatrième semaine de congés payés, l’ouverture de discussions sur la durée du travail, et l’avenir de la profession, cet avenir reste particulièrement sombre. De fait, le nombre de mineurs, qui a déjà régressé de 25 % depuis 1957, va continuer à fondre au rythme moyen de 10 000 par an. Avec le plan Bettencourt de 1968, la réduction de la production passe à 3 millions de tonnes par an, pour atteindre une production de 25 millions de tonnes en 1975 (contre 60 millions en 1959) et une diminution de 70 000 du nombre de salariés des Charbonnages, la hausse du prix du pétrole en 1973 n’offrant qu’un court répit, alors même que le programme électronucléaire est déjà en marche.

Zoom Une ressource toujours déterminante

En ce début de XXIe siècle, la France consomme peu de charbon (22 millions de tonnes), lequel est importé principalement des mines à ciel ouvert d’Australie, des Etats-Unis et d’Afrique du Sud. Il ne représente plus que 4 % de l’approvisionnement en énergie primaire, contre 32 % pour le pétrole, 15 % pour le gaz, 41 % pour le nucléaire et 8 % pour les autres sources (hydroélectricité et autres énergies renouvelables). Pour autant, le charbon reste une des grandes ressources d’énergie à l’échelle mondiale, mais aussi une source d’émissions de gaz à effet de serre, ce combustible étant de ce point de vue le plus polluant des combustibles fossiles.

Sa part dans la consommation globale d’énergie est stable depuis un quart de siècle, autour de 25 %. Les centrales au charbon fournissent 40 % de l’électricité produite (contrairement aux transports, qui brûlent à 98 % du pétrole). De grands pays développés l’utilisent toujours massivement, notamment les Etats-Unis, où il fournit 21 % de l’énergie et 52 % de l’électricité consommées. La croissance en Chine et en Inde accentue encore le rôle du charbon, qui fournit respectivement 69 % et 55 % de l’énergie consommée dans ces deux pays.

La mine fera encore parler d’elle par ses luttes pour la reconversion, par ses accidents (42 victimes à Liévin en 1974, 16 à Merlebach en 1976), par le "combat sans fin" des mineurs marocains pour obtenir les mêmes droits que leurs homologues français 3, droits inscrits dans le Pacte charbonnier de 1994, signé par l’Etat et les syndicats (sauf la CGT), qui organise, en même temps que la fermeture de tous les puits, le reclassement et diverses mesures équivalent à des mises à la retraite anticipée à taux plein.

Lorsque le dernier puits du Nord-Pas-de-Calais ferme à Oignies en 1990, lorsque le dernier morceau de charbon est remonté à la Houve en Lorraine en avril 2004, les coûts de revient de la tonne de charbon sont de trois à cinq fois supérieurs aux prix des marchés mondiaux. La fin du charbon français est inscrite dans ces chiffres. Mais le remplacement accéléré du charbon par le pétrole, entraînant une très forte dépendance énergétique, puis la reconquête d’une relative indépendance par l’énergie nucléaire, outre les nouveaux problèmes environnementaux qu’ils posent, soulignent surtout à quel point la France, comme ses partenaires européens, a été incapable de mettre sur pied une réponse commune aux problèmes de l’énergie, posés dès la fin des années 1950.

  • 1. Voir Les 50 années du charbon et de l’acier. 1952-2002, par Philippe Mioche, Editions des Communautés européennes, 2004.
  • 2. Voir un article très détaillé sur cette grève dans la revue en ligne Arkheia (http://arkheia-revue.org).
  • 3. Voir "Le combat sans fin des mineurs marocains", par Ali El Baz, Gisti, Plein droit n° 81, Gisti, juillet 2009.

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