Dossier

Emploi : travailler moins pour travailler tous

4 min

Proposition : instaurer un congé sabbatique rémunéré de six mois tous les cinq ans ou d'un an tous les dix ans

Comment limiter le chômage quand la croissance économique n’est plus au rendez-vous ? Il faut réussir à "enrichir la croissance en emplois" comme disent les économistes, c’est-à-dire créer plus d’emplois pour chaque point d’activité supplémentaire. Il y a différentes façons de faire, mais les plus désirables en théorie sont aussi les plus complexes à mettre en pratique...

La première consiste à abaisser le salaire minimum et les autres droits reconnus aux salariés afin de développer l’emploi à bas salaires. C’est l’axe privilégié en particulier en Allemagne par le chancelier Gerhard Schröder au début des années 2000. Une voie efficace en termes quantitatifs, mais qui présente de nombreux inconvénients. Cela implique en particulier le retour des working poors, les travailleurs pauvres : ces salariés échappent certes au chômage, mais ils ne parviennent pas à vivre correctement du fruit de leur travail. De plus, sur le plan économique, le travail à bas coût désincite à la recherche de l’efficacité dans la production, décourageant l’innovation.

Temps de travail hebdomadaire moyen effectif des salariés, en heures

Sur un quart de siècle, le temps de travail hebdomadaire a baissé dans des proportions équivalentes en France et en Allemagne. Mais outre-Rhin, cette baisse pèse principalement sur les femmes.

Temps de travail hebdomadaire moyen effectif des salariés, en heures

Sur un quart de siècle, le temps de travail hebdomadaire a baissé dans des proportions équivalentes en France et en Allemagne. Mais outre-Rhin, cette baisse pèse principalement sur les femmes.

La seconde façon d’enrichir la croissance en emploi consiste à favoriser l’emploi à temps partiel. Mais, en pratique, le développement du temps partiel concerne le plus souvent les publics féminins. Avec 77 % des femmes à temps partiel en 2011, les Pays-Bas sont les champions du monde, mais l’Allemagne a mené aussi une telle politique à grande échelle. Non sans dommages. Car ce choix favorise tout d’abord le maintien, voire l’accroissement, des inégalités hommes-femmes sur le marché du travail. Il contribue puissamment aussi à l’augmentation de la pauvreté, notamment au sein des familles monoparentales. De plus, en termes de productivité, la multiplication des temps partiels entraîne des coûts de coordination élevés...

En fait, c’est la réduction généralisée du temps de travail, sur le modèle du passage aux 35 heures, qui présente le moins d’inconvénients en termes de développement de la pauvreté laborieuse et des inégalités. De plus, si cette réduction s’accompagne d’une réorganisation qui permet d’allonger la durée d’utilisation des machines et des locaux, l’efficacité économique augmente elle aussi. C’est d’ailleurs ce qu’avait montré le passage aux 35 heures : deux millions d’emplois ont été créés entre 1998 et 2001, le chômage a reculé de 3 points et la masse salariale augmenté de 20 %, et cela sans que les profits des entreprises ne diminuent.

Malheureusement cette forme de partage du travail se heurte à de vives résistances. En effet, elle touche aussi les salariés déjà en poste et implique pour eux des sacrifices en termes de revenus, même quand, comme ce fut le cas avec les 35 heures, ceux-ci ne prennent pas la forme d’une baisse mais d’une simple stagnation de leur salaire. La réorganisation de la production bouscule également les habitudes, ce qui suscite toujours du mécontentement. C’est pourquoi, bien que le passage aux 35 heures ait été un succès sur le plan économique, il a suscité de violentes oppositions et a été vécu le plus souvent comme un échec.

Changer d’échelle de temps

Pourtant, avec plus de 5 millions d’inscrits à Pôle emploi, il y aurait urgence à aller plus loin dans cette voie. Mais pour avoir une chance d’y parvenir, il faut probablement aborder désormais la réduction du temps de travail sur une échelle de temps plus vaste que la semaine. D’ailleurs, en pratique, les 35 heures s’étaient déjà traduites par une réduction du temps de travail sur l’année, via les fameux jours de RTT.

Il faudrait sans doute porter plutôt aujourd’hui la revendication d’un congé sabbatique rémunéré de six mois tous les cinq ans ou d’un an tous les dix ans. Cela représente aussi une réduction de 10 % du temps de travail, mais répond mieux aux aspirations d’une population désireuse de pouvoir voyager ou changer d’orientation professionnelle au cours de sa vie de travail alors que l’horizon de la retraite recule. Mais qu’on ne s’y trompe pas, une telle démarche susciterait aussi des oppositions, car elle implique également pour la financer des sacrifices en termes de revenus du côté des insiders au profit de l’emploi des outsiders.

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