L’austérité, stop ou encore

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Les politiques budgétaires restrictives ont plongé la France et l'Europe dans la récession. Il faudrait changer de politique dès maintenant, car le temps presse.

On préférerait parfois avoir tort. En octobre dernier, nous titrions "Rigueur, l’overdose" : tout en saluant l’effort du gouvernement pour cibler en priorité les revenus des plus aisés, nous mettions en garde contre le caractère excessif de la restriction budgétaire de 30 milliards d’euros engagée pour 2013 dans un contexte très déprimé. Malheureusement le scénario noir est en train de se concrétiser. L’économie française est entrée en récession fin 2012, et celle-ci semble s’aggraver. Les indicateurs soulignent en particulier un recul sensible de la consommation des ménages , alors qu’elle avait plutôt résisté jusque-là. Et logiquement la hausse du chômage se poursuit à un rythme soutenu : le cap des 5 millions de demandeurs d’emploi inscrits en catégories A, B et C (c’est-à-dire y compris ceux qui ont travaillé quelques heures dans le mois) à Pôle emploi a été franchi en mars dernier.

Un déficit budgétaire aggravé

Mais le plus stupide, c’est que l’ampleur du ralentissement économique limite aussi fortement la baisse du déficit public. Pour 2012, Nicolas Sarkozy avait déjà prévu un sérieux tour de vis budgétaire et François Hollande l’avait renforcé à son arrivée. Du coup, la chute de l’activité a été tellement marquée en fin d’année que le déficit n’est au final passé que de 5,2 % du produit intérieur brut (PIB) en 2011 à 4,8 % en 2012. Et 2013 ne s’annonce pas mieux : en janvier et février, le déficit de l’Etat s’est accru de près de 3 milliards d’euros par rapport à 2012 parce que ses recettes ont reculé de 2,8 %. Avec le risque non négligeable qu’à terme, ces mauvaises performances sur le plan de l’activité et des finances publiques fassent basculer la France du côté des "pays à problèmes" aux yeux des investisseurs, la privant du bénéfice de taux d’intérêt exceptionnellement bas dont elle a profité jusque-là avec l’Allemagne. La totale...

Variation des soldes structurel et conjoncturel de la France et du solde public, en % du PIB

Lecture : depuis 2011, des efforts importants ont été engagés pour rétablir l’équilibre des comptes publics, mais leurs effets ont été largement contrebalancés par le ralentissement économique qu’ils contribuent à engendrer.

Variation des soldes structurel et conjoncturel de la France et du solde public, en % du PIB

Lecture : depuis 2011, des efforts importants ont été engagés pour rétablir l’équilibre des comptes publics, mais leurs effets ont été largement contrebalancés par le ralentissement économique qu’ils contribuent à engendrer.

Confronté à ces critiques, Bercy souligne - notamment vis-à-vis de la Commission européenne, afin d’obtenir des délais supplémentaires dans l’ajustement budgétaire - que si le déficit "conjoncturel" (celui qu’on mesure à l’instant t) ne se réduit guère, ce n’est pas le cas en revanche du déficit "structurel" (celui qu’on estime en éliminant les effets du cycle économique) qui, lui, baisserait fortement. Malheureusement ce raisonnement est assez spécieux : l’appréciation du déficit structurel dépend en effet de ce que les économistes appellent le "PIB potentiel" du pays, c’est-à-dire sa capacité théorique à produire des richesses compte tenu de la main-d’oeuvre disponible, de ses capacités de production... Or, le marasme économique prolongé fait baisser ce PIB potentiel : quand ils sont restés longtemps inemployés, les chômeurs doivent être lourdement formés pour revenir sur le marché du travail et les entreprises qui ont fait faillite ne sont plus là quand l’économie pourrait repartir. Bref, si on ne soutient pas l’activité, le déficit conjoncturel se transforme rapidement en déficit structurel.

Paris dans l’impasse

Il ne fait donc guère de doute que les politiques budgétaires excessivement restrictives menées en France et en Europe sont contre-productives. Pourtant, le gouvernement a choisi de poursuivre dans cette voie avec le programme de stabilité rendu public le 17 avril dernier. Celui-ci prévoit en effet un effort supplémentaire de restriction budgétaire de 20 milliards d’euros en 2014, avec 14 milliards d’euros d’économies sur les dépenses et 6 milliards d’euros de hausse des recettes. L’objectif affiché étant de revenir à un déficit public de 2,9 % du PIB l’an prochain. Un programme que la Commission européenne doit examiner d’ici à fin mai.

Ce serait faire injure à François Hollande et à Jean-Marc Ayrault que de penser qu’ils ne mesurent pas l’impasse dans laquelle les politiques budgétaires actuelles enferment la France et l’Europe. Simplement, ils estiment probablement ne pas pouvoir les remettre en cause, compte tenu du rapport de force politique en Europe. Angela Merkel - largement soutenue sur ce point par son opinion publique - est en effet loin d’être isolée sur cette ligne suicidaire. La Commission européenne, présidée par José Manuel Barroso, appuie avec zèle les politiques d’austérité excessives qui plombent la zone euro. Même si elle a fait preuve récemment de quelques éclairs de lucidité en acceptant que les pays en crise retardent leur retour à l’équilibre budgétaire (mais à vrai dire, elle n’avait guère le choix), elle se garde bien de prendre toute initiative susceptible de sortir la zone de la récession.

Zoom Les Pays-Bas disent stop

Les graves difficultés créées par les politiques d’austérité excessives menées partout en même temps en Europe ne touchent plus uniquement les pays périphériques. Elles atteignent désormais le coeur de l’Eurozone, avec les Pays-Bas, cinquième économie de l’Union et souvent considéré comme un modèle de rigueur.

Le pays est en effet en récession pour la seconde année consécutive. Le chômage, qui tournait jusque-là autour de 6 %, a bondi à 8,1 % en l’espace de quelques mois. Les faillites ont augmenté de 48 % au premier trimestre par rapport à la même période de 2012. Du côté des finances publiques, le pays affichait un déficit de 4,1 % du produit intérieur brut (PIB) l’an dernier et, selon les prévisions de la Commission européenne, n’avait, comme la France, guère de chance de le ramener sous la barre des 3 %, ni cette année ni en 2014.

Depuis la fin 2012, le pays est dirigé par une coalition formée par les libéraux du Premier ministre Mark Rutte et les travaillistes. Ceux-ci occupent notamment le ministère des Finances avec Jeroen Dijsselbloem, qui dirige désormais l’Eurogroupe. Pour ramener les comptes publics au niveau voulu par les nouvelles règles européennes adoptées depuis la crise, ce gouvernement avait prévu un nouveau train de mesures d’austérité : gel des salaires dans la fonction publique, mise en place de quota de handicapés pour limiter l’usage de ce statut comme retraite anticipée, diminution de l’aide fiscale apportée à l’épargne retraite... De quoi économiser 5 milliards d’euros de dépenses publiques, soit 0,8 % du PIB néerlandais. Mais, après négociation avec les syndicats et le patronat, le gouvernement néerlandais a finalement renoncé le 12 avril dernier à mettre en oeuvre ce plan devant la gravité de la situation économique et sociale et sa dégradation rapide.

Les pays scandinaves ou l’Autriche en rajoutent sur le dogmatisme austéritaire d’Angela Merkel. Ainsi que le Royaume-Uni, bien que son économie soit au moins aussi mal partie que celle de la zone euro. Quant aux Etats en crise, outre que leurs gouvernements ne sont guère en position d’élever la voix, ils sont presque tous dirigés par des conservateurs, persuadés que la baisse des salaires et des dépenses publiques va sortir leur pays d’affaire... On aurait pu espérer que les élections italiennes de février dernier débouchent sur un gouvernement (un peu) plus décidé que le précédent à remettre en cause les politiques d’austérité européenne, mais pour l’instant, le blocage politique est total au-delà des Alpes.

Affronter la ligne Merkel

Le tournant pris le mois dernier par les Pays-Bas (voir encadré) constitue cependant un signal important. Il s’agit en effet d’un pays "modèle", réputé pour la rigueur de sa gestion et dont le ministre des Finances dirige l’Eurogroupe. De plus, la France, en tant que seconde économie européenne et trait d’union entre l’Europe du Nord et celle du Sud, continue de peser d’un poids non négligeable. Si on considère que l’affrontement avec la ligne Merkel est de toute façon inévitable à terme pour sauver l’euro, et au-delà la construction européenne, il n’est pas certain qu’il y ait avantage à le retarder.

Il semble en effet peu probable que les élections allemandes de septembre prochain changent l’état d’esprit du gouvernement outre-Rhin. Tandis que la situation de l’économie et des finances publiques françaises se sera sans doute notablement dégradée à la fin de l’année, affaiblissant d’autant la parole de ses dirigeants. Hausser le ton aujourd’hui, c’est certes prendre un risque dans un contexte a priori défavorable. Ne pas le faire, c’est risquer de ne plus pouvoir y parvenir plus tard et continuer à laisser la construction européenne foncer vers l’iceberg à toute vapeur. Un choix difficile.

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