Bientôt l’accès aux soins pour tous ?

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D'ici à 2016, une complémentaire santé d'entreprise sera obligatoire. Un dispositif qui ne concerne toutefois pas les non-salariés.

Priorité à l’accès aux soins

"Généraliser, à l’horizon 2017, l’accès à une couverture complémentaire de qualité", c’est l’engagement pris par François Hollande en octobre dernier. Il faut dire que sur le front de l’accès aux soins, la situation s’est dégradée : selon le dernier baromètre santé CSA/Europ assistance, un Français sur quatre déclare avoir renoncé à se soigner au moins une fois pour raisons financières en 2012 (ils étaient 11 % trois ans plus tôt). Cette situation est d’abord le résultat de l’effritement progressif du niveau de prise en charge par l’assurance maladie obligatoire. Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) du ministère de la Santé, le taux de remboursement par la Sécu est passé de 80 % en 1980 à 75,5 % en 2011. Mais derrière cette baisse se cache un double mouvement : une hausse continue des prises en charge à 100 % de maladies de longue durée et, parallèlement, un fort recul des remboursements des soins de ville, les plus courants. Pour ces derniers, l’assurance maladie n’assure plus en moyenne qu’une prise en charge de 64 %. Dans un contexte où les dépassements d’honoraires des médecins se sont multipliés, une complémentaire santé, qui prend en charge tout ou partie des dépenses non remboursées par la Sécurité sociale, est indispensable : en 2012, selon la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF), les complémentaires ont remboursé en moyenne 222 euros de soins de ville par personne couverte, auxquels s’ajoutent 114 euros de dépassements d’honoraires.

Cette inflation a entraîné une augmentation du coût des assurances santé complémentaires. Selon l’Insee, celui-ci a bondi de 5,4 % en 2012 par rapport à 2011. Du coup, 4 millions de personnes ne bénéficiaient d’aucune couverture santé autre que l’assurance maladie obligatoire en 2012. Il existe cependant déjà des dispositifs pour couvrir les plus précaires. En 1999, une couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) a été créée. Elle permet aux usagers les plus pauvres de bénéficier de la gratuité des soins et concerne aujourd’hui près de 4,5 millions de personnes. Selon l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes), ce dispositif limite de moitié les renoncements aux soins pour ses bénéficiaires. En outre, une aide à l’acquisition d’une couverture maladie complémentaire (ACS) a été mise en place en 2005 pour les personnes dont les ressources ne dépassent pas 892 euros par mois. Elle est utilisée par 760 000 personnes, mais faute d’information, près des trois quarts des bénéficiaires potentiels n’ont fait aucune demande pour l’obtenir.

Un nouvel accord

C’est dans ce contexte qu’a été négocié l’accord national interprofessionnel (ANI) de janvier dernier. Son article 1er stipule que, d’ici 2016, toutes les entreprises devront proposer à leurs salariés une complémentaire santé dont la souscription sera obligatoire. Selon l’Irdes, 10,2 millions de personnes (58 % des salariés) bénéficient déjà de ces contrats dits collectifs. 390 000 salariés n’en ont pas. Les autres disposent de contrats individuels dont les garanties sont généralement inférieures pour un coût plus élevé que les contrats collectifs partiellement pris en charge par les entreprises. L’accord prévoit d’ailleurs que cette prise en charge devra être d’au moins 50 % à l’avenir. Enfin, l’ANI garantit une certaine portabilité des droits : les salariés qui quittent une entreprise pourront bénéficier de leur complémentaire collective pendant encore un an après leur départ.

L’absence de complémentaire santé, facteur d’aggravation des renoncements aux soins

La baisse de la prise en charge par l’assurance maladie obligatoire, notamment sur les soins de ville ( les plus courants), a pour effet d’augmenter le reste à charge (c’est-à-dire ce qui reste à payer par les malades après le remboursement par la Sécu) et participe à l’augmentation du coût des contrats d’assurance complémentaire. Pour les 6 % de la population sans complémentaire, ce reste à charge les incite à renoncer à des soins plus souvent que les autres (plus d’un tiers des personnes sans complémentaire déclare renoncer à des soins).

L’absence de complémentaire santé, facteur d’aggravation des renoncements aux soins

La baisse de la prise en charge par l’assurance maladie obligatoire, notamment sur les soins de ville ( les plus courants), a pour effet d’augmenter le reste à charge (c’est-à-dire ce qui reste à payer par les malades après le remboursement par la Sécu) et participe à l’augmentation du coût des contrats d’assurance complémentaire. Pour les 6 % de la population sans complémentaire, ce reste à charge les incite à renoncer à des soins plus souvent que les autres (plus d’un tiers des personnes sans complémentaire déclare renoncer à des soins).

Cet article 1er a été repris dans la loi sur la sécurisation de l’emploi débattue à l’Assemblée nationale le mois dernier. Toutefois, le législateur y a ajouté une clause : les branches professionnelles choisiront un organisme complémentaire après mise en concurrence des différents opérateurs d’assurances. Ce choix s’imposera ensuite à l’ensemble des entreprises de la branche. Seuls les plus gros opérateurs pourront satisfaire aux exigences des branches, ce qui, pour le législateur, devrait permettre de mieux mutualiser les risques et rationaliser le marché.

Sans surprise, cette clause est contestée par les mutuelles et les assureurs, qui y voient la volonté de transposer, à terme, dans le champ de la santé un système équivalent à celui des retraites complémentaires, gérées par des organismes paritaires (fédérés au sein de l’Agirc et de l’Arrco). Ce marché des contrats collectifs, estimé à 30 milliards d’euros, est partagé aujourd’hui entre ces institutions de prévoyance, gérées par les partenaires sociaux en charge des négociations de branche, qui contrôlent plus de 40 % du marché, contre 21 % pour les assureurs et 39 % pour les mutuelles. En revanche, ces dernières assurent 70 % des contrats individuels. C’est dire que la transformation des contrats individuels en contrats collectifs d’entreprise constitue pour elles un enjeu de taille.

Les limites d’une mesure

Au-delà de cette clause, le coût de cet accord pour les finances publiques est lui aussi discuté. En effet, les cotisations pour les complémentaires d’entreprise bénéficient d’exonérations de cotisations sociales, entraînant un manque à gagner de 2,3 milliards d’euros pour la Sécurité sociale, selon la Mutualité française. Certes, plus de 7 millions de salariés supplémentaires seront désormais mieux couverts grâce aux accords collectifs, mais sur les 4 millions de personnes qui ne bénéficient aujourd’hui d’aucune complémentaire santé, seules 390 000 seront concernées. Les retraités, les chômeurs ou encore les étudiants resteront en dehors du dispositif. Le rapport coût/avantages n’est donc pas évident : en comparaison, la CMU-C couvrait en 2010 plus de 4,3 millions de personnes pour un coût global annuel de 1,4 milliard d’euros seulement. D’ailleurs, pour compléter ce dispositif, Jean-Marc Ayrault a annoncé le réhaussement des plafonds de revenus en deçà desquels il sera possible de bénéficier de la CMU-C et de l’ACS. Selon Matignon, ces mesures devraient permettre à plus de 600 000 personnes d’être mieux couvertes, pour un coût de 250 millions d’euros par an. En outre, le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie formulera des propositions d’ici à l’été pour parfaire la généralisation des complémentaires, mais dans un contexte budgétaire serré, les marges de manoeuvre seront limitées.

Enfin, la généralisation des complémentaires santé acte le transfert de la prise en charge des soins de ville vers des acteurs privés. Or les complémentaires d’entreprise, par exemple, ne sont alimentées que par des cotisations sociales prélevées sur les salaires, tandis que le financement de l’assurance maladie obligatoire est en partie fiscalisé et ponctionne d’autres types de revenus. D’autres options, comme l’accroissement de la prise en charge par l’assurance maladie obligatoire d’un panier de soins resserré, auraient pu être envisagées.

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