Idées

Crédits aux entreprises : les PME sous tension

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Soumises à des règles plus strictes que par le passé, les banques ont mis un coup de frein aux crédits accordés aux entreprises. Les PME en souffrent davantage que les grands groupes, qui disposent de marges plus importantes et peuvent emprunter en émettant des obligations sur les marchés financiers.

Née fin 2012, la Banque publique d’investissement (BPI) constituait la première des 60 promesses du candidat Hollande. Regroupant trois organismes existants (Oséo, CDC Entreprises et le Fonds stratégique d’investissement), elle a pour mission, avec son budget de 40 milliards d’euros, d’aider à financer les petites et moyennes entreprises, les PME*, et les entreprises de taille intermédiaire, les ETI**. Cela dans un contexte de crise prolongée qui affaiblit les marges des entreprises et dissuade banquiers et investisseurs de prendre des risques. Il n’est pas sûr cependant que cela suffise, compte tenu de l’ampleur des difficultés rencontrées.

Un besoin de financement extérieur

Les entreprises ont en effet en permanence besoin de mobiliser des ressources financières pour leurs investissements, leurs projets de développement ou tout simplement leurs opérations quotidiennes. Pour ce faire, elles ont le choix entre plusieurs possibilités. L’autofinancement est la plus évidente : utiliser pour cela les bénéfices dégagés grâce à leur propre activité 1. Mais ces marges sont actuellement au plus bas; D’où une dépendance accrue aux financements extérieurs et la nécessité de les faciliter si on veut éviter que les entreprises renoncent à tout investissement, ce qui plomberait définitivement l’activité économique.

A l’extérieur, les entreprises peuvent se financer en empruntant auprès des banques ou plus rarement en émettant des obligations*** sur les marchés financiers, comme le font les Etats. Ces marchés ne sont cependant pas accessibles à toutes les entreprises : seules les grandes peuvent supporter les coûts associés (frais juridiques, dépenses de communication pour attirer les investisseurs...). De plus, les marchés d’obligations d’entreprise sont beaucoup moins développés en Europe qu’aux Etats-Unis : en 2011, les emprunts bancaires représentaient 79 % de l’endettement des entreprises en France, une proportion qui dépasse même 90 % pour les PME.

Resserrement du crédit aux PME

Cette forte dépendance aux banques pose particulièrement problème aujourd’hui, car les établissements financiers sont devenus plus exigeants suite à la crise. Pour tirer les leçons de la débâcle financière de 2008, les banques centrales et les régulateurs du secteur financier ont en effet exigé des banques d’augmenter la proportion de leurs capitaux propres par rapport à la quantité de prêts qu’elles accordent dans le cadre des accords dits de Bâle 3. A l’avenir, elles pourraient ainsi faire face à des défauts de paiements plus nombreux sans avoir à mobiliser les contribuables.

Pour cela, les établissements financiers ont émis de nouvelles actions**** ou réduit les dividendes versés aux actionnaires afin d’augmenter leurs capitaux propres, mais ils ont aussi donné un sérieux coup de frein aux crédits accordés aux entreprises. Et cela d’autant plus que la situation financière desdites entreprises s’est elle-même dégradée à cause de la crise. Les crédits bancaires n’ont ainsi augmenté que de 1 % en France l’an dernier, soit une baisse en volume compte tenu de l’inflation 2. Ce constat est malgré tout honorable quand on le compare avec la plupart de nos voisins : - 4,2 % au Royaume-Uni, - 2,2 % en Italie ou encore - 8 % en Espagne.

Du fait de la politique monétaire accommodante de la Banque centrale européenne (BCE) et de la confiance relative dont bénéficie encore l’économie française, les taux d’intérêt se situent pourtant actuellement à des niveaux très attractifs pour les entreprises : 2,7 % en moyenne en février dernier, contre 3,5 % fin 2011, selon la Banque de France.

Mais le taux d’intérêt n’est pas tout : encore faut-il que la banque accepte de prendre le risque de faire crédit. Au mois de mars, 34 % des dirigeants de PME françaises estimaient que les conditions d’accès au crédit étaient détériorées à cause de la crise, et près des deux tiers d’entre eux constataient un durcissement des exigences de leur banque, selon le baromètre CGPME-KPMG. "Les PME doivent se montrer encore plus persuasives que par le passé lorsqu’elles effectuent une demande de financement, en démontrant leur capacité à rembourser le crédit", explique Arnaud Debray, vice-président du Conseil national de l’ordre des experts-comptables.

L’association Paris Europlace a, quant à elle, récemment alerté les pouvoirs publics contre le risque d’une réduction progressive des financements bancaires pour les PME et les ETI. Les nouvelles normes prudentielles dites Bâle 3 devraient renchérir le coût du crédit bancaire de 1 % à 2 %, estime l’association, qui appelle à faciliter le financement obligataire. Elle propose par exemple de réformer les plans d’épargne en actions (PEA), un dispositif soutenu fiscalement, afin qu’ils puissent accueillir aussi des obligations d’entreprises.

Les multinationales à l’abri

Du côté des grands groupes, les difficultés sont moindres. La situation varie certes selon les secteurs : les constructeurs automobiles accusent des pertes records, tandis que les géants du luxe affichent encore des taux de croissance assez soutenus. Mais les perspectives des multinationales sont globalement meilleures car elles trouvent plus aisément des relais de croissance dans les pays émergents.

Les grands groupes "n’éprouvent pas de difficultés particulières à trouver des financements", explique Philippe Messager, président de l’Association française des trésoriers d’entreprises (Afte). Ils dégagent en effet un autofinancement confortable : fin juin 2012, les 70 principaux groupes français disposaient de 137 milliards d’euros de trésorerie cumulée, en hausse de 6 % sur un an. Par ailleurs, leur accès à l’endettement est plus aisé que pour les PME : les crédits qui leur ont été accordés ont augmenté de 6 % entre juin 2011 et juin 2012, selon la Banque de France.

Cela s’explique notamment par une moindre dépendance au crédit bancaire. Depuis le milieu des années 1990, les grands groupes recourent en effet de plus en plus au financement obligataire, un mouvement qui s’est accentué en réponse à la prudence accrue des banques. Fin 2011, les obligations représentaient ainsi 45 % de l’endettement des 70 principaux groupes français, contre 27 % trois ans plus tôt. Au sein du CAC 40, le ratio dépasse les 50 %. C’est aussi un moyen de diversifier les sources de financement : EDF est ainsi endettée en euros mais aussi en dollars, en livres sterling et en yens. Et moins de 40 % de sa dette sont détenus par des Français.

Evolution de l’endettement des entreprises non financières, en %

Les obligations présentent de plus l’avantage de pouvoir avoir une durée beaucoup plus longue que le crédit bancaire, qui va rarement au-delà de cinq ans : cette caractéristique intéresse particulièrement les groupes qui investissent dans des projets de très long terme - par exemple une centrale nucléaire, dont la durée de vie dépasse quarante ans. En 2011, GDF Suez a ainsi émis des obligations d’une durée record de cent ans. Le financement obligataire "impose moins de contraintes aux entreprises que le crédit bancaire, en termes de ratios financiers à respecter", ajoute Pascal Quiry, professeur de finance à HEC. Enfin, les taux d’intérêt sur le marché obligataire sont eux aussi historiquement bas actuellement : au début de l’année, JCDecaux a emprunté 500 millions sur cinq ans à un taux de 2 %, et Casino 750 millions d’euros sur dix ans à 3,3 %.

Il existe encore une dernière façon de s’endetter pour une entreprise : sur le dos de ses fournisseurs, en les payant avec retard. Mais cela crée évidemment chez les fournisseurs en question un besoin de trésorerie qui les oblige à chercher des financements extérieurs supplémentaires. A ce jeu de mistigri, ce sont bien sûr toujours les "gros" (constructeurs automobiles, Etat, grands distributeurs) qui gagnent contre les "petits" (PME, artisans...). C’est la raison pour laquelle les pouvoirs publics cherchent à limiter ce mode de financement en encadrant plus strictement les délais de paiement : depuis 2009, les entreprises doivent impérativement payer leurs fournisseurs moins de soixante jours après l’émission par celui-ci de sa facture.

  • 1. Un cas extrême en la matière : le géant américain Apple, qui dispose d’environ 100 milliards de dollars en cash.
  • 2. Cette faible croissance s’explique par la prudence des banques mais aussi, en partie, par la baisse des demandes de crédit : vu la conjoncture, les entreprises retardent ou annulent leurs projets d’investissement.
* PME

Entreprise de moins de 250 salariés, avec un chiffre d'affaires inférieur à 50 millions d'euros ou un total de bilan inférieur à 43 millions d'euros.

** ETI

Entreprise de moins de 5 000 salariés, dont le chiffre d'affaires n'excède pas 1,5 milliard d'euros ou le total du bilan 2 milliards d'euros.

*** Obligation

Produit financier par lequel son détenteur prête de l'argent à une entreprise, en contrepartie de quoi il perçoit un revenu fixe (les intérêts) et il est remboursé à l'échéance.

**** Action

Produit financier qui procure à son détenteur la propriété d'une partie du capital d'une entreprise, associée à des droits de vote et à un revenu variable appelé le dividende. La durée de vie d'une action est illimitée.

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