Pourquoi l’Etat français emprunte à des taux d’intérêt aussi bas

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Depuis le mois d’avril dernier, le taux des obligations du Trésor français à dix ans est passé sous la barre des 2 %. Pour les maturités les plus courtes, les rendements sont même redevenus négatifs, comme ce fut déjà le cas en juillet 2012 : une adjudication de bons du Trésor à trois mois le 6 mai dernier est ressortie au taux de - 0,004 %. Autrement dit : les investisseurs sont prêts à payer (un tout petit peu) pour avoir le droit de mettre leur argent dans un placement qu’ils estiment sûr. Paradoxalement, alors que la note de la France a été dégradée par l’agence Standard & Poor’s début 2012, que l’objectif de déficit budgétaire n’est pas atteint et que la dette publique augmente inexorablement, l’Etat français emprunte donc à bien meilleur compte aujourd’hui que lorsqu’il bénéficiait d’un triple A unanime et affichait un déficit et une dette moindres.

Sans risque

Pourquoi ? Ce n’est pas l’amélioration de la qualité intrinsèque de la signature française qui explique l’engouement des marchés pour les titres publics (français, mais aussi d’autres Etats), mais le contexte très particulier créé par la crise. Les banques centrales pratiquent une politique monétaire hyperaccommodante sans parvenir, du moins dans la zone euro, à raviver l’économie. Résultat : les banques et les autres investisseurs institutionnels ont accès à une liquidité surabondante et quasiment gratuite, mais ils ne croient pas suffisamment à la reprise pour prendre des risques en faisant crédit aux entreprises. Tous cherchent donc à placer leurs billes dans des actifs "sans risque". Malgré leurs difficultés budgétaires, les Etats apparaissent toujours comme les emprunteurs les plus sûrs. Du moins ceux qui s’endettent dans leur propre monnaie : leur banque centrale nationale, pourvue du pouvoir de création monétaire, garantit qu’ils honoreront leurs engagements quoi qu’il arrive. C’est le cas des Etats-Unis, du Royaume-Uni ou du Japon, qui empruntent à des taux encore plus bas que la France, malgré des comptes publics plus dégradés. Dans la zone euro, en revanche, la BCE n’est a priori pas censée jouer ce rôle. Aussi la possibilité d’un défaut sur les dettes publiques a- t-elle propulsé les coûts de financement de certains Etats à des niveaux insoutenables depuis 2010. Ce n’est pas le cas de la France pour l’instant. Pourrait-elle cependant les rejoindre et susciter à son tour la défiance des marchés ? Pour l’économiste américain Paul Krugman, cette crainte est erronée : "Les marchés savent que la BCE ne laissera jamais la France faire défaut ; sans la France, il n’y a plus d’euro"1.

Taux des emprunts d’Etat français à 10 ans, en %

Économies

C’est donc plus à sa position centrale dans la zone euro qu’à sa vertu budgétaire que la France doit le privilège de s’endetter à bon marché. Malgré la morosité qu’elle trahit, cette situation a au moins le mérite de soulager les finances publiques. Alors que la dette publique s’est accrue de 40 % de 2008 à 2012, la charge de la dette a baissé de 8 % ! S’il avait fallu payer, sur les 1 834 milliards d’euros de la dette publique, le niveau de taux d’intérêt moyen enregistré depuis 1999, les administrations publiques auraient dû débourser 24 milliards en plus en 2012.

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