La transition énergétique à la peine

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La France est loin du compte en matière d'efficacité énergétique et de renouvelables. Le point sur le débat national en cours.

Les enjeux du débat

"L’enjeu du débat sur la transition énergétique ? Montrer que décider d’évoluer vers une société décarbonée et deux fois moins énergivore est un choix désirable. Que cette voie est du côté des solutions et non des problèmes. Que c’est une opportunité pour créer des emplois et répondre à la crise", sourit Alain Grandjean. Le président du groupe des experts du Conseil national du débat sur la transition énergétique (CNDTE) sait que la partie est loin d’être gagnée : "Le marasme économique crispe tout le monde et renforce l’immobilisme actuel."

Les problèmes sont connus et analysés de longue date, mais ils ne font pourtant que s’aggraver. Le premier enjeu, c’est le changement climatique. Depuis une loi de 2005 1, la France s’est engagée officiellement à diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050. Mais elle ne s’en est toujours pas donné concrètement les moyens 2. En particulier, les efforts de la précédente majorité pour mettre en place une taxe carbone n’ont pas abouti. De plus, la France s’est engagée aussi vis-à-vis de l’Union européenne à produire 23 % de son énergie à partir de sources renouvelables d’ici à 2020. A 11,5 % en 2011, elle était le pays de l’Europe des 27 le plus en retard sur ses engagements.

En avril dernier, la polémique sur la fiscalité du gazole a encore rappelé qu’entre immobilisme et changement, les arbitrages ne sont pas rendus. La légitime préférence pour le présent continue d’être largement perçue comme antagonique avec le souci du futur. D’où l’urgence de se remettre à l’ouvrage, avec le lancement, à l’issue de la dernière conférence environnementale, d’un débat national devant aboutir à la rentrée à des propositions, puis à l’automne, à une loi de programmation définissant objectifs, échéances et moyens. Cependant, la crise économique et le caractère global, diffus et lointain de la menace climatique restent des freins majeurs à l’action.

Il n’en va pas de même du deuxième enjeu du débat actuel, concret et immédiat : l’explosion de la facture énergétique. En 2004, au moment où le prix du pétrole a commencé à s’envoler, l’ardoise s’élevait à 28 milliards d’euros pour la France. En 2012, elle a atteint 69 milliards. C’est l’équivalent de 3,4 % du produit intérieur brut (PIB) hexagonal, 140 % du service de la dette publique, le coût de 1,4 million d’emplois ou encore près de deux fois le nouveau tour de vis budgétaire que les Français vont devoir supporter en 2013 (36 milliards). Il est donc plus qu’urgent que la France cesse d’enrichir les producteurs d’hydrocarbures et d’uranium et investisse massivement pour réduire sa consommation d’énergie importée. Ce qui se traduira par des centaines de milliers de créations d’emplois locaux qui en retour nourriront la demande et donc relanceront la machine économique (et contribueront au rééquilibrage des finances publiques grâce aux recettes fiscales générées).

Diviser par deux la consommation

Face à ces questions graves, bon nombre de citoyens ont le sentiment que l’on se moque d’eux, grossissant les rangs de ceux qui se désintéressent du débat en cours, passé jusqu’ici largement inaperçu. A quoi bon en effet une grand-messe de plus ? Tout n’a-t-il pas déjà été dit ? Ne savons-nous pas déjà ce qu’il faut faire ? Qu’attendons-nous pour agir ?

Il serait cependant faux de considérer que ce débat n’a rien apporté. Il a au contraire déjà permis de déblayer le terrain. Comme le rappelle Bruno Rebelle, l’un des sept membres du comité de pilotage de ce débat : "Avant de rentrer dans le détail des mesures à préconiser, nous avons demandé aux différentes parties prenantes de se prononcer sur les critères auxquels devrait répondre la transition énergétique. Il est apparu qu’il y avait un consensus, y compris chez les industriels, sur le principe d’une division par quatre des émissions à l’horizon 2050.""Ce préalable posé, poursuit Bruno Rebelle, les différents scénarios de prospective énergétique, d’où qu’ils émanent, ont été étudiés à la loupe. Ils ont permis de mesurer les potentiels des différentes mesures, entre développement des sources non émettrices de CO2 dans le mix énergétique, d’une part, et économies d’énergie, de l’autre."

Consommation d’énergie primaire, en millions de tep
Evolution du prix du pétrole, en euros
Comparaison France-Allemagne de l’intensité énergétique du PIB, en kg d’équivalent pétrole pour 1 000 euros de PIB
Facture énergétique et déficit commercial, en milliards d’euros

Conclusion des travaux des experts sollicités pour éclairer la discussion : une division par quatre des émissions de gaz à effet de serre en 2050 implique une division par deux de la consommation d’énergie, donc des efforts d’efficacité drastiques dans les secteurs les plus énergivores, à commencer par le bâtiment résidentiel-tertiaire (44 % de la consommation d’énergie finale) et les transports (32 %). Cette conclusion a cependant suscité une crispation du côté du patronat et en particulier chez EDF et Areva, qui bataillent contre l’idée qu’il faudrait rechercher une baisse drastique de la demande énergétique. Le débat sur la transition aura ainsi au moins permis de poser correctement les termes de l’équation, et ce n’est pas rien.

Des pistes à suivre

Reste à savoir si, au final, la loi de programmation retiendra l’objectif d’une division par deux de la demande d’énergie (à satisfaction égale des besoins), en dessinant une trajectoire crédible pour y parvenir. Le débat a fait en tout cas émerger des priorités, au premier rang desquelles la rénovation thermique des bâtiments et des logements. Elle représente un énorme gisement d’économies d’énergie comme d’emplois. Les progrès dans ce domaine risquent toutefois d’être décevants, souligne Alain Grandjean, si l’on n’instaure pas des obligations de rénovation thermique au moment de la mise en location ou de la vente des logements. Or, leur principe reste très controversé et leur acceptabilité dépendra de la progressivité de la contrainte et du niveau des aides. De même, "l’autre grand enjeu que constituent les transports est resté un "trou noir" du débat", regrette Bruno Rebelle, qui pointe la complexité d’un sujet où se combinent aménagement du territoire (pour réduire la distance entre domicile et travail), choix industriels et comportement des usagers.

La question des coûts et du financement, enfin, a été étudiée avec plus de soin que lors du Grenelle. Le débat a logiquement conclu à la nécessité de renforcer les outils existants, à commencer par la fiscalité sur l’énergie et le marché du CO2. Et d’en créer de nouveaux, en particulier la possibilité pour les territoires de collecter l’épargne qui cherche à s’investir dans des projets locaux ou des emprunts publics destinés à investir dans l’efficacité énergétique, garantis au niveau européen et sortis du calcul de la dette publique. Ce qui serait une révolution.

  • 1. Loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique (dite loi Pope) du 13 juillet 2005.
  • 2. Voir "L’après-Grenelle est-il bien reparti ?", Alternatives Economiques n° 317, octobre 2012, disponible dans nos archives en ligne.

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