Insécurité : la valse des chiffres

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Les statistiques récentes confirment les tendances observées ces dernières années. Mais n'empêchent pas les polémiques habituelles.

La récente polémique autour des données de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), révélant une apparente montée de l’insécurité (voir encadré), a une nouvelle fois prouvé que les statistiques de la délinquance sont à manier avec prudence. Les variations de ces chiffres traduisent en effet bien souvent celles de l’activité des forces de l’ordre. En outre, on ne peut s’appuyer sur un chiffre unique de la délinquance au risque d’agréger des faits de nature et de gravité très variées. Les statistiques de la police et de la gendarmerie doivent donc être croisées avec d’autres sources. Celles du ministère de la Justice permettent notamment de connaître les crimes et délits faisant réellement l’objet de poursuites, et d’en estimer la gravité. Les enquêtes de victimation, comme celle menée par l’Insee "Sécurité et cadre de vie" depuis 2007 sur un échantillon de 17 000 personnes, permettent quant à elles de mieux mesurer le sentiment d’insécurité, ainsi que les faits qui ne font pas l’objet d’une plainte.

Qu’observe-t-on lorsqu’on confronte ces différentes sources ? Que les tendances de long terme demeurent à peu près les mêmes : un recul global des atteintes aux biens, et une progression des atteintes aux personnes liée pour l’essentiel à une moindre tolérance sociale à des infraction de faible gravité et à une plus grande judiciarisation de la vie collective.

La majorité des faits de délinquance demeurent des atteintes aux biens. Celles-ci connaissent toutefois une chute régulière depuis une quinzaine d’années : leur taux est passé de 48 à 34 actes pour 1 000 habitants entre 1998 et 2011 1. Pour un quart de ces infractions, il s’agit de vols de véhicules ou de vols dans des véhicules, un type de délit qui est en baisse grâce à de meilleurs procédés de protection des voitures : autoradios encastrés, renforcement des vitrages, géolocalisation, etc.

Une catégorie d’atteintes aux biens a cependant connu une forte augmentation ces dernières années : les cambriolages (+ 33 % en trois ans). Selon une enquête de victimation exploitée par l’ONDRP en 2010, 55 % des personnes cambriolées déclarent des vols de bijoux, 47 % des vols de matériel hi-fi, photo ou vidéo, 37 % des vols d’argent liquide et 26 % des vols de matériel informatique. "Ce sont les objets facilement monnayables qui sont recherchés", note Floréal Sanchez, chargé de mission à la direction du pôle "Incendie, accidents et risques divers" à la Macif. C’est le cas en particulier des bijoux en or : avec la hausse du cours du métal jaune (multiplié par six en dix ans), "les structures de rachat, y compris sur Internet" ont connu un essor important.

De même, les vols à la tire et les autres types de vols dans des lieux publics ont légèrement augmenté depuis cinq ans. Même si, selon l’ONDRP, les vols de téléphones portables semblent se stabiliser, les smartphones et autres mobiles sont souvent la cible de ce type d’infractions.

Enfin, les destructions et les dégradations, qui sont un facteur de développement du sentiment d’insécurité dans les quartiers défavorisés, demeurent importantes. Toutefois, si le nombre de faits enregistrés par les forces de l’ordre a baissé (car les moins graves d’entre eux font maintenant l’objet de simples contraventions), il tend toujours à augmenter d’après les enquêtes de victimation.

Nombre de faits constatés en 2012 en France pour 1 000 habitants, selon le type d’actes

Quant aux escroqueries et aux infractions économiques et financières, elles sont elles aussi en progression, quoiqu’à un niveau relativement modeste : de 5 à 7,5 faits pour 1 000 habitants en quinze ans. Mais elles sont en réalité très sous-estimées. Le piratage des cartes de crédit n’est en effet plus comptabilisé depuis 2009 : les victimes étant les banques, qui remboursent la totalité des sommes ainsi dérobées à leurs clients, ces plaintes ont cessé d’être enregistrées. La chute des chèques sans provision (du fait d’une moindre utilisation de ce mode de paiement) a donc été compensée par d’autres formes de délinquance, liées aux moyens de paiement électroniques.

Montée des agressions ?

Comment interpréter, en revanche, l’apparente augmentation des atteintes aux personnes, qui passent de 4 pour mille à 7,5 pour mille en quinze ans ? Peut-on en conclure, comme Fabien Jobard, chercheur au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip), que si les voitures sont de mieux en mieux protégées par les constructeurs, c’est moins le cas des citoyens, en particulier dans les quartiers populaires ? Pour Laurent Mucchielli, la croissance des atteintes aux personnes constatées par la police est surtout due à une baisse de notre seuil de tolérance du fait de la pacification globale des moeurs dans la société. Et de rappeler que les enquêtes de victimation contredisent cette montée des violences. L’ONDRP confirme qu’une partie de la hausse des violences physiques depuis les années 2000 tient à la requalification en délits d’actes qui faisaient autrefois l’objet de simples contraventions.

Les crimes et délits constatés par la police et la gendarmerie en 2012

On voit d’ailleurs que les vols à main armée et les vols commis avec des armes blanches 2, qui ne représentent que 1 % de l’ensemble des vols, ont tendance à baisser. Ce sont les autres types d’agressions (bagarres, coups et blessures...), dix fois plus nombreux, qui augmentent. Quant aux homicides et tentatives d’homicide, ils ne dépassent pas respectivement le nombre de 700 et 1 200, les premiers ayant été divisés par trois depuis le milieu des années 1980. Comme les viols, ils sont le plus souvent commis par des proches, dans le cadre familial.

Le sentiment d’insécurité, quant à lui, a tendance à augmenter dans les enquêtes de victimation. Il est bien sûr lié à l’insécurité économique et sociale, mais aussi, rappelle Laurent Mucchielli, aux incivilités, ces comportements agressifs quotidiens en tout genre qui ne sont pris en compte dans aucune statistique, faute, notamment, d’une définition précise.

Zoom Une nouvelle polémique sur les chiffres

L’opposition a récemment dénoncé "l’échec spectaculaire" du gouvernement actuel en matière de sécurité, en s’appuyant sur l’augmentation apparente de certains délits entre mars 2012 et mars 2013. Or, la comparaison doit se faire sur douze mois glissants pour avoir du sens. De même, durant cette période, des écarts étonnants sont apparus entre les chiffres de la police et ceux de la gendarmerie. Ainsi, les atteintes aux personnes auraient augmenté en un an de 0,1 % selon la police et de 18 % selon la gendarmerie. Comme le rappelle l’ONDRP, ces écarts proviennent en réalité de la mise en place, en janvier 2012, d’un nouveau logiciel au sein de la gendarmerie, Pulsar, qui recense automatiquement toutes les plaintes, y compris celles liées aux affaires en suspens qui n’étaient pas enregistrées auparavant.

Toutefois, note Laurent Mucchielli, les enquêtes de victimation ne concernent que les "personnes de plus de 14 ans, qui ont un domicile fixe". En sont exclues les personnes en très grande précarité, SDF ou vivant en foyer, "pourtant les plus exposées à l’insécurité".

Nous sommes en effet très inégaux face à l’insécurité. Une meilleure adéquation de l’offre de sécurité avec le territoire (par le redéploiement des forces entre police et gendarmerie et le développement des zones de sécurité prioritaires) ferait d’ailleurs forcément grimper les statistiques de la délinquance et exige de rompre avec le fétichisme du chiffre.

  • 1. Du fait de la rupture de série introduite en 2012 par la mise en service de la base de données Pulsar dans les statistiques de la gendarmerie, nous préférons nous limiter aux évolutions jusqu’en 2011.
  • 2. Egalement prises en compte dans les atteintes aux biens.

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