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Zone euro : attention à la déflation !

7 min

L'effondrement de l'inflation dans la zone euro a ouvert la voie à une nouvelle baisse des taux d'intérêt. Sans parvenir pour autant à ranimer les économies les plus touchées par la contraction du crédit. La BCE cherche d'autres solutions.

Pour la quatrième fois depuis l’entrée en fonction de Mario Draghi, la Banque centrale européenne (BCE) a abaissé son taux directeur. Elle l’a ramené en mai à un plancher historique de 0,5 %. Largement attendue, cette décision s’explique par l’aggravation de la récession, avec un sixième trimestre consécutif de baisse de l’activité dans la zone euro début 2013, et par l’effondrement du taux d’inflation, tombé à 1,2 % en avril. Hors énergie, produits alimentaires, tabac et alcool, la hausse des prix se limite désormais à 1 % sur l’ensemble de la zone. Elle est même négative en Grèce et en Irlande et se rapproche dangereusement de zéro à Chypre, au Portugal, en Slovénie, à Malte, mais aussi en France (voir tableau). Si elle semble moins prononcée en Italie (1,5 %) et en Espagne (2,2 %), c’est dans une large mesure en raison de l’impact sur les prix du relèvement des impôts indirects. A quoi s’ajoute, dans le cas de l’Italie, la faiblesse persistante de la productivité qui freine la baisse des coûts salariaux unitaires.

Niveau et tendance de l’inflation sous-jacente, en %

La convergence des taux d’inflation vers zéro n’est certes pas propre à l’Europe. Aux Etats-Unis, où l’activité progresse au rythme de 2 % l’an, la mesure de l’inflation suivie par la Fed, la banque centrale américaine, se situe aussi à 1 %. Au Japon, la banque centrale vient de prendre des mesures exceptionnelles pour mettre un terme à la déflation qui sévit depuis la fin des années 1990. Dans l’ensemble des économies développées, l’ampleur du sous-emploi et des capacités de production inutilisées pèsent sur la formation des prix. La tendance désinflationniste est accentuée par la baisse des prix des matières premières qui, hors énergie, ont reculé de 10 % en dollars en 2012, sous l’effet notamment du ralentissement marqué de la croissance dans les économies émergentes.

La zone euro vulnérable

Dans un tel environnement, le risque déflationniste*, entrevu au paroxysme de la crise financière en 2008-2009, redevient d’actualité. S’il ne s’est pas concrétisé jusqu’à présent, c’est principalement pour deux raisons, selon une étude récente du Fonds monétaire international (FMI). La première tient au succès des stratégies de ciblage du taux d’inflation, qui ont permis de stabiliser les anticipations inflationnistes. Convaincus que les banques centrales mettront tout en oeuvre pour atteindre leur objectif, les agents économiques prennent leurs décisions sur la base de la cible d’inflation fixée par la banque centrale (généralement 2 %) ; ils contribuent ainsi à la formation d’un environnement dans lequel les prix augmentent tendanciellement de 2 %. La seconde tient à la rigidité des salaires nominaux, qui constitue un barrage puissant à la déflation : l’effet négatif d’une montée du chômage sur les salaires est atténué par la résistance des salariés à toute amputation de leur feuille de paie.

Taux d’inflation dans la zone euro et taux directeur de la BCE, en %
Taux bancaires des prêts aux PME jusqu’à un million d’euros sur un à cinq ans, en %

La zone euro se distingue sur ces deux points des autres grandes économies industrialisées. En premier lieu, l’objectif d’inflation qu’elle poursuit (proche mais inférieur à 2 %) se rapporte à la moyenne pondérée des taux d’inflation des pays qui la composent. La BCE n’est donc pas tenue, a priori, de parer à la divergence possible des taux d’inflation nationaux. Or, celle-ci a d’autant plus de chances de se produire que les conjonctures nationales sont diverses et que les mécanismes de formation des salaires diffèrent d’un pays à l’autre. A cela s’ajoute, dans le contexte présent, le fait que la déflation interne des prix et des salaires est au coeur de la conditionnalité exercée par la Commission européenne, le FMI et la BCE elle-même pour rétablir la compétitivité des économies en crise. Au vu des baisses de salaires enregistrées récemment au Portugal et en Espagne, ces deux pays pourraient s’ajouter assez rapidement à la Grèce et à l’Irlande dans la liste des pays gagnés par la déflation.

Relancer le crédit

Si la BCE s’est montrée peu sensible jusqu’à présent à la diffusion des pressions déflationnistes, elle semble, en revanche, décidée à endiguer la crise du crédit qui frappe les économies périphériques de la zone. En chute libre en Espagne (- 13 % sur un an), les encours de crédit aux entreprises reculent sensiblement dans la moitié des pays de la zone, y compris en Italie et en Belgique. Si la récession provoque spontanément une baisse de la demande de crédits, le niveau anormalement élevé des taux d’intérêt sur les prêts aux PME (voir graphique) est le signe d’un rationnement de l’offre de crédits qui risque de faire basculer l’Espagne et l’Italie dans la dépression.

Totalement dépendantes des banques pour leur financement, les PME génèrent dans ces deux pays entre 65 % et 80 % de l’emploi total. Le découplage de plus en plus net des taux sur les prêts bancaires observé entre la périphérie et le coeur de la zone euro depuis le début de la crise signifie que la politique monétaire de la BCE est largement inopérante dans la moitié de la zone. Fragilisées par la crise de la dette souveraine et l’accumulation de créances douteuses à leur actif, les banques périphériques sont tenues d’acquitter des marges de risque élevées sur les marchés interbancaires. La hausse des coûts de refinancement atténue l’impact du bas niveau des taux offerts par la BCE et limite leur répercussion sur les taux accordés au secteur privé.

La BCE, en d’autres termes, a beau abaisser son taux directeur et abreuver les banques de liquidités, cet argent ne parvient pas dans les pays en crise à leurs destinataires naturels, les entreprises et les ménages, qui continuent d’assumer des charges exorbitantes sur les emprunts contractés. Tandis que les grandes entreprises peuvent contourner le problème en s’adressant directement aux marchés de capitaux, les PME sont frappées de plein fouet par le coût des crédits bancaires. Avec des taux à près de 6 % sur les PME, contre 3,5 % en France, la politique monétaire est plus restrictive en Italie aujourd’hui qu’elle ne l’était en 2005-2006, lorsque le taux directeur de la BCE était à 3,75 %.

Pour la première fois en mai, la BCE a envisagé des solutions possibles à ce problème. Une première piste, évoquée le 2 mai, consisterait à inciter les banques à prêter davantage en pénalisant par un taux négatif les réserves ou les liquidités en excès qu’elles déposent à la banque centrale. Pratiquée au Danemark, cette mesure risque d’être peu opérante dans le cas de la périphérie européenne, les banques pouvant choisir de placer leurs liquidités dans des titres sûrs, tels les titres de la dette publique allemande, plutôt que d’accroître leurs prêts au secteur privé.

Une seconde option, plus radicale, consisterait à racheter aux banques les créances qu’elles détiennent sur les PME. En libérant les banques des risques associés à ces prêts, la BCE créerait une puissante incitation à la reprise du crédit aux entreprises. Cette solution s’apparente à la politique de rachat de titres hypothécaires mise en oeuvre depuis 2009 par la Fed pour relancer le marché du crédit immobilier. Elle pose toutefois, dans le cas de la BCE, un redoutable problème d’allocation géographique des achats. Contrairement à la Fed, le problème de la BCE n’est pas de faire baisser le niveau moyen des taux sur une catégorie particulière de prêts, mais d’encourager la reprise du crédit dans les pays les plus touchés par la crise. Comment mener une telle politique sans pratiquer un traitement discriminatoire selon les pays ? Et si tous les pays peuvent en bénéficier de la même façon, comment s’assurer que les banques n’en profiteront pas pour relâcher leurs critères de prêts dans les pays où le crédit n’est pas rationné ? Des objections que ne manqueront pas de soulever les opposants à l’activisme de la BCE, à commencer par la Bundesbank.

* Déflation

Situation de baisse sensible et continue du niveau général des prix. Elle constitue un risque majeur pour l'économie parce qu'elle affecte négativement les profits des entreprises, encourage le report des décisions de dépense et accroît la valeur réelle des dettes. Elle est très difficile à combattre dans la mesure où les taux d'intérêt ne peuvent descendre en dessous de zéro.

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