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Allemagne : jusqu’ici tout va bien...

7 min

Angela Merkel profite de performances économiques moins mauvaises qu'ailleurs. Pour l'instant.

Le 22 septembre prochain, des élections générales se tiendront en Allemagne. A priori, Angela Merkel devrait l’emporter haut la main, alors que partout ailleurs les gouvernements sortants sont balayés. Il faut dire que l’économie allemande a mieux résisté que les autres à la crise. Pour l’avenir, il n’est pas certain toutefois que cette exception perdure.

Il faut tout d’abord ramener les performances allemandes à leur juste proportion. Le produit intérieur brut (PIB) de notre voisin ne devrait dépasser en 2013 que de 2,9 % son niveau de 2008. Alors qu’aux Etats-Unis, il devrait être supérieur cette année de 5,2 % à son niveau d’il y a cinq ans. De même, après la récession de 1993, la production allemande dépassait en 1997 de 5,8 % son niveau de 1992. Bref, l’économie allemande a été en réalité poussive ces derniers temps. Mais évidemment, quand on la compare aux économies espagnole, italienne ou grecque, au pays des aveugles, les borgnes sont rois...

Un marché du travail très rigide

La relative résistance de l’économie allemande doit beaucoup au manque de flexibilité de son marché du travail. En 2009, malgré une récession plus marquée qu’en France, l’Allemagne n’avait perdu aucun emploi, alors que 480 000 disparaissaient dans l’Hexagone. Cette stabilité de l’emploi était due au recours massif au chômage partiel et aux accords trouvés au sein des entreprises pour préserver l’emploi. Ces pratiques, classiques en Allemagne, n’ont cependant aucun rapport avec les réformes du marché du travail menées par Gerhard Schröder au début des années 2000, qui visaient au contraire à en accroître la flexibilité. Cette rigidité a permis de maintenir la demande intérieure et facilité ensuite le redémarrage de l’industrie allemande.

Depuis, le chômage a continué de reculer en Allemagne, pour atteindre 5,4 % seulement en juin dernier, contre 11 % en France. Cela tient en partie au faible dynamisme démographique du pays : entre 2008 et aujourd’hui, la population active a augmenté quasiment deux fois plus en France (+ 2,6 %) qu’en Allemagne (+ 1,4 %).

Hausse (+) ou baisse (-) de la part des salaires dans le PIB à prix courants entre 2008 et 2013 en points de PIB

En outre, les Allemands ont préféré réduire leur temps de travail afin de pouvoir travailler (presque) tous. En 2008, selon Eurostat, un salarié allemand travaillait en moyenne 34,9 heures par semaine, contre 35,2 en France. Cette durée était tombée à 34,2 heures en 2009, mais elle n’est remontée qu’à 34,6 heures en 2012, contre 35,1 heures en France. Autrement dit, les Allemands ont réduit trois fois plus leur temps de travail que les Français depuis la crise. Du coup, leur productivité, c’est-à-dire la quantité de richesses produite par chaque personne en emploi, a diminué de 0,8 % depuis 2008, alors qu’en moyenne elle a augmenté de 2 % dans la zone euro (et de 1,5 % en France). Si la productivité avait évolué comme en Allemagne, l’économie française compterait 630 000 emplois de plus et nous n’aurions "que" 270 000 chômeurs de plus qu’en 2008 au lieu de 900 000... Parallèlement les salaires allemands ont aussi augmenté un peu plus qu’ailleurs : + 11,4 % entre début 2008 et début 2013, contre + 10,4 % dans la zone euro.

Taux d’intérêt réel à long terme (inflation déduite), en %
Excédents extérieurs allemands en milliards d’euros

Combinés ces deux mouvements ont fait remonter la part des salaires dans le PIB allemand à 59 % cette année, selon la Commission européenne, contre 58,8 % en France. Cette part retrouve ainsi quasiment son niveau de la fin des années 1990, avant les fameuses réformes Schröder, alors qu’elle était descendue à 55,2 % en 2007. La hausse intervenue depuis est la plus importante de toute la zone euro. L’Allemagne s’en sort donc grâce à un marché du travail peu flexible et à la réduction du temps de travail, tout en ayant amputé plus que les autres les profits des entreprises : pas vraiment la tasse de thé de la troïka...

La bonne affaire de la baisse des taux d’intérêt

Par ailleurs l’économie allemande avait été pénalisée avant la crise par des taux d’intérêt réels (une fois l’inflation déduite) plus élevés d’un point environ vis-à-vis de la France et du reste de la zone euro. Les investisseurs accordaient en effet à l’époque quasiment les mêmes taux à l’Espagne ou à la Grèce qu’à l’Allemagne, qui pourtant avait moins d’inflation que ces pays. Mais avec la crise, ces taux ont plongé pour l’Allemagne. Ce préjugé très favorable aujourd’hui n’est probablement pas plus rationnel que celui qui la pénalisait excessivement hier. L’Allemagne reste en effet confrontée à des défis majeurs : elle a 2 200 milliards d’euros de dette publique, contre 1 940 pour la France, mais d’ici trente ans, il devrait y avoir moins d’Allemands que de Français pour la rembourser.

En attendant cette chute des taux d’intérêt a donné un coup de pouce majeur à l’économie outre-Rhin. Si les taux sur sa dette publique étaient restés les mêmes qu’en 2008, l’Etat allemand aurait dû dépenser 100 milliards d’euros en plus entre 2009 et 2013. Or, dans le même temps, l’Allemagne ne s’est guère engagée qu’à hauteur de 70 milliards d’euros pour aider la Grèce, l’Irlande, le Portugal, Chypre et l’Espagne. Une aide qui ne consiste d’ailleurs pas en dons, mais en prêts. La crise a donc été jusqu’ici plutôt une bonne affaire pour les finances publiques allemandes.

Mais ces faibles taux ont profité aussi aux ménages allemands, qui pouvaient, en moyenne, emprunter en juin dernier à 2,6 % par an pour acheter une maison, contre 3,1 % pour un Français. De même, une entreprise allemande empruntait plus d’un million d’euros pour un à cinq ans à 2,6 % par an, contre 4 % en Italie et 7,9 % en Grèce. Ces bas taux d’intérêt sont notamment à l’origine d’un début de bulle immobilière dans une Allemagne qui, avant la crise, s’était singularisée par une stabilité totale du prix des logements. Selon la Bundesbank, les logements neufs ont augmenté en moyenne de 4,9 % en 2010, puis de 9,1 % en 2011 et de 11 % en 2012 dans les sept plus grandes villes du pays. Cette envolée a été au coeur de la campagne électorale.

Des exportations dopées par l’euro faible

Enfin, l’euro flirtait avec les 1,6 dollar en 2008, alors qu’il tourne autour de 1,3 dollar aujourd’hui, une diminution de l’ordre de 15 %. Vis-à-vis du yuan chinois, la baisse est même de l’ordre de 25 %. C’est une bonne nouvelle : pour ramener de l’industrie en Espagne ou au Portugal et des touristes en Grèce, il faudrait que l’euro se rapproche encore de sa parité de départ avec le dollar. Mais en attendant, comme c’est l’industrie allemande qui exportait déjà le plus hors zone euro avant la crise, c’est elle aussi qui a le plus profité de l’avantage compétitif donné par la baisse de l’euro. Elle a pu compenser ainsi hors zone euro les exportations perdues dans la zone du fait de la crise. En 2007, les excédents extérieurs allemands pesaient 181 milliards d’euros et provenaient à 60 % de la zone euro. L’an dernier, ces excédents étaient montés à 185 milliards d’euros, mais ils n’étaient plus tirés qu’à 32 % de la zone euro.

Au total, la baisse des taux d’intérêt et la bonne tenue des exportations ont permis une hausse de 3,6 % de la demande intérieure allemande depuis 2008. Cette hausse, limitée par une politique budgétaire très restrictive depuis 2010, reste toutefois très insuffisante pour compenser la baisse massive intervenue dans les pays en crise.

Jusqu’ici cela ne va donc pas trop mal pour les Allemands, même si les causes de ce relatif succès ont peu à voir avec le discours officiel à ce sujet du gouvernement de notre voisin. Angela Merkel devrait en profiter électoralement. La suite risque cependant d’être plus compliquée. Il n’est pas sûr en particulier que les exportations hors zone euro puissent continuer à tirer l’économie allemande. Le ralentissement est marqué, et probablement durable, en Chine. Et, de toute façon, l’industrialisation massive des pays émergents, qui a tiré les exportations allemandes depuis le début des années 2000, devrait se tasser. Sans compter la capacité croissante des offreurs asiatiques à concurrencer les industriels allemands, comme cela a déjà été le cas de façon spectaculaire dans le photovoltaïque. Bref, il n’est pas sûr qu’à la fin d’un probable troisième mandat d’Angela Merkel on continue de vanter autant qu’aujourd’hui les mérites du modèle allemand.

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