Entreprise

La Fnac, de Trotsky à la Bourse

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Introduite en Bourse cet été, la Fnac ne garde plus grand-chose de son passé de vendeur militant de produits culturels.

En juin 2013, le groupe Kering (ex-Pinault-Printemps-Redoute) a introduit en Bourse la Fnac, dont François Pinault avait pris le contrôle en 1994. L’empereur du luxe, qui a décidé de se désengager de la grande distribution dès 2006, n’a pas trouvé d’autre solution pour se débarrasser de ses magasins "culturels". Triste épilogue d’un parcours de près de soixante ans.

Magasins militants

C’est en mars 1954 à Paris, dans un appartement du boulevard de Sébastopol, que Max Théret et André Essel créent la Fédération nationale d’achats des cadres (Fnac). Vétérans du trotskisme, ils ont appris le commerce dans des coopératives, la négociation dans des groupes d’extrême gauche et le management dans des mouvements de jeunesse. Ils créent un réseau de détaillants qui consentent aux adhérents de la Fnac une substantielle réduction (de 7 % à 25 %). Max et André empochent une commission.

Les deux amis ont une passion pour la photographie, activité qui va rapidement prendre plus d’importance que les réductions sur les frigos et les tourne-disques. Sans autre publicité que leur journal Contact, ils constituent une communauté de clients fidèles et au pouvoir d’achat élevé, à qui ils offrent un excellent rapport qualité-prix, des nouveautés, des conseils techniques et une information objective sur les produits, bien avant la création des premières associations de consommateurs.

Dix ans plus tard, la Fnac compte 200 000 adhérents et emploie 95 personnes. Ses vendeurs sont surdiplômés et ont souvent un passé militant. Chacun gère lui-même son rayon. Leurs salaires sont élevés et ils bénéficient d’avantages en nature, comme des séjours gratuits à la montagne dans des chalets achetés par la Fnac.

La fin des pionniers

Après avoir lancé le magasin du boulevard de Sébastopol, la Fnac en ouvre un deuxième en 1968, toujours à Paris, avenue de Wagram. L’entreprise passe de 300 à 580 employés. Mais le modèle militant résiste mal au succès. L’investissement est trop lourd. Théret et Essel font entrer une banque, l’UAP, au capital de la société. Ils n’ont plus les mains libres et les exigences des financiers les contraignent à gérer autrement. Il faut revenir sur des avantages acquis par le personnel, renforcer la hiérarchie et informatiser, ce qui limite l’autonomie des vendeurs. L’esprit Fnac se délite.

En 1972, l’entreprise ouvre un magasin à Lyon, puis la plus grande librairie de France, rue de Rennes à Paris, pour laquelle elle recrute 300 employés. Théret et Essel sont débordés. En 1977, ils vendent leurs parts à la Société générale des coopératives de consommation (SGCC), et se retirent au début des années 1980. La SGCC, en grande difficulté, revend la Fnac au Crédit lyonnais, qui la cède à François Pinault en 1994. Entre 1983 et 2000, les salariés auront vu passer huit présidents et cinq directeurs généraux. Ils connaissent leur premier plan social en 2009.

L’entreprise de copains est devenue une chaîne de 163 magasins. Elle emploie 18 600 salariés, dont 6 500 à l’étranger. Elle a maintenu pendant quelques années ses principes : l’absence de publicité dans les rayons, l’esthétique des magasins, la neutralité critique vis-à-vis des produits, la qualité du conseil au client. Mais il ne reste de l’esprit militant du boulevard Sébastopol que des souvenirs nostalgiques chez une poignée de vieux vendeurs.

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